Chronique du veilleur (35) : Didier Jourdren

Nous retrouvons avec grand plaisir la voix de Didier Jourdren qui nous invite à le suivre dans Le Chemin dans l’herbe, son sixième livre. Au hasard des marches dans la nature, au fil des rencontres qui viennent le saisir « dans l’ordinaire » de la vie, nous entendons une vraie voix de poète. Ce recueil de dix proses frappe par l’unité de l’inspiration qui le fait avancer, tel un ruisseau d’images, de sensations, de recherches devant la page blanche.

Ecrire, pour Didier Jourdren, c’est un peu reprendre la marche, le contact étroit des pas avec la terre.

Chaque matin je viens devant la feuille, à l’écart, j’écoute, comme j’ai posé l’oreille sur la paroi fraîche. Elle aussi devant moi s’enracine dans la terre, m’oblige à me tenir droit, me regarde, se penche pour m’entendre –je dois faire face, parler. En même temps, il me faut trouver un pas, un souffle, comme si j’allais entre les prunelliers, les ajoncs sur les talus. Je suis encore en chemin.

Didier Jourdren, Le chemin dans l’herbe, Editions Pétra, 15 euros

Le poète se rend aux évidences, elles lui viennent des arbres, des ombrages, des pins et des prés fraîchement fauchés. C’est alors qu’il guette en lui ce qui, brusquement, fléchit, le jette « dans un affaiblissement soudain ». L’émotion l’étreint, et il se trouve « démuni dans les mots » comme il l’a été « sur la lisière ». Il n’en écrit pas moins, en tâchant de mesurer chaque mot « au plus léger ».

Quelque chose, quelqu’un, se glisse près d’ici, se prononce en sourdine, on sent sa présence attentive, son approbation peut-être, qui touche à la rencontre que j’ai tenté de dire. Les mots que je trace semblent obéir à cette résonance, se répondre en un autre ordre, une trame subtile, étrangère, dans une scansion presque mienne pourtant, un air fredonné très bas, qui touche ma voix, ils murmurent en s’accordant sans moi, tout près, en disant les pommiers, l’herbe fauchée, le troupeau voué au sacrifice, et celle qui, au bout de tout, se déshabite, suivent le pas aux abords d’ici, au long des jardins, sans rien voir, puis se dispersent comme le pollen d’or pâle s’évanouissant dans l’air.

 Didier Jourdren continue son chemin de poète, les mains vides, l’âme émue, sans savoir si ce qu’il cherche n’est pas en lui ou s’il n’est pas cherché plutôt par cet invisible qui lui parle si souvent en un souffle. Un texte évoque des « abris du bout du monde », ces très humbles cabanes de jardins qui peuvent devenir des « cabanons de poésie » :

 …dans leur silence, parmi les outils, des mots tachés de bleu attendent des mains pour renouer avec la terre et nous rendre la résonance, le toucher très léger du monde. 

N’est-ce pas là une magnifique définition de la mission du poète ? Didier Jourdren, à coup sûr, la remplit parfaitement.