Jacques Robi­net a pub­lié plusieurs livres de poèmes aux édi­tions La Tête à l’envers. En 2018, les édi­tions La Coopéra­tive ont fait paraître son réc­it auto­bi­ographique, Un si grand silence, boulever­sante évo­ca­tion de la fig­ure mater­nelle et du par­cours d’existence de ce prêtre psy­ch­an­a­lyste, ami de Julien Green.

Les qual­ités de son écri­t­ure, sen­si­ble et très maîtrisée à la fois, éclataient dans ces pages de prose, d’une exi­gence bien rare en notre époque. Sans aucune com­plai­sance, sans autre ligne direc­trice que la recherche inlass­able­ment reprise de la vérité de l’être.

La mon­naie des jours, qui vient de paraître, me sem­ble réu­nir en un vol­ume toutes ces remar­quables qual­ités. « Un passé en forme de traces » offre d’abord, en une pre­mière par­tie, un ensem­ble de poèmes en prose, précédés d’une « let­tre à mon dernier ana­lyste ». Ce sont des ren­con­tres, des ambiances, des songeries, qui font penser au promeneur ou au rêveur des cré­pus­cules baudelairiens.

La par­tie cen­trale, la plus impor­tante, rassem­ble des pages de jour­nal des années 2012 à 2019. Le poète dia­logue avec lui-même, le croy­ant s’interroge sur sa foi, sur Dieu et sur la mort. L’écriture du diariste atteint là des som­mets, où le feu de l’introspection se con­fond avec les rougeoiements et les brûlures d’une parole  sou­vent con­fron­tée au silence.

Ecrire ces choses, remâchées depuis tou­jours, non pour me con­va­in­cre, mais pour attein­dre le silence où Son appel me convoque. 

Jacques Robi­net, Un si grand silence, Edi­tions de la Coopéra­tive, 2018, 148 pages, 18 €.

N’être plus à la fin que cette bre­bis pan­te­lante qui se rend au berg­er qui la pour­suit. Oh ! les mots, les phras­es, l’enchaînement des images, tout cela usé jusqu’à la corde, cet épuise­ment du lan­gage qui se hâte, hon­teux, vers sa source, sans jamais la recon­naître, ni renon­cer pour autant à sa quête.

Si Dieu vient, que ce soit mal­gré cette hémor­ragie du lan­gage qui est mal­adie humaine. Il faudrait être, à son exem­ple, un enfant sans paroles pour l’accueillir. Tous nos mots bafouil­lent, cou­vrent sa voix qui est silence. 

 

Com­ment ne pas ressen­tir ici, pro­fondé­ment, cette fièvre, cette lutte avec et con­tre les mots, pour tâch­er d’avancer sur le chemin de lumière ? Jacques Robi­net aime ces mots, il avoue : « Je me grise de mots, je le sais. J’ai besoin de mots comme l’oiseau a besoin de graines. Je les rêve, les brode, les charge de mis­sion impos­si­ble : dire à ceux que j’aime, morts ou vivants, com­bi­en ma vie est riche grâce à eux. » Mais il sait aus­si, et il le prou­ve à chaque page, que la « source endormie » peut jail­lir « au détour d’un mot ». La vie de l’âme, suiv­ie en ses doutes, ses con­tra­dic­tions, ses météorolo­gies intérieures, ne cesse d’alimenter ce journal.

 

Jacques Robi­net, La Mon­naie des jours, Edi­tions de la Coopéra­tive, 2019, 233 pages, 21 €.

Si on devait penser à l’avenir de nos pau­vres écrits, nous auri­ons tôt fait de ramass­er nos pelles et nos seaux, avant la prochaine marée. Il faut écrire comme l’enfant joue à cap­tur­er la mer, sans  y croire. Si vivre pou­vait être occu­pa­tion ludique, le monde serait moins sin­istre. Inutile de rêver ! On écrit le plus sou­vent pour tenir en respect la crainte et la douleur. Toute créa­tion s’efforce de guérir la vie.

 

Le psy­ch­an­a­lyste le sait, mais tout aus­si bien le chré­tien qui veut vivre dans l’amour : par­ler, écrire, peu­vent aider, à con­di­tion que tout reste ouvert, que l’on puisse faire con­fi­ance au plus sim­ple,  qui est sou­vent aus­si le plus silencieux.

 

L’Inconnaissable nous frôle sans se dévoil­er. Il suf­fit de main­tenir la pos­si­bil­ité d’une promesse qui ne se trahit pas. Trop de dis­cours se refer­ment. Com­ment garder l’ouvert ? Dehors, le silence des arbres qui rumi­nent la lumière. Ne pas faire procès à Dieu de ses extrav­a­gances qui sont l’expression de ce qui débor­de nos lim­ites. Revenir à la goutte d’eau qui se perd dans la mer.

 

La dernière par­tie du livre, « Clartés d’avenir », tente par une autre voie, celle de l’aphorisme, d’atteindre cet « Incon­naiss­able », et ce sont  alors de fraîch­es gouttes qui sem­blent couler de source :

 

                  Ne retiens pas l’oiseau ou la fleur : goûte son chant et son parfum

                                                              *

                 Neige : coup d’archet du silence

                                                              *

                 Ecrire comme on plante des arbres : pour retenir la terre auprès des eaux

 

Cette belle et riche « mon­naie des jours », que Jacques Robi­net grap­pille pour nous dans l’espérance, mal­gré sa han­tise de la mort qui vient, mal­gré toute la cru­auté trag­ique de la vie, nous la recevons comme un véri­ta­ble tré­sor, de beauté et d’humanité.

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Gérard Bocholier

Gérard Bocholi­er est né le 8 sep­tem­bre 1947 à Cler­mont-Fer­rand (France). Il a fait ses études sec­ondaires et supérieures dans cette ville, y a ensuite enseigné la lit­téra­ture française et les let­tres clas­siques en classe de let­tres supérieures. Orig­i­naire d’une famille de vignerons de la plaine de Limagne, il est franc-com­tois par sa famille mater­nelle, à la fron­tière du pays de Vaud en Suisse. Il a passé son enfance et sa jeunesse dans le vil­lage pater­nel de Mon­ton, au sud de Cler­mont-Fer­rand, que les poèmes en prose du Vil­lage et les ombresévo­quent avec ses habi­tants. La lec­ture de Pierre Reverdy, à qui il con­sacre un essai en 1984, Pierre Reverdy lephare obscur,déter­mine en grande par­tie sa voca­tion de poète. En 1971, Mar­cel Arland, directeur de la NRF, lui remet à Paris le prix Paul Valéry, réservé à un jeune poète étu­di­ant.  Son pre­mier grand livre, L’Ordre du silence, est pub­lié en 1975.  En 1976, il par­ticipe à la fon­da­tion de la revue de poésieArpa, avec d’autres poètes auvergnats et bour­bon­nais, dont Pierre Delisle, qui fut un de ses plus proches amis. D’autres ren­con­tres éclairent sa route : celle de Jean Gros­jean à la NRF, puis celle de Jacques Réda, qui lui con­fie une chronique régulière de poésie dans les pages de la célèbre revue à par­tir des années 90, mais aus­si l’amitié affectueuse du poète de Suisse romande, Anne Per­ri­er, dont il pré­face les œuvres com­plètes en 1996. Son activ­ité de cri­tique de poésie ne cesse de se dévelop­per au fil des années, il col­la­bore  au fil des années à de nom­breuses revues, notam­ment à la Revue de Belles Let­tresde Genève, au Nou­veau Recueil, et surtout à Arpa,dont il assure la direc­tion dès 1984. Il donne actuelle­ment des poèmes à Thau­ma,Nunc,Le Jour­naldes poètes. Cer­tains de ses arti­cles sont réu­nis dans le vol­ume Les ombrages fab­uleux,en 2003. A par­tir de 2009, un an avant sa retraite, il se con­sacre prin­ci­pale­ment à l’écriture de psaumes, pub­liés par Ad Solem. Le pre­mier vol­ume est pré­facé par Jean-Pierre Lemaire, son ami proche. Le deux­ième s’ouvre sur un envoi de Philippe Jac­cot­tet. Son essai Le poème exer­ci­ce spir­ituelexplique et illus­tre cette démarche. Il prend la respon­s­abil­ité d’une rubrique de poésie dans l’hebdomadaire La Vieet tient une chronique de lec­tures, « Chronique du veilleur »,  à par­tir de 2012 sur le site inter­net :Recours aupoème. De nom­breux prix lui ont été attribués : Voron­ca (1978), Louis Guil­laume (1987), le Grand Prix de poésie pour la jeunesse en 1991, le prix Paul Ver­laine  de la Mai­son de poésie en 1994, le prix Louise Labé en 2011. L’Académie Française lui a décerné le prix François Cop­pée pourPsaumes de l’espérance en 2013. Son jour­nal intime, Les nuages de l’âme, paraît en 2016, regroupant des frag­ments des années 1996 à 2016. Par­mi ses pub­li­ca­tions poé­tiques récentes : Abîmes cachés(2010) ; Psaumes du bel amour(2010) ; Belles saisons obscures(2012) ; Psaumes de l’espérance(2012) ; Le Vil­lageemporté (2013) ; Pas­sant (2014) ; Les Etreintes invis­i­bles (2016) ; Nuits (2016) ; Tisons(2018) ; Un chardon de bleu pur(2018) ; Depuis tou­jours le chant(2019) A paraître : Ain­si par­lait Georges Bernanos(Arfuyen) ; Psaumes de la Foi vive (Ad Solem) ; J’appelle depuis l’enfance (La Coopéra­tive). En 2019 parais­sent Ain­si par­lait G.Bernanos, Psaumes de la foi vive, Depuis tou­jours le chant ; en 2020 J’ap­pelle depuis l’en­fance (La Coopéra­tive) et Une brûlante usure (Le Silence qui roule), Vers le Vis­age (Le Silence qui roule, 2023) et Cette allée qui s’ef­face (Arfuyen, 2024)