Chronique du veilleur (41) : Jean-Pierre Vidal
« Elans, interruptions », le titre de la cinquième partie du nouveau livre de Jean-Pierre Vidal pourrait être une bonne entrée pour parler de Passage des embellies, œuvre d’une richesse surprenante, voire heureusement déconcertante. Il y a 7 parties dans ce regroupement de proses méditatives et poétiques.
« Chants bibliques » en est l’ultime, et ce n’est évidemment pas un hasard. La toute dernière phrase nous saisit par sa puissance et sa portée spirituelle profonde :
C’est le désordre de l’amour qui fait du monde du figement ou de la manducation le lieu pur de la joie grave.
Jean-Pierre Vidal, Passage des embellies suivi de Thanks, Arfuyen, 13 €.
Les questions ne manquent pas ici, comme dans la vie ordinaire. Celles qui ont trait à l’amour, à l’autre, sont primordiales. Le silence leur répond souvent. Celui de Jean-Pierre Vidal résonne en nous, comme une vibration de l’âme qui a déjà tout dit et que l’écriture saisit avec une sûreté remarquable.
Ne sachant pas si je suis vivant, tu peux faire en cet instant même l’hypothèse de ma mort, accomplie ou prochaine, en tressaillir peut-être dans le fauteuil près de la fenêtre où tu lis le nouveau livre de ***. Ainsi, ne connaissant rien de sa vie, de ses jours, nous habitons chacun la mort de l’autre.
Le regard est parfois lui-même en question. On comprend que pour Jean-Pierre Vidal, compagnon de Marie Alloy, il soit inséparable de l’acte de peindre. Regard mystérieusement creusé par le poète, qui assiste à cette transmutation de l’objet devenu « part de l’esprit » :
On ne regarde rien. Ce sont les objets du monde qui nous « regardent », de toute éternité, leurs grands yeux invisibles nous cherchent et nous obtiennent. Cela me regarde, m’oblige à regarder.
Jean-Pierre Vidal aime l’art, et donc le monde des formes. Il écrit : Seule la forme peut donner vie à la parole, et donc à l’existence. Ce qui échappe à la forme est perdu pour la vie. Il n’y a donc, dans la vie, que la forme. La forme est, à vrai dire, la vie. On ne saurait exprimer mieux cet acte de foi dans ce qui élève l’homme et lui fait surmonter le tragique de son destin.
Croire en la création artistique, qu’elle soit picturale ou littéraire, c’est croire en l’éternel. Ce petit morceau d’éternité que nous parvenons à cerner, à sertir de mots et d’images, nous sauve à jamais. Passage des embellies est un haut témoignage de ce que peut rêver et accomplir l’artiste. Dans la première partie du livre, « L’acte éternel » est, à cet égard, une page majeure, où se révèle pleinement la qualité unique de pensée et d’écriture de Jean-Pierre Vidal :
Il y a dans une vie quelques actes éternels qui échappent à toute morale, à toute chronologie. Ce sont des gestes, des situations muettes, parfois des paroles dont la justesse brise, pour un moment hors du temps, l’infinie théorie des mensonges.