Chronique du veilleur (42) : Jean-Marc Sourdillon
Le premier livre de poèmes de Jean-Marc Sourdillon, préfacé par Philippe Jaccottet, Les Tourterelles (éditions La Dame d’onze heures) avait obtenu en 2009 le prix du premier recueil de poèmes. Il contenait plus que des promesses, il révélait un authentique poète, d’une sensibilité et d’une maîtrise déjà très affirmées.
Ce sixième ouvrage, L’unique réponse, marque sans nul doute un tournant de maturité poétique. Vers et proses poétiques alternent, d’une égale beauté, ouvrant pour nous un univers intérieur fait de silences, d’élans profonds, de naissances et d’imminences.
Tout poème est précédé d’un élan parti de tellement loin qu’on ne sait
plus ni d’où ni de quand il vient,
mais qui a traversé tant de pays et connu tant de visages qu’il en garde l’empreinte
en lui comme le parfum des corps et l’éclat des espaces dans le vent qui les a frôlés.
Jean-Marc Sourdillon, L’unique réponse,Gallimard, 14 euros.
« La fragilité de tout » fascine Jean-Marc Sourdillon, « le présent ordinaire / et tout le mystère derrière » est pour lui un texte perpétuellement en écriture. Il s’applique à en saisir le langage, à en traduire le plus essentiel. Car, dans le plus fragile, se tient l’intensité, le poignant, le radieux Ainsi, avant le chant du merle, il y a ce très particulier silence, que le poète doit dire :
Il y a toujours avant que le merle ne chante
un silence sur lequel il se pose, un silence qui fait socle
avant qu’il ne s’élance vers la voix à travers laquelle il s’expose.
Ce que le poète appelle « la déhiscence » garde le secret de ce qui n’est pas encore de ce monde et qui recèle en lui un intense espoir de vie :
On en pressent la palpitation sourde dans les soubresauts de notre
cœur, présence simultanée du mort qu’on a aimé et de la poussée de naître en nous
inexplicable et bousculant tout, glissement, déplacement dans la naissance
inachevée,
chute, progression dans la lumière.
L’intensité est dispersée.
La réflexion sur la poésie accompagne ces chants de transparence. Le vers est « une passerelle » pour Jean-Marc Sourdillon, et la poésie « une suite de lancers de passerelles ou de pieds d’appel. » Le poète est toujours en avant de lui-même, tendu vers une rive qu’il n’aperçoit qu’à peine, engagé dans un voyage qui devient souvent une exploration. « On se propulse dans l’espace de la vibration. » C’est une naissance éperdue, elle nous fait naître nous-mêmes, à nous-mêmes.
On écrit, ça chante dans sa tête, mais on est déjà plus loin, là-bas dans
l’espace en avant de soi où l’on sait que quelque chose ou quelqu’un nous attend.
On ne sait pas quoi, on ne sait pas qui, mais on le pressent. Quelqu’un, quelque
chose de plus haut se penche sur soi. Ou, de plus bas, tout en bas, ouvre les bras.
Jean-Marc Sourdillon choisit de s’arrêter sur « La semence ». Ce dernier poème me paraît contenir à lui seul toute la richesse de son livre, silence de cristal, lente montée de l’aube, souffle nourricier d’une remarquable poésie :
Nuit si claire, si calme
un sas s’est ouvert .
Nuit des soupirs, des semences.
Nuit de l’intact et de l’insoupçonnable.
C’est là qu’en secret se prépare
la frissonnante lumière
de Vénus à l’aube,
non pas son pas, sa venue
mais son souffle qui embue
précédant toute naissance