Le nou­veau livre de Jean-Pierre Lemaire, Gradu­el, nous con­duit de l’efface­ment de Dieu, titre du pre­mier poème, aux « Stances de l’Apocalypse ». « Efface­ment » tout illu­soire, car si le monastère sur la colline est aban­don­né et la lampe près du taber­na­cle éteinte, « la douce présence / est à chercher ailleurs, dans la ville pro­fane / et les événements…. »

C’est bien là la belle mis­sion que rem­plit le poète : chercher et saisir dans l’existence de chaque jour les preuves boulever­santes de la Présence. Celle-ci est « en toute chose », et d’abord dans l’intime du cœur. Chaque chose reçoit l’attention respectueuse et sou­vent admi­ra­tive de Jean-Pierre Lemaire, aucune n’est lais­sée de côté, aucune n’est aban­don­née : « un jou­et en plas­tique », « les ex-voto naïfs », « les chais­es lais­sées au bord des allées. » Une part ines­timable de sacré réside dans ces « miettes du monde » qu’il suf­fit de bien recueillir.

Le cœur, lui, est tout entier empli de ten­dresse pour les hum­bles et les souf­frants. L’ensemble des pages inti­t­ulé « Sur le seuil de sa mai­son », dédié à sa mère défunte, est  par­ti­c­ulière­ment émou­vant. Le fils évoque « le dernier été », quand sa mère pou­vait « à peine / remon­ter le pré », quand elle allait « jusqu’à la mer en fau­teuil roulant. » Beau­coup d’autres êtres chers sont par­tis, ont passé « la porte du ciel. » Nos liens avec eux n’en sont que plus forts, comme en témoigne le poème sans titre de la page 27 :

Jean-Pierre Lemaire, Gradu­elGal­li­mard, 14 euros.

                        On devine là-haut

                        des livres ouverts.

                        Pour nous, sur la terre, 

 

                        ce n’est pas encore

                        l’heure du jugement

                        mais il nous est donné

 

                        un regard plus large

                        qui réca­pit­ule

                        notre vie avec eux. 

 

Jean-Pierre Lemaire vit dans cette famil­iar­ité avec les morts, qui lui tient chaud à l’âme, tout comme sa foi dont il nous fait partager la douceur. La nature en con­tin­uelle nais­sance, les paroles de l’Ecriture qui accom­pa­g­nent le marcheur ou le con­tem­pla­teur, l’attente de cette révéla­tion finale que l’Apocalypse nous annonce, tout est embrassé en un seul mou­ve­ment intérieur, qui rend grâce et inspire l’écriture du poème.

 

                        Des abri­cotiers en fleur dans les ruines,

                        par­mi les vieux champs, au milieu du sous-bois, 

                        et plus haut, par dizaines, sur les pentes nues,

                        comme des mains blanch­es, sor­tant des tombeaux.

                        Comme si la trompette avait retenti

                        silen­cieuse­ment der­rière les nuées    

                        pour don­ner le sig­nal de la résurrection

                        et qu’au moins les morts de ce pays-ci

                        en eussent  perçu l’écho souterrain.

 

Le croy­ant sait bien que cette vie est « en sur­sis », en attente de la Vie éter­nelle. Il la reçoit avec recon­nais­sance et nous invite,  par ses livres, à en mesur­er l’incomparable prix.  Ecou­tons-le dire à chaque lecteur qu’il faut puis­er la vie « plus pro­fond », dans ce mys­tère unique et prodigieux  où, depuis le com­mence­ment, nous sommes tous plongés.

 

                        Puise-la aux Enfers où le Ressuscité

                       prend Eve d’une main et Adam de l’autre

                        -cette vie qui remonte à tra­vers nos parents

                       jusqu’à tes yeux ouverts sur les pâquerettes.

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Gérard Bocholier

Gérard Bocholi­er est né le 8 sep­tem­bre 1947 à Cler­mont-Fer­rand (France). Il a fait ses études sec­ondaires et supérieures dans cette ville, y a ensuite enseigné la lit­téra­ture française et les let­tres clas­siques en classe de let­tres supérieures. Orig­i­naire d’une famille de vignerons de la plaine de Limagne, il est franc-com­tois par sa famille mater­nelle, à la fron­tière du pays de Vaud en Suisse. Il a passé son enfance et sa jeunesse dans le vil­lage pater­nel de Mon­ton, au sud de Cler­mont-Fer­rand, que les poèmes en prose du Vil­lage et les ombresévo­quent avec ses habi­tants. La lec­ture de Pierre Reverdy, à qui il con­sacre un essai en 1984, Pierre Reverdy lephare obscur,déter­mine en grande par­tie sa voca­tion de poète. En 1971, Mar­cel Arland, directeur de la NRF, lui remet à Paris le prix Paul Valéry, réservé à un jeune poète étu­di­ant.  Son pre­mier grand livre, L’Ordre du silence, est pub­lié en 1975.  En 1976, il par­ticipe à la fon­da­tion de la revue de poésieArpa, avec d’autres poètes auvergnats et bour­bon­nais, dont Pierre Delisle, qui fut un de ses plus proches amis. D’autres ren­con­tres éclairent sa route : celle de Jean Gros­jean à la NRF, puis celle de Jacques Réda, qui lui con­fie une chronique régulière de poésie dans les pages de la célèbre revue à par­tir des années 90, mais aus­si l’amitié affectueuse du poète de Suisse romande, Anne Per­ri­er, dont il pré­face les œuvres com­plètes en 1996. Son activ­ité de cri­tique de poésie ne cesse de se dévelop­per au fil des années, il col­la­bore  au fil des années à de nom­breuses revues, notam­ment à la Revue de Belles Let­tresde Genève, au Nou­veau Recueil, et surtout à Arpa,dont il assure la direc­tion dès 1984. Il donne actuelle­ment des poèmes à Thau­ma,Nunc,Le Jour­naldes poètes. Cer­tains de ses arti­cles sont réu­nis dans le vol­ume Les ombrages fab­uleux,en 2003. A par­tir de 2009, un an avant sa retraite, il se con­sacre prin­ci­pale­ment à l’écriture de psaumes, pub­liés par Ad Solem. Le pre­mier vol­ume est pré­facé par Jean-Pierre Lemaire, son ami proche. Le deux­ième s’ouvre sur un envoi de Philippe Jac­cot­tet. Son essai Le poème exer­ci­ce spir­ituelexplique et illus­tre cette démarche. Il prend la respon­s­abil­ité d’une rubrique de poésie dans l’hebdomadaire La Vieet tient une chronique de lec­tures, « Chronique du veilleur »,  à par­tir de 2012 sur le site inter­net :Recours aupoème. De nom­breux prix lui ont été attribués : Voron­ca (1978), Louis Guil­laume (1987), le Grand Prix de poésie pour la jeunesse en 1991, le prix Paul Ver­laine  de la Mai­son de poésie en 1994, le prix Louise Labé en 2011. L’Académie Française lui a décerné le prix François Cop­pée pourPsaumes de l’espérance en 2013. Son jour­nal intime, Les nuages de l’âme, paraît en 2016, regroupant des frag­ments des années 1996 à 2016. Par­mi ses pub­li­ca­tions poé­tiques récentes : Abîmes cachés(2010) ; Psaumes du bel amour(2010) ; Belles saisons obscures(2012) ; Psaumes de l’espérance(2012) ; Le Vil­lageemporté (2013) ; Pas­sant (2014) ; Les Etreintes invis­i­bles (2016) ; Nuits (2016) ; Tisons(2018) ; Un chardon de bleu pur(2018) ; Depuis tou­jours le chant(2019) A paraître : Ain­si par­lait Georges Bernanos(Arfuyen) ; Psaumes de la Foi vive (Ad Solem) ; J’appelle depuis l’enfance (La Coopéra­tive). En 2019 parais­sent Ain­si par­lait G.Bernanos, Psaumes de la foi vive, Depuis tou­jours le chant ; en 2020 J’ap­pelle depuis l’en­fance (La Coopéra­tive) et Une brûlante usure (Le Silence qui roule), Vers le Vis­age (Le Silence qui roule, 2023) et Cette allée qui s’ef­face (Arfuyen, 2024)