Il faut lire et relire Paul de Roux. « Je n’écris pas pour m’apporter des réponses mais pour être un peu moins mort par les questions que je me pose. », écrit-il en 1991 dans un de ses carnets.
Oui, ce sont des questions sans cesse reprises que les 5 volumes de carnets, les livres de poèmes, nous font entendre sur le ton inimitable d’une âme inquiète, sensible aux moindres variations de temps, aux froissements des feuillages, aux effleurements de la lumière. « Que cherchez-vous, ô mes inquiets / battements de cœur ? » La réponse n’est qu’une nouvelle question, discrète, « entre deux mots » :
Tous les pas dans la rue
pour les battements de cœur que l’on n’entend pas
-peut-être les aveugles entendent-ils avec les pas
de surprenantes expressions de ces passants inconnus
que nous non plus nous ne voyons pas
-assis à nos tables, buvant du thé, du vin
et de temps à autre, sur l’asphalte, un pas
fait reposer la tasse, le verre plus doucement peut-être
avec un silence entre deux mots.
Nul doute : Paul de Roux est le poète de l’impondérable, d’une solitude fragile, sensible à la voix presque inaudible de la terre, des heures de crépuscule, avec cette « lumière mouillée » qui semble les sertir miraculeusement, les rapprocher des peintures tant aimées du poète. Paul de Roux est un contemplatif toujours en alerte, « un homme perclus d’hésitations ». Mais ces hésitations se traduisent, et peut-être se conjurent, en des poèmes d’un long murmure, souvent d’une phrase unique.
Paul de Roux, Les Pas, Le Silence qui roule, 16 euros.
Et leur chant s’insinue en nous, avec le sentiment que le tragique de cette vie bouge doucement sous la surface, parfois grise et dure, des saisons et des heures.
Ce nuage qui passait, il n’attendait pas
que tu sortes du bureau pour que tu lui accordes
un regard attentif, et les mains de cet homme
qui frémissaient sur la table bientôt seraient rigides
-tu ne pourrais les saisir qu’en vain, ces mains
qui n’avaient pas peut-être besoin d’être serrées
mais de s’ouvrir pour te remettre un gage
-le nuage n’avait pas besoin de toi, mais toi
tu aurais eu besoin de retrouver la ville
avec des yeux rafraîchis par un nuage.
Une toile impressionniste, peut-être, continuellement tissée, sans couture, allant des notes de journal intime aux poèmes composés avec un sens de la pure harmonie… Il faut tout lire, autant dire aller à la rencontre d’un poète qui se retrancha peu à peu, par la maladie, de notre monde, avant de le quitter tout à fait en 2016. Il faut saluer la réédition de ce livre par Le Silence qui roule. Et partir à la découverte de tous les autres livres ! Le poème se pose sur la page comme un pétale de rose, délicat, translucide, prêt à s’échapper, « au milieu de la journée », et c’est merveille.
Soudain, au milieu de la journée
la lumière baisse, et jusqu’au point où indistincts
et fantasmagoriques les objets se confondent
et cette lumière si basse est jaune, comme soufrée
bien que venue d’un ciel où les nuages, du gris au bleuté
ne laissent à leur lisière qu’une roseur infime
-elle semble plus livide ainsi que le serait toute blancheur
et tout ce ciel sur la ville forme une grande rose :
la rose de l’orage qui ne veut pas distendre ses pétales
puis insensiblement l’ardoise des toits se raie :
il pleut et aucune goutte n’est perceptible encore.
- Chronique du veilleur (56) : Rûmî - 6 novembre 2024
- Chronique du veilleur (55) : Yves Leclair - 6 septembre 2024
- Chronique du veilleur (54) : Jean-Marie Corbusier - 6 mai 2024
- Chronique du veilleur (53) : Jacques Robinet - 6 mars 2024
- Chronique du veilleur (52) : Gilles Baudry - 1 novembre 2023
- Chronique du veilleur (51) : Olivier Noria - 5 septembre 2023
- Chronique du veilleur (50) : Gérard Pfister - 29 avril 2023
- Chronique du veilleur (49) : Anne Goyen - 1 mars 2023
- Chronique du veilleur (48) : Gustave Roud - 28 décembre 2022
- Chronique du veilleur (47) : Jean-François Mathé - 30 octobre 2022
- Chronique du veilleur (46) : Paul de Roux - 29 août 2022
- Chronique du veilleur (45) : René Guy Cadou - 6 mars 2022
- Chronique du veilleur (44) : Max Alhau - 30 décembre 2021
- Chronique du veilleur (43) : Jean-Pierre Lemaire - 1 novembre 2021
- Chronique du veilleur (42) : Jean-Marc Sourdillon - 2 mai 2021
- Chronique du veilleur (41) : Jean-Pierre Vidal - 5 janvier 2021
- Chronique du veilleur (40) : William Cliff - 6 septembre 2020
- Chronique du veilleur (39) : Christine Givry - 6 mars 2020
- Chronique du veilleur (38) : Jacques Robinet - 5 janvier 2020
- Chronique du veilleur (37) : Béatrice Douvre - 6 novembre 2019
- Chronique du veilleur (36) : François de Cornière - 4 juin 2019
- Chronique du veilleur (35) : Didier Jourdren - 3 février 2019
- Chronique du veilleur (34) : Judith Chavanne - 3 décembre 2018
- Chronique du veilleur (33) : Béatrice Libert - 3 juin 2018
- Chronique du veilleur (32) : Guillevic - 6 avril 2018
- Chronique du veilleur (31) – Mireille Gansel, Comme une lettre - 18 octobre 2017
- Chronique du veilleur (30) – Pierre Dhainaut, Un art des passages - 2 septembre 2017
- Chronique du veilleur (29) – Jean-Marie Corbusier, Le Livre des oublis et des veilles - 1 mai 2017
- Chronique du veilleur (28) – Stéphane Bataillon, Où nos ombres s’épousent, Vivre l’absence - 28 mars 2017
- Chronique du veilleur (27) – Jean-Claude Martin, Que n’ai-je - 20 janvier 2017
- Chronique du veilleur (26) – Michel Monnereau, Je suis passé parmi vous - 21 novembre 2016
- Chronique du veilleur (25) – Marc Baron, Dans le chemin qui s’ouvre - 23 septembre 2016
- Chronique du veilleur (24) – Albert Py, Ultima Thulé - 30 juin 2016
- Chronique du veilleur (23) – Michael Edwards, L’infiniment proche - 2 mai 2016
- Chronique du veilleur (22) – Béatrice Douvre - 20 février 2016
- Chronique du veilleur (21) – Alain Suied, Le Visage secret - 8 janvier 2016
- Chronique du veilleur (20) – Jacques Robinet, Feux nomades - 16 novembre 2015
- Chronique du veilleur (19) – Une anthologie de la poésie chinoise en pléiade - 1 mars 2015
- Chronique du veilleur (18) – Jean-Claude Pirotte - 1 février 2015
- Chronique du veilleur (17) – Max de Carvalho, Les Degrés de l’incompréhension - 22 décembre 2014
- Chronique du veilleur (16) – Marwan Hoss, La lumière du soir - 13 octobre 2014
- Chronique du veilleur (15) – Gérard Pfister, Présent absolu - 21 juin 2014
- Chronique du veilleur (14) – Pierre Chappuis, Entailles - 25 mai 2014
- Chronique du veilleur (13) – Josette Ségura, Dans la main du jour - 29 mars 2014
- Chronique du veilleur (12) – Monique Saint-Julia, Je vous écris - 31 janvier 2014
- Chronique du veilleur (11) – Anise Koltz, Galaxies intérieures - 6 janvier 2014
- Chronique du veilleur (10) – Claude Martingay, Les quatrains du silence - 25 octobre 2013
- Chronique du veilleur (9) – Yves Namur - 14 septembre 2013
- Chronique du veilleur (8) – Philippe Mac Leod, Le vif, le pur - 18 juillet 2013
- Chronique du veilleur (7) – Autour de Jean Grosjean et de Philippe Jaccottet - 10 mai 2013
- Chronique du veilleur (6) – Alain Suied, Sur le seuil invisible - 22 mars 2013
- Chronique du veilleur (5) – Thierry Metz, Tel que c’est écrit - 26 janvier 2013
- Chronique du veilleur (4) – Georges Bonnet, Entre deux mots la nuit - 16 novembre 2012
- Chronique du veilleur (3) – Janine Modlinger - 7 septembre 2012
- Chronique du veilleur (2) – Gilles Baudry - 16 juin 2012