Chronique du veilleur (47) : Jean-François Mathé

Par |2022-11-06T09:19:03+01:00 30 octobre 2022|Catégories : Essais & Chroniques, Jean-François Mathé|

« Les mots, sou­vent, sont des yeux fer­més / qui regar­dent la nuit en eux », écrivait Jean-François Mathé dans son très beau petit livre : Vu, vécu, approu­vé, paru en 2019 aux édi­tions Le Silence qui roule. C’est dans cette nuit que le poète s’aven­ture, en appréhen­dant la nuit du dernier soir, celle qui clôt les paupières pour toujours. 

Ain­si va est écrit dans la même tonal­ité. Le regret tra­verse les jours qui restent, avec le con­sen­te­ment que le titre même évoque. Ce sont, dit le poète, « les jours de rien », « de rien sans l’amour qui naguère ouvrait au matin fenêtres, volets, paupières, pour que puisse entr­er plus d’amour encore. »

Mais le poète ne reste pas refer­mé sur lui-même. Il embrasse cette human­ité qui l’entoure et qui vit, comme lui, comme nous, la soif de l’inconnu ou de l’invisible. A l’intersection « de tous les chemins », se tient l’auberge du poète et sa table ouverte, « ren­dez-vous des vagabonds, des égarés, des errants. »

Agran­disse­ment des détails (extraits), recueil de poèmes de Jean-François Mathé pub­lié aux édi­tions Rougerie (2007). Textes lus par Guy Allix.

Ils dis­ent que tout est du vent, tout est changeant, qu’après les ruelles vient la plaine où l’on peut marcher en dor­mant avec les rêves de la nuit d’avant, qu’on est plus rêvé que vivant et qu’un jour, tout un cha­cun s’efface de la vit­re où une main lasse esquisse un adieu sans émoi.

Mais il y a des « miettes de mys­tères et d’évidences », titre de l’avant-dernière par­tie, à recueil­lir encore. Jean-François Mathé aime cette heure où la nuit n’est  pas encore tout à fait noire, ce « gué » où il faut se ris­quer chaque soir. Sa poésie sug­gère une atmo­sphère d’attente et d’imminence avec les mots les plus sim­ples, une retenue qui  frôle des présences sans pou­voir les cern­er vraiment.

                 Chaque soir est un gué entre une berge abandonnée 
                 une autre qui attend.
                 Au milieu du gué  on rassem­ble les ombres
                 en un seul vête­ment dont il faut s’habiller
                 pour épouser la nuit,

                  puis on avance
                  comme si c’était soi qu’on allait quitter.

« Le seuil, on y est seul », dit un émou­vant poème du début du livre. C’est la soli­tude dev­enue chant secret, par­fois presque étouf­fé, que nous enten­dons dans cette voix. Elle résonne grave­ment, mais elle a cette chaleur, cette ardeur con­tenue, qui sont le signe du poète frère de tous.

Atten­dez, dit-on sur le seuil. Mais on voit que ce n’est qu’au soleil qu’on a par­lé, à lui qui a fer­mé à clé sa porte sur les départs puis la rou­vre sur les absences. Le seuil, on y est moins seul.

La poésie cré­pus­cu­laire de Jean-François Mathé nous  accueille sur ce beau seuil et accom­plit le mir­a­cle dont seul le véri­ta­ble poète est capa­ble : nous faire entr­er dans le partage, sou­vent poignant, du plus libre et du plus lumineux, mal­gré la nuit.

                                                              

                 Jean-François Mathé, Ain­si va, 
                 Rougerie, 2022, 13 euros.

Présentation de l’auteur

Jean-François Mathé

Né en 1950, il a été pro­fesseur agrégé de let­tres en lycée. L’essentiel de sa bib­li­ogra­phie poé­tique est con­sti­tué de 15 recueils parus et d’un à paraître aux édi­tions Rougerie dont cer­tains ont reçu divers prix (Prix Antonin Artaud en 1988, Prix du livre en Poitou-Char­entes en 1999, Prix Kowal­s­ki de la ville de Lyon en 2002). Con­tri­bu­tions à de nom­breuses revues, poèmes traduits en espag­nol, alle­mand, tchèque. Mem­bre du comité de la revue Frich­es. Il a reçu en 2013 le Grand Prix Inter­na­tion­al de Poésie Guille­vic-Ville de Saint-Malo pour l’ensemble de son œuvre. Il vit dans un vil­lage du Poitou.

© Crédits pho­tos (sup­primer si inutile)

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Gérard Bocholier

Gérard Bocholi­er est né le 8 sep­tem­bre 1947 à Cler­mont-Fer­rand (France). Il a fait ses études sec­ondaires et supérieures dans cette ville, y a ensuite enseigné la lit­téra­ture française et les let­tres clas­siques en classe de let­tres supérieures. Orig­i­naire d’une famille de vignerons de la plaine de Limagne, il est franc-com­tois par sa famille mater­nelle, à la fron­tière du pays de Vaud en Suisse. Il a passé son enfance et sa jeunesse dans le vil­lage pater­nel de Mon­ton, au sud de Cler­mont-Fer­rand, que les poèmes en prose du Vil­lage et les ombresévo­quent avec ses habi­tants. La lec­ture de Pierre Reverdy, à qui il con­sacre un essai en 1984, Pierre Reverdy lephare obscur,déter­mine en grande par­tie sa voca­tion de poète. En 1971, Mar­cel Arland, directeur de la NRF, lui remet à Paris le prix Paul Valéry, réservé à un jeune poète étu­di­ant.  Son pre­mier grand livre, L’Ordre du silence, est pub­lié en 1975.  En 1976, il par­ticipe à la fon­da­tion de la revue de poésieArpa, avec d’autres poètes auvergnats et bour­bon­nais, dont Pierre Delisle, qui fut un de ses plus proches amis. D’autres ren­con­tres éclairent sa route : celle de Jean Gros­jean à la NRF, puis celle de Jacques Réda, qui lui con­fie une chronique régulière de poésie dans les pages de la célèbre revue à par­tir des années 90, mais aus­si l’amitié affectueuse du poète de Suisse romande, Anne Per­ri­er, dont il pré­face les œuvres com­plètes en 1996. Son activ­ité de cri­tique de poésie ne cesse de se dévelop­per au fil des années, il col­la­bore  au fil des années à de nom­breuses revues, notam­ment à la Revue de Belles Let­tresde Genève, au Nou­veau Recueil, et surtout à Arpa,dont il assure la direc­tion dès 1984. Il donne actuelle­ment des poèmes à Thau­ma,Nunc,Le Jour­naldes poètes. Cer­tains de ses arti­cles sont réu­nis dans le vol­ume Les ombrages fab­uleux,en 2003. A par­tir de 2009, un an avant sa retraite, il se con­sacre prin­ci­pale­ment à l’écriture de psaumes, pub­liés par Ad Solem. Le pre­mier vol­ume est pré­facé par Jean-Pierre Lemaire, son ami proche. Le deux­ième s’ouvre sur un envoi de Philippe Jac­cot­tet. Son essai Le poème exer­ci­ce spir­ituelexplique et illus­tre cette démarche. Il prend la respon­s­abil­ité d’une rubrique de poésie dans l’hebdomadaire La Vieet tient une chronique de lec­tures, « Chronique du veilleur »,  à par­tir de 2012 sur le site inter­net :Recours aupoème. De nom­breux prix lui ont été attribués : Voron­ca (1978), Louis Guil­laume (1987), le Grand Prix de poésie pour la jeunesse en 1991, le prix Paul Ver­laine  de la Mai­son de poésie en 1994, le prix Louise Labé en 2011. L’Académie Française lui a décerné le prix François Cop­pée pourPsaumes de l’espérance en 2013. Son jour­nal intime, Les nuages de l’âme, paraît en 2016, regroupant des frag­ments des années 1996 à 2016. Par­mi ses pub­li­ca­tions poé­tiques récentes : Abîmes cachés(2010) ; Psaumes du bel amour(2010) ; Belles saisons obscures(2012) ; Psaumes de l’espérance(2012) ; Le Vil­lageemporté (2013) ; Pas­sant (2014) ; Les Etreintes invis­i­bles (2016) ; Nuits (2016) ; Tisons(2018) ; Un chardon de bleu pur(2018) ; Depuis tou­jours le chant(2019) A paraître : Ain­si par­lait Georges Bernanos(Arfuyen) ; Psaumes de la Foi vive (Ad Solem) ; J’appelle depuis l’enfance (La Coopéra­tive). En 2019 parais­sent Ain­si par­lait G.Bernanos, Psaumes de la foi vive, Depuis tou­jours le chant ; en 2020 J’ap­pelle depuis l’en­fance (La Coopéra­tive) et Une brûlante usure (Le Silence qui roule), Vers le Vis­age (Le Silence qui roule, 2023) et Cette allée qui s’ef­face (Arfuyen, 2024)

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