Les œuvres complètes de Gustave Roud paraissent enfin aux éditions Zoé, en 4 volumes réunissant les 10 livres d’oeuvres poétiques, les traductions, le journal et tous les textes de critique. Les français vont-ils enfin découvrir un de nos plus grands écrivains lyriques du XX ème siècle ?
Depuis longtemps, Gustave Roud est honoré à sa juste dimension dans son pays, la Suisse romande. Né en 1897, il est très vite devenu un acteur culturel helvétique majeur. Installé avec ses parents dans une ferme de Carrouge, il n’a jamais quitté sa maison, arpentant la contrée, participant aux travaux des champs, photographiant ses amis paysans. Dès 1915, ses premiers poèmes ont dit son incurable solitude. « Je serai celui qui va seul au crépuscule / seul ‑en pleurant, par les routes du crépuscule… » « Seul à tout jamais », dans la souffrance d’une homosexualité impossible à vivre pleinement.
Mais cette solitude, nous dit-il, lui « rendait le monde ». Adieu, le premier livre paru en 1927, célébrait avec une ferveur intense, les villages, les champs, les paysages du Haut Jorat, où chaque marche lui offrait de goûter une véritable communion. Les notes, consignées au fil des promenades et des saisons dans de petits carnets, recopiées dans le Journal (1916–1976), reprises souvent dans les livres achevés, regorgent de sursauts, de rencontres, d’admirations. Et c’est d’abord avec la terre et les plantes que se passe la communion :
Aux haltes, meilleure que l’herbe fraîche à nos pieds en sang, plus douce que l’ombre où l’on s’allonge, nous buvions la couleur des feuillages, comme iune gorgée d’eau ce vert profond (…) Communion, échange, mots insuffisants, c’est incorporation qu’il faudrait dire… (Feuillets)
Gustave Roud, Oeuvres complètes, Editions ZOE, 4 volumes, 5056 pages, 85 euros.
Les corps des jeunes paysans s’accordent au paysage contemplé. Le Journal abonde en désirs inassouvis et en tentations. Le désir est comme transcendé par « l’innocence sublime parce qu’éternelle » que Roud perçoit en chacun. Pour un moissonneur, en 1941, célèbre « les moissonneurs pris dans leur toile blanche comme de grands anges maladroits :
Tu ne disais rien, les lèvres seulement entrouvertes sous le dur crin d’or, une main dans la mienne, l’autre enroulée au manche de ta faux.
Le poète est ainsi hanté par ces présences frôlées, ces témoins d’un « Paradis dispersé » selon la vision de Novalis, que Roud étudiait et traduisait. Ces présences devenues avec le temps de doux fantômes, dont la vie n’est pas moins proche et sensible :
Où es-tu ?
Est-ce que tu ne peux plus entendre ce cri ? Est-ce que tu ne peux me dire si tu respires encore, si ton cœur bat, si cette épaule où poser ma main, une seule fois encore, m’est refusée ?
Le jour où je n’en pourrai plus d’attendre, je retournerai vers l’oiseau et cette fois, je l’appellerai comme ce soir je t’appelle. Son cœur est plein de pitié (…) Il m’écoutera. Il écoute ce que les morts lui disent, toutes les paroles des voix sans lèvres. Il porte aux vivants les messages des morts. Il écoutera tout ce que je pourrai lui dire et il s’envolera vers toi.
Ce sont des instants d’éternité que saisit Gustave Roud, il accède alors, par eux, à une « vie profonde et pure », grâce à l’intercession de ceux qu’il désire. Il les réunit tous en quelque sorte sous le nom d’Aimé, à la fois « homme de chair » et créature « d’une transparence de cristal. » Ils appartiennent à un monde voué à la disparition, à une Campagne perdue, comme l’évoque le dernier livre paru en 1972, 4 ans avant la mort de Roud. C’était un monde de lenteur et de cadences paisibles, où le poète avait le sentiment de toucher là à la « vraie vie ».
Monde défunt, que le regard intérieur, aidé par la mémoire, retient dans ce qu’il a d’essentiel et d’éternel. Rien n’est perdu, quand la Poésie vient sauver l’éphémère, l’instant suprême qu’un certain état extrême de l’âme et du corps a pu connaître. C’est là toute la foi « terrestre » de Gustave Roud, qui nous confie dans Requiem, son livre le plus composé (1967), le plus émouvant sans doute :
Oui, j’ai été cet homme traversé. Les doigts noués au mince tronc d’un frêne adolescent (j’en sens encore la lisse fraîcheur à mes paumes), j’ai soutenu de tout mon corps l’irruption de l’éternel, j’ai subi l’assaut de l’ineffable, j’ai vu la vraie lumière, la même, baigner toutes ces choses périssables autour de moi, leur infuser une splendeur de symphonie.
Présentation de l’auteur
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