Chronique du veilleur (5) – Thierry Metz, Tel que c’est écrit

Par |2018-01-07T12:34:56+01:00 26 janvier 2013|Catégories : Essais & Chroniques, Thierry Metz|Mots-clés : |

 C’est un petit livre de poèmes pub­liés pour la pre­mière fois dans le numéro 69 de la revue d’inspiration chré­ti­enne Résur­rec­tion au print­emps 1995. « La table est mise / l’assiette est nue » dit le pre­mier poème : la voix est là, sim­ple, grave, prête pour les choses essen­tielles. Thier­ry Metz était un homme de terre et d’outils. Terre (Opales/ Pleine page) le mon­tre en chemin :

    Ce n’est qu’un chemin
  ren­du dans ma gorge
     un sen­tier porté par les oiseaux
    par la biche
j’enviais la source d’être aus­si solitaire
  d’être épargnée.

Thierry Metz, Tel que c'est écrit, Editions L'arrière-Pays

Thier­ry Metz, Tel que c’est écrit, Edi­tions L’ar­rière-Pays, 2012

Il écrit aus­si : L’outil m’entraîne. Quelque­fois détesté mais grave. Mais soucieux. Et le Jour­nal d’un manœu­vre ne par­le pas que de chantier et de mai­son à bâtir, mais d’un « campe­ment d’hommes, venus pour écouter la terre, pour dire… presque rien… une parole cernée d’oubli, de néces­sités, mais dans l’inépuisable. » Thier­ry Metz avait ce don rare d’être à l’écoute du plus petit mir­a­cle, de ressen­tir la chaleur du cœur le plus soli­taire ou le plus fermé.

Beau­coup con­nais­sent le des­tin trag­ique qui fut le sien, l’accident mor­tel de son jeune fils, la détresse qui s’en suiv­it, la mort qu’il s’est lui-même don­née en 1997. Mais ce qui touche le plus un lecteur d’aujourd’hui, c’est cet exem­ple qu’on pour­rait presque qual­i­fi­er de saint, d’une vie de labeur, de foi et d’amour, chaque jour reprise comme on reprend un fardeau pour avancer un peu plus loin.

      Chaque jour je remonte le bois sec
     sur mon épaule
     comme un corps
    que j’aurais trou­vé sous un arbre
   n’ayant plus que lui
   pour nous réchauffer

L’écriture poé­tique pour lui relève de la même dis­po­si­tion du corps et de l’âme, elle ne fait qu’un avec sa façon d’être, d’accueillir l’autre, de ne pas s’enfermer :

    Ecrire
   comme si j’arrivais de nulle part
   comme si ma main
  dans la nuit
  avait recon­nu l’âne
son tré­sor de paille.

Lorsque la douleur le sub­merge, sa parole devient d’une inten­sité et d’une intim­ité désar­mantes, comme celle d’un proche qu’on voudrait tant sec­ourir et qu’on voit par­tir dans une forêt de ténèbres incon­nue d’où il ne revien­dra pas :

   Je ne sais
  com­ment j’arrive à me suivre
  à m’entendre
à racler le peu qui me reste.

Thier­ry Metz ne pou­vait s’installer nulle part, quelque chose le pous­sait, une grande force invis­i­ble, quelque­fois effrayante. Jusqu’à la lim­ite extrême de ses forces, il put tra­vailler, au moins écrire (son dernier livre : L’homme qui penche, Opales/Pleine page, 1997) « pour retenir, peut-être, ce qui était plus penché que lui. »

Quelle con­clu­sion don­ner, sinon celle de la pré­face émue que Jean Gros­jean avait écrite pour Le Jour­nal d’un manœu­vre (« L’Arpenteur », Gal­li­mard, 1990) :

Ce que nous pou­vions pren­dre pour un univers de médi­ocrité banale se trou­ve être une mer­veille. Elle ne nous retient pas par la manche comme font les vendeurs forains. Elle par­le à mi-voix et l’entende qui veut. Elle dit : Qui que tu sois tes instants ne con­ti­en­nent rien d’autre, mais ils sont des mir­a­cles.  

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Gérard Bocholier

Gérard Bocholi­er est né le 8 sep­tem­bre 1947 à Cler­mont-Fer­rand (France). Il a fait ses études sec­ondaires et supérieures dans cette ville, y a ensuite enseigné la lit­téra­ture française et les let­tres clas­siques en classe de let­tres supérieures. Orig­i­naire d’une famille de vignerons de la plaine de Limagne, il est franc-com­tois par sa famille mater­nelle, à la fron­tière du pays de Vaud en Suisse. Il a passé son enfance et sa jeunesse dans le vil­lage pater­nel de Mon­ton, au sud de Cler­mont-Fer­rand, que les poèmes en prose du Vil­lage et les ombresévo­quent avec ses habi­tants. La lec­ture de Pierre Reverdy, à qui il con­sacre un essai en 1984, Pierre Reverdy lephare obscur,déter­mine en grande par­tie sa voca­tion de poète. En 1971, Mar­cel Arland, directeur de la NRF, lui remet à Paris le prix Paul Valéry, réservé à un jeune poète étu­di­ant.  Son pre­mier grand livre, L’Ordre du silence, est pub­lié en 1975.  En 1976, il par­ticipe à la fon­da­tion de la revue de poésieArpa, avec d’autres poètes auvergnats et bour­bon­nais, dont Pierre Delisle, qui fut un de ses plus proches amis. D’autres ren­con­tres éclairent sa route : celle de Jean Gros­jean à la NRF, puis celle de Jacques Réda, qui lui con­fie une chronique régulière de poésie dans les pages de la célèbre revue à par­tir des années 90, mais aus­si l’amitié affectueuse du poète de Suisse romande, Anne Per­ri­er, dont il pré­face les œuvres com­plètes en 1996. Son activ­ité de cri­tique de poésie ne cesse de se dévelop­per au fil des années, il col­la­bore  au fil des années à de nom­breuses revues, notam­ment à la Revue de Belles Let­tresde Genève, au Nou­veau Recueil, et surtout à Arpa,dont il assure la direc­tion dès 1984. Il donne actuelle­ment des poèmes à Thau­ma,Nunc,Le Jour­naldes poètes. Cer­tains de ses arti­cles sont réu­nis dans le vol­ume Les ombrages fab­uleux,en 2003. A par­tir de 2009, un an avant sa retraite, il se con­sacre prin­ci­pale­ment à l’écriture de psaumes, pub­liés par Ad Solem. Le pre­mier vol­ume est pré­facé par Jean-Pierre Lemaire, son ami proche. Le deux­ième s’ouvre sur un envoi de Philippe Jac­cot­tet. Son essai Le poème exer­ci­ce spir­ituelexplique et illus­tre cette démarche. Il prend la respon­s­abil­ité d’une rubrique de poésie dans l’hebdomadaire La Vieet tient une chronique de lec­tures, « Chronique du veilleur »,  à par­tir de 2012 sur le site inter­net :Recours aupoème. De nom­breux prix lui ont été attribués : Voron­ca (1978), Louis Guil­laume (1987), le Grand Prix de poésie pour la jeunesse en 1991, le prix Paul Ver­laine  de la Mai­son de poésie en 1994, le prix Louise Labé en 2011. L’Académie Française lui a décerné le prix François Cop­pée pourPsaumes de l’espérance en 2013. Son jour­nal intime, Les nuages de l’âme, paraît en 2016, regroupant des frag­ments des années 1996 à 2016. Par­mi ses pub­li­ca­tions poé­tiques récentes : Abîmes cachés(2010) ; Psaumes du bel amour(2010) ; Belles saisons obscures(2012) ; Psaumes de l’espérance(2012) ; Le Vil­lageemporté (2013) ; Pas­sant (2014) ; Les Etreintes invis­i­bles (2016) ; Nuits (2016) ; Tisons(2018) ; Un chardon de bleu pur(2018) ; Depuis tou­jours le chant(2019) A paraître : Ain­si par­lait Georges Bernanos(Arfuyen) ; Psaumes de la Foi vive (Ad Solem) ; J’appelle depuis l’enfance (La Coopéra­tive). En 2019 parais­sent Ain­si par­lait G.Bernanos, Psaumes de la foi vive, Depuis tou­jours le chant ; en 2020 J’ap­pelle depuis l’en­fance (La Coopéra­tive) et Une brûlante usure (Le Silence qui roule), Vers le Vis­age (Le Silence qui roule, 2023) et Cette allée qui s’ef­face (Arfuyen, 2024)

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