Chronique du veilleur (53) : Jacques Robinet

Par |2024-03-06T16:28:23+01:00 6 mars 2024|Catégories : Essais & Chroniques, Jacques Robinet|

Après La Mon­naie des jours et Notes de l’heure offerte, Jacques Robi­net nous offre des extraits de ses « notes » de l’an­née 2020, sous le titre L’At­tente. Ce troisième vol­ume me sem­ble aller aus­si loin qu’il est pos­si­ble à un diariste en pleine maîtrise de son écri­t­ure. Il con­jugue, en provo­quant à chaque page une émo­tion rare, telle celle que l’on ressent aux con­fi­dences les plus intimes d’un ami cher, médi­ta­tions et rêver­ies, réflex­ions et intro­spec­tion, aveux et inter­ro­ga­tions sur la vie et la mort. 

Le croy­ant, le psy­ch­an­a­lyste, le poète sont une seule et même per­son­ne, ils vivent en plus ou moins bonne intel­li­gence, ten­tant de nouer une alliance qui pour­rait enfin sur­mon­ter les doutes, les angoiss­es, les douleurs. En avouant la dif­fi­culté de les faire vivre ensem­ble et d’a­vancer sur un chemin où les pélerins ont lais­sé tant de traces, Jacques Robi­net se mon­tre à nous sans fard, sans recherche rhé­torique, sans com­plai­sance et sou­vent sans vaine pudeur.

Peut-être ne suis-je capa­ble de prier que par inat­ten­tion, par sur­prise, au con­tact de la beauté qui fait bondir mon cœur. Il en va de même en poésie où toute crispa­tion est vaine. Prier, c’est peut-être ren­dre les armes, renon­cer à être l’ar­chi­tecte de son tem­ple, laiss­er s’écrouler les murs, se laiss­er envahir où les mots défail­lent. Cette disponi­bil­ité n’est pas aisée pour l’ob­ses­sion­nel tout occupé à col­mater ses failles. 

Jacques Robi­net, L’At­tente, La Coopéra­tive, 22 euros.

C’est bien ce souci con­stant, sou­vent éprou­vant, d’abolir la bar­rière que les mots parais­sent élever con­tre celui qui veut se dénud­er, se dévoil­er en même temps, qui ani­me l’écrivain, tou­jours sur ses gardes, se défi­ant du lan­gage comme de lui-même.

J’aimerais n’écrire que ce qui est essen­tiel, sans embel­lisse­ments, sans pren­dre la pose, en déjouant le trop, le pas assez, le souf­fle du men­songe. En vieil­lis­sant, j’aimerais que tout se resserre sur le grain d’or qui brille  encore, après tant de sable sec­oué au tamis des années. 

Longtemps, Jacques Robi­net con­fesse avoir atten­du pour pren­dre la plume. Par­fois se per­me­t­tait-il d’écrire un peu de poésie, « en fraude », la psy­ch­analyse dévo­rant la majeure par­tie de son temps. Cette attente sem­ble rejoin­dre celle, main­tenant, du vieil homme malade qui ne cherche plus qu’à touch­er, de tout son être, l’essen­tiel. Une attente qui vient de très loin, des « désirs inex­tri­ca­bles » de l’ado­les­cent sans doute, peut-être même de l’en­fant pas­sion­né­ment attaché à sa mère.

L’en­fant têtu demeure, ébloui et apeuré par son des­tin d’homme. Je ne cherche plus à le guérir, mais à retrou­ver la fer­veur de ses commencements. 

L’e­spérance de retrou­ver l’émer­veille­ment pre­mier, c’est sans doute, portée par un sen­ti­ment de bon­heur que peut don­ner l’in­stant fugace, l’e­spérance con­fuse, plus ou moins con­sciente, de retrou­ver Celui qui est lumière et Vie. Le poète sait recon­naître et saisir ces moments pré­cieux où le froid de la soli­tude est soudain réchauf­fé, inexplicablement.

Moments de bon­heur quand, de la ter­rasse le soir, je regarde le jour se per­dre lente­ment dans la nuit. Autour du jardin, la grande couronne des arbres assure le décor immuable d’un spec­ta­cle qui varie sans cesse. Jeu infi­ni des couleurs qui effleurent ou embrasent le ciel. Oublieux de tout, je finis par me per­dre à mon tour dans le grand silence de la nuit. Plus tard, mon­tent les étoiles. Paix com­plice de ce brasillement. 

Se per­dre ain­si, ne serait-ce pas, au con­traire, se sauver ? Ce que la poésie, qui fait étinceler son or secret dans tout ce livre, peut sou­vent approcher dans les beaux petits sen­tiers d’ une prose magis­trale, chemins buis­son­niers, chemins de tra­verse, qui fera date dans notre lit­téra­ture contemporaine.

Présentation de l’auteur

Jacques Robinet

Jacques Robi­net , né en 1937, vit à Paris. Il est psychanalyste.

Pub­li­ca­tions :  Veille le Silence (édi­tions St Ger­­main- des- Près, 1984 — épuisé)

En col­lab­o­ra­tion avec l’artiste pein­tre et graveur Renaud Alli­rand : Miroir d’om­bres (2000) et Traces (2013) —  Fron­tières de sable (2013) et Feux nomades (2015) ont été pub­liés par les Edi­tions la tête à l’en­vers à Méne­treuil ( 58330- Crux la Ville).

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Gérard Bocholier

Gérard Bocholi­er est né le 8 sep­tem­bre 1947 à Cler­mont-Fer­rand (France). Il a fait ses études sec­ondaires et supérieures dans cette ville, y a ensuite enseigné la lit­téra­ture française et les let­tres clas­siques en classe de let­tres supérieures. Orig­i­naire d’une famille de vignerons de la plaine de Limagne, il est franc-com­tois par sa famille mater­nelle, à la fron­tière du pays de Vaud en Suisse. Il a passé son enfance et sa jeunesse dans le vil­lage pater­nel de Mon­ton, au sud de Cler­mont-Fer­rand, que les poèmes en prose du Vil­lage et les ombresévo­quent avec ses habi­tants. La lec­ture de Pierre Reverdy, à qui il con­sacre un essai en 1984, Pierre Reverdy lephare obscur,déter­mine en grande par­tie sa voca­tion de poète. En 1971, Mar­cel Arland, directeur de la NRF, lui remet à Paris le prix Paul Valéry, réservé à un jeune poète étu­di­ant.  Son pre­mier grand livre, L’Ordre du silence, est pub­lié en 1975.  En 1976, il par­ticipe à la fon­da­tion de la revue de poésieArpa, avec d’autres poètes auvergnats et bour­bon­nais, dont Pierre Delisle, qui fut un de ses plus proches amis. D’autres ren­con­tres éclairent sa route : celle de Jean Gros­jean à la NRF, puis celle de Jacques Réda, qui lui con­fie une chronique régulière de poésie dans les pages de la célèbre revue à par­tir des années 90, mais aus­si l’amitié affectueuse du poète de Suisse romande, Anne Per­ri­er, dont il pré­face les œuvres com­plètes en 1996. Son activ­ité de cri­tique de poésie ne cesse de se dévelop­per au fil des années, il col­la­bore  au fil des années à de nom­breuses revues, notam­ment à la Revue de Belles Let­tresde Genève, au Nou­veau Recueil, et surtout à Arpa,dont il assure la direc­tion dès 1984. Il donne actuelle­ment des poèmes à Thau­ma,Nunc,Le Jour­naldes poètes. Cer­tains de ses arti­cles sont réu­nis dans le vol­ume Les ombrages fab­uleux,en 2003. A par­tir de 2009, un an avant sa retraite, il se con­sacre prin­ci­pale­ment à l’écriture de psaumes, pub­liés par Ad Solem. Le pre­mier vol­ume est pré­facé par Jean-Pierre Lemaire, son ami proche. Le deux­ième s’ouvre sur un envoi de Philippe Jac­cot­tet. Son essai Le poème exer­ci­ce spir­ituelexplique et illus­tre cette démarche. Il prend la respon­s­abil­ité d’une rubrique de poésie dans l’hebdomadaire La Vieet tient une chronique de lec­tures, « Chronique du veilleur »,  à par­tir de 2012 sur le site inter­net :Recours aupoème. De nom­breux prix lui ont été attribués : Voron­ca (1978), Louis Guil­laume (1987), le Grand Prix de poésie pour la jeunesse en 1991, le prix Paul Ver­laine  de la Mai­son de poésie en 1994, le prix Louise Labé en 2011. L’Académie Française lui a décerné le prix François Cop­pée pourPsaumes de l’espérance en 2013. Son jour­nal intime, Les nuages de l’âme, paraît en 2016, regroupant des frag­ments des années 1996 à 2016. Par­mi ses pub­li­ca­tions poé­tiques récentes : Abîmes cachés(2010) ; Psaumes du bel amour(2010) ; Belles saisons obscures(2012) ; Psaumes de l’espérance(2012) ; Le Vil­lageemporté (2013) ; Pas­sant (2014) ; Les Etreintes invis­i­bles (2016) ; Nuits (2016) ; Tisons(2018) ; Un chardon de bleu pur(2018) ; Depuis tou­jours le chant(2019) A paraître : Ain­si par­lait Georges Bernanos(Arfuyen) ; Psaumes de la Foi vive (Ad Solem) ; J’appelle depuis l’enfance (La Coopéra­tive). En 2019 parais­sent Ain­si par­lait G.Bernanos, Psaumes de la foi vive, Depuis tou­jours le chant ; en 2020 J’ap­pelle depuis l’en­fance (La Coopéra­tive) et Une brûlante usure (Le Silence qui roule), Vers le Vis­age (Le Silence qui roule, 2023) et Cette allée qui s’ef­face (Arfuyen, 2024)

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