Yves Leclair maîtrise par­faite­ment l’art d’écrire. Il en a don­né de nom­breuses et belles preuves au cours des années. « L’or du com­mun », dis­ait un titre d’il y a 30 ans. 

C’est bien cet or mer­veilleux que le poète extrait, en orpailleur inspiré. Il le décou­vre au hasard des voy­ages, dans ses lec­tures, dans sa mai­son de Bag­neux, dans la vie ordi­naire. Il en dresse un inven­taire par­fois, non sans ten­dresse, mêlée d’inquiétude:

 

                  Je dresse l’inventaire
                  en chauf­fant mes hivers
                  à  ton vieux radiateur : 
                  une plume de pigeon,
                  une fleur d’abricotier, 
                  semées par la tempête. 
                  Saurai-je laiss­er ici bas
                  autant de lumière ?
                  Quelle couleur donneras-tu,
                  mon Dieu, à l’in­stant de ma vie ?

Yves Leclair, Le par­chemin enlu­miné, Gal­li­mard, 15 euros.

Le par­chemin enlu­miné retient ces traces que le temps efface fatale­ment. Il en reste une teinte un peu mélan­col­ique, mais le poète,  plein d’at­ten­tion pour elles, sait encore les faire vivre. C’est une sagac­ité, un dynamisme jamais lassé, qui l’en­traî­nent. Curiosité serait, dans son éty­molo­gie même, un terme encore plus juste. Yves Leclair observe en curieux et con­serve avec un soin de jar­dinier du verbe. Il nous restitue « l’or » que la poésie a raf­finé. L’hu­mour est sou­vent là pour calmer les agi­ta­tions du cœur, une forme de philoso­phie des choses et des êtres aussi.

 

                  Regarde, plume au vent,
                  com­ment l’an­cien retourne de sa bêche
                  dans l’après-midi d’orage
                  la terre la plus revêche.

 

« Le clair rien », dit le titre d’un poème. C’est ce rien, qui sem­ble ne pas peser dans la bal­ance de la mémoire ou dans la paume d’une main fatiguée, qui intéresse le poète. Yves Leclair le met au clair, se sou­vient de ses admi­ra­tions pour la cal­ligra­phie chi­noise et, d’un calame sûr et sen­si­ble, en dégage le plus pré­cieux, en une petite épure.

 

                  Peu importe ce qu’on dit.
                  La vie se recueille et dévide
                  ses paroles sages et folles
                  comme la fumée dans le ciel
                  qui peint les pins parasols
                  à l’en­cre noire de Chine.

 

« Elève » de ce qu’il ne sait pas, il est tou­jours en appren­tis­sage. Yves Leclair n’a jamais fini d’ap­pren­dre, ni d’écrire. Pour notre plus grande joie, et avec le sourire « de tout petit », sourire « mouil­lé », qui n’est autre que le « regard de Dieu », que son grand art sait faire fleurir.

Présentation de l’auteur

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Gérard Bocholier

Gérard Bocholi­er est né le 8 sep­tem­bre 1947 à Cler­mont-Fer­rand (France). Il a fait ses études sec­ondaires et supérieures dans cette ville, y a ensuite enseigné la lit­téra­ture française et les let­tres clas­siques en classe de let­tres supérieures. Orig­i­naire d’une famille de vignerons de la plaine de Limagne, il est franc-com­tois par sa famille mater­nelle, à la fron­tière du pays de Vaud en Suisse. Il a passé son enfance et sa jeunesse dans le vil­lage pater­nel de Mon­ton, au sud de Cler­mont-Fer­rand, que les poèmes en prose du Vil­lage et les ombresévo­quent avec ses habi­tants. La lec­ture de Pierre Reverdy, à qui il con­sacre un essai en 1984, Pierre Reverdy lephare obscur,déter­mine en grande par­tie sa voca­tion de poète. En 1971, Mar­cel Arland, directeur de la NRF, lui remet à Paris le prix Paul Valéry, réservé à un jeune poète étu­di­ant.  Son pre­mier grand livre, L’Ordre du silence, est pub­lié en 1975.  En 1976, il par­ticipe à la fon­da­tion de la revue de poésieArpa, avec d’autres poètes auvergnats et bour­bon­nais, dont Pierre Delisle, qui fut un de ses plus proches amis. D’autres ren­con­tres éclairent sa route : celle de Jean Gros­jean à la NRF, puis celle de Jacques Réda, qui lui con­fie une chronique régulière de poésie dans les pages de la célèbre revue à par­tir des années 90, mais aus­si l’amitié affectueuse du poète de Suisse romande, Anne Per­ri­er, dont il pré­face les œuvres com­plètes en 1996. Son activ­ité de cri­tique de poésie ne cesse de se dévelop­per au fil des années, il col­la­bore  au fil des années à de nom­breuses revues, notam­ment à la Revue de Belles Let­tresde Genève, au Nou­veau Recueil, et surtout à Arpa,dont il assure la direc­tion dès 1984. Il donne actuelle­ment des poèmes à Thau­ma,Nunc,Le Jour­naldes poètes. Cer­tains de ses arti­cles sont réu­nis dans le vol­ume Les ombrages fab­uleux,en 2003. A par­tir de 2009, un an avant sa retraite, il se con­sacre prin­ci­pale­ment à l’écriture de psaumes, pub­liés par Ad Solem. Le pre­mier vol­ume est pré­facé par Jean-Pierre Lemaire, son ami proche. Le deux­ième s’ouvre sur un envoi de Philippe Jac­cot­tet. Son essai Le poème exer­ci­ce spir­ituelexplique et illus­tre cette démarche. Il prend la respon­s­abil­ité d’une rubrique de poésie dans l’hebdomadaire La Vieet tient une chronique de lec­tures, « Chronique du veilleur »,  à par­tir de 2012 sur le site inter­net :Recours aupoème. De nom­breux prix lui ont été attribués : Voron­ca (1978), Louis Guil­laume (1987), le Grand Prix de poésie pour la jeunesse en 1991, le prix Paul Ver­laine  de la Mai­son de poésie en 1994, le prix Louise Labé en 2011. L’Académie Française lui a décerné le prix François Cop­pée pourPsaumes de l’espérance en 2013. Son jour­nal intime, Les nuages de l’âme, paraît en 2016, regroupant des frag­ments des années 1996 à 2016. Par­mi ses pub­li­ca­tions poé­tiques récentes : Abîmes cachés(2010) ; Psaumes du bel amour(2010) ; Belles saisons obscures(2012) ; Psaumes de l’espérance(2012) ; Le Vil­lageemporté (2013) ; Pas­sant (2014) ; Les Etreintes invis­i­bles (2016) ; Nuits (2016) ; Tisons(2018) ; Un chardon de bleu pur(2018) ; Depuis tou­jours le chant(2019) A paraître : Ain­si par­lait Georges Bernanos(Arfuyen) ; Psaumes de la Foi vive (Ad Solem) ; J’appelle depuis l’enfance (La Coopéra­tive). En 2019 parais­sent Ain­si par­lait G.Bernanos, Psaumes de la foi vive, Depuis tou­jours le chant ; en 2020 J’ap­pelle depuis l’en­fance (La Coopéra­tive) et Une brûlante usure (Le Silence qui roule), Vers le Vis­age (Le Silence qui roule, 2023) et Cette allée qui s’ef­face (Arfuyen, 2024)