Chronique du veilleur (56) : Rûmî
Les chefs d'oeuvre, on le sait bien, n'ont pas d'âge. L'oeuvre de Rûmî date du XIIIème siècle, son auteur (1207-1273) est un maître vénéré de la poésie persane classique. Les choix et la traduction des ghazals du « Livre de Shams de Tabrîz », réalisés par Jean-Claude Carrière, avec l'aide de Mahin Tajadod et Nahal Tajadod, sont particulièrement éblouissants.
Jean-Claude Carrière a privilégié le rythme, en essayant de retrouver la cadence originelle des poèmes. La réussite est parfaite, l'octosyllabe français se tenant au plus près de la danse des ghazals.
Tout est danse en effet dans cette œuvre. Shams de Tabrîz, que Rûmî rencontre à l'âge de 37 ans, est le maître qui transforme la vie du poète. Il le forme à la poésie, l'entraîne dans la danse des derviches tourneurs. L'anthologie qui paraît ici suit le parcours humain et mystique de Rûmî, l'attente, la rencontre, les souffrances, la séparation et l'absence le jalonnent. N'est-ce pas là une ligne universelle du destin amoureux ?
Tout est désir et chant du désir. Jamais aucun lyrisme ne pourra surpasser la pureté et l'intensité de ce chant.
Rûmî, Cette lumière est mon désir, Poésie / Gallimard, 10,20 euros.
Tu es la lumière, la fête,
Tu es le bonheur triomphant,
Tu es l'oiseau sur le mont Tûr,
Je suis accablé de ton bec.Tu es la goutte et l'océan,
Tu es la bonté, la colère,
Tu es le sucre, le poison,
Ne me rends pas plus malheureux.
Le souffle ne retombe jamais, il est porté par une force qui élève et bouleverse à la fois. A chaque strophe, à chaque poème, on est frappé par un renouvellement continuel de la même pensée, du même élan vital. Les derniers poèmes choisis affrontent le néant et la mort, se tiennent sur le seuil de l'indicible et du divin.
Mourez, mourez, dans cet amour mourez,
Si vous mourez dans cet amour,
Le pur esprit vous recevrez.
Mourez, mourez, sans peur de cette mort,
Si vous vous levez de terre,
C'est le ciel que vous saisirez.
« On trouve dans nos têtes / une très haute ardeur », peut-on lire. Le lecteur la ressent, tant elle circule et ne cesse d'affirmer en nous son pouvoir envoûtant.