À l’injonction « Poètes, vos papiers ! », formule de Léo Ferré, à la déclinaison de son identité, exercice toujours clivant, les Têtes Raides, Not dead but bien raides, titre de leur premier album, préfèrent inventer leur « Iditenté », leur visage pluriel fait de la richesse de leur diversité : « Un chemin de l’identité / L’iditenté l’idétitan / L’y tant d’idées à la ronde », néologismes de leur chanson éponyme partagée avec Noir désir, véritablement hymne à la beauté de l’autre, au dépassement des frontières et au voyage cosmopolite : « Y a pas d’pays pour les vauriens / Les poètes et les baladins / Y a pas d’pays / Si tu le veux / Prends le mien » !
C’est sur la galette Gratte poil, œuvre de la maturité pour la bande de joueurs espiègles que forme l’ensemble de ces musiciens-zigotos, dont le chœur d’enfants du refrain de « Patalo » délivre une parole à redonner toutes ses saveurs à la réalité qui aurait tendance à se clore et à s’aseptiser et que « L’Iditenté » malicieuse fait voler en éclats : « Du sel dans les pâtes à l’eau / Du beurre dans les haricots / De l’eau pour s’laver la peau / Du sang pour cracher des mots / D’la voix pour gueuler plus haut / Des fleurs pour t’aimer bientôt / Du ciel pour les animaux ».
L’identité, Noir désir/les Têtes Raides.
Cette réhabilitation du goût du monde et de ses terriens, Christian Olivier, tout au long de l’écriture pour son groupe, n’aura de cesse de l’explorer, dressant des portraits fabuleux, entre réel et imaginaire, qui rendent leurs traits vibrants d’authenticité aux gens vers lesquels les Têtes Raides vont toujours à la rencontre. Cette ouverture à chacun qui sous-tend l’univers poétique de Christian Olivier résonne en écho avec l’univers graphique des Chats Pelés, collectif dans ce croisement d’artistes, au sein duquel se cherchent et se trouvent les mots et les images puisque ces graphistes donnent la couleur des chansons du parolier qui fait le trait d’union entre ces deux contrées. Ces derniers incarnent les ombres et les lumières, le sombre de l’angoisse et le clair de la joie, sans jamais se prendre trop au sérieux, dans un jeu incessant mêlant réalisme et fantastique, art naïf, art brut et art d’avant-garde, évitant néanmoins de réduire à un seul de ses aspects l’œuvre commune, ode aux figures offertes, ces fières gueules de la multitude tapageuse et du bazar étrange que reflète ce double-miroir d’une vie quotidienne agrandie !
Ce fourmillement de foule bigarrée innerve l’écriture qui investit les mots comme une matière à modeler, à pétrir, à sculpter de nouveaux vocables, dont la formule inventée « Iditenté » s’avère certes un des exemples les plus frappants pour piéger le terme aux contours trop nets d’« identité », mais montre également, tel un coup d’éclat parmi tant d’autres, cette capacité à jouer avec les sonorités et les sens, mystères d’un langage qui trébuche, ou plutôt s’en va « tréchubant », révélant que nos « démocraties » ne sont parfois que « décramoties » ou « démocramoties » où « des mots crament aussi », comme quoi derrière l’aspect ludique de l’exploration subtile se cache le tranchant du regard aiguisé sur le morfil de la lame qui donne alors à voir le politique du poétique, yeux grands ouverts où l’intime au féminin se fait à la fois aveu d’impossible et trait d’humour face aux errances de nos ères de dé-civilisation : « Civili civila / Civilalisation / Si la vie si Lisa / Lisa avait raison / C’est pas dans les chansons / Ni dans l’eau de mon vin / Qu’on fera de demain / Des civilisations »
Ce travail sur la langue, cette orfèvrerie du style, Jean-Philippe Gonot, auteur de l’ouvrage Têtes Raides aux éditions Seghers, consacré au groupe et à l’auteur-compositeur-interprète, en recueillera une confidence-joyau lors d’une tournée européenne de février 2005 de ces artistes qu’il suivit, mise au secret de la quête, encore une fois par-delà les frontières, du musicien et poète Christian Olivier : « L’incompréhension d’une langue n’empêche pas l’échange. Suivant ce que l’on met sous le mot, notre façon de le faire sonner, de le vivre, on transmet certaines choses, certaines sensations qui développent un sens dépassant les barrières, les règles. Il y a dans les sonorités et les façons de les prononcer quelque chose d’instinctif, de plus direct, de plus profond. Un autre langage peut-être, un rien, c’est plus simple, plus spontané, une musicalité, une rencontre. Dans le mot, il y a plein de choses… »
Ce trésor en partage, quel que soit l’idiome de la tribu ou du pays, Christian Olivier le redéploiera par le fil rouge qu’il a tracé, entre la chanson du groupe, sur l’album Gratte poil, mais à la première personne du singulier : « Je chante » et son écho proche de l’univers d’Antonin Artaud : « Je crie » sur son premier album personnel On/Off…
Jean-Philippe Gonot, Têtes raides, Seghers, 2005, 208 pages, 17 € 50.
Ainsi passe-t-on de la première strophe du commencement du chant : « L’opaline naissante / D’une nuit déjà morte / Offerte au passé / Les nuits balaieront / Nos erreurs entassées / Dans le bas de nos ventres / À partir de maintenant / Je chante » (« Je chante ») au refrain entêtant du cri poignant : « À mes faiblesses, à mes ivresses, à mes détresses / Je crie / À notre histoire dans les couloirs de nos mémoires / Je crie / Il va s’en dire y’a rien à dire à ton sourire / Je crie, je crie » (« Je crie ») ! Tout un univers du chant jusqu’au cri de « ton sourire » !
Les Têtes raides, Je chante, une vidéo de YouTube by BMG Rights Mgmt France SARL.
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