Au-delà des murs, évasions proposées par le Castor Astral…
De Sing Sing de Franck Balandier à Johnny Cash s’est évadé de Jacques Colin !
L’ouvrage consacré aux Musiques rebelles sous les verrous de Franck Balandier s’avère une somme imposante, en signature d’un travail remarquable, mené au fil d’une expérience de plus de quarante années au sein de l’administration pénitentiaire par son auteur, qui a créé et animé avec un groupe de détenus la première radio diffusée en milieu carcéral, et a été également à l’initiative d’un concert mémorable du groupe Trust à Fleury-Mérogis…
Recouvrant toute une palette de notes en révolte, du blues des champs de coton au rock’n’roll de l’émancipation, sans omettre le no future punk et le rap des banlieues, ce livre dresse les portraits, en faisant le récit de tant de générations de musiciens dont les excès, les colères et les dérives ont conduit nombre d’entre eux jusqu’à la prison, en prenant soin de reconstituer les conditions de leurs gardes à vue ou de leurs détentions ! Il dénonce avec virulence en conséquence le retournement pervers en usage de morceaux de rock et de rap comme un moyen de torture et d’interrogatoire en vigueur dans certains pays et certaines prisons, à Guantánamo ou ailleurs ! Il raconte aussi avec précision l’engagement de plusieurs artistes au sein de tels carcans afin de considérer la musique comme un moyen de réinsertion possible…
…Y plane l’ombre tutélaire de Johnny Cash, ayant donné deux concerts au pénitencier de Folsom, en Californie, le 13 janvier 1968, date reprise dans la formidable enquête sur le cheminement artistique, spirituel et tout simplement humain, de cette grande voix de l’Amérique, née en 1932, en Arkansas, à l’influence de tant de traditions musicales, entre gospel, rock, folk et blues, non loin du crossroads de Clarkdale où, selon la mythologie associée à ce dernier chant, Robert Johnson aurait pactisé avec le diable…
Jacques Colin, Johnny Cash s’est évadé, Le Castor Astral, 256 pages, 15, 90 euros.
La vie de Johnny Cash a été la matière de nombre de biographies ou de biopics mettant en scène une histoire de démons personnels et de rédemption, chère à une vision assez édulcorée de cette même Amérique chrétienne, et si la foi de Johnny Cash, en dépit de ses excès et de ses accoutumances, demeure, le salut ne survient pas uniquement par l’amour généreux de Jane Curter ou par l’art de la mélodie portée à ces cimes, comme l’entonne l’entêtant « I Walk the Line » ! Toute sa vie, Johnny Cash lutta, seul ou accompagné, contre sa part maudite, ce qui le rendit attentif, à l’écoute, des damnés d’un système carcéral dont son continent se prévaut, et lui souffla l’idée souveraine de cette série de concerts dans l’espace étroit de ces lieux clos pour en repousser les murs…
Johnny Cash, “San Quentin” from Live at San Quentin 1969.
La prison de Folsom sera alors le théâtre d’une rencontre libératrice que Jacques Colin relate dès le premier chapitre sobrement intitulé « Folsom, Californie / La grande évasion » de la partie de son récit d’investigation consacré à Johnny Cash, tel « L’homme du Sud » : « La chanson qui clôt le live à Folsom, Cash n’en connaissait pas l’existence la veille de son concert. Elle a été écrite par un des prisonniers, Glen Sherley, incarcéré pour vol à main armée. C’est Floyd Gressett, un prêtre aumônier ami de Cash qui, au soir du 12 janvier, est venu lui remettre une bande que Sherley lui avait confiée, où il interprète un gospel intitulé « Greystone Chapel » — d’après le nom de la chapelle de la prison de Folsom. « Je l’ai écoutée, raconte Cash, et j’ai pensé : il faut que j’inclue ça dans mon concert de demain. Alors, je suis resté éveillé, malgré la fatigue, je l’ai apprise. »
Johnny cash, The Man Comes Around.
À la fin du second set, Cash s’adresse au public. « La prochaine chanson, annonce-t-il, la voix cassée, a été écrite par un homme qui est enfermé ici. Je l’ai chantée pour la toute première fois hier soir. Elle a été écrite par notre ami Glen Sherley. [Il se tourne vers le prisonnier, assis au premier rang] Heu, j’espère que je ne vais pas trahir ta chanson, Glen, on va essayer de faire au mieux. » Cash serre la main de Sherley et il entonne : « Mon corps est peut-être prisonnier de ces murs, mais le Seigneur a libéré mon âme. » Face au succès du premier album de prison de l’artiste, comme le retrace à son tour Franck Balandier dans la partie consacrée aux concerts en prison, dans celui livré le 24 février 1969 au pénitencier de San Quentin : Johnny entame « San Quentin », une chanson spécialement écrite pour l’occasion et qui, en termes très crus et violents, dénigre ouvertement non seulement la prison de San Quentin, mais aussi le système pénitentiaire américain tout entier. Les cent gardiens présents dans la salle commencent à s’agiter et à se montrer nerveux.
Johnny Cash, In The Jailhouse Now.
« San Quentin, que penses-tu faire de bien ? / Penses-tu que je serai différent quand tu seras détruite ? / Tu as plié mon cœur, mon esprit et peut-être mon âme, / Et tes murs de pierre ont refroidi mon sang / San Quentin, puisses-tu pourrir et brûler en enfer. / Que tes murs tombent et que je puisse encore raconter. / Que le monde entier ne t’oublie jamais. / Que le monde entier regrette que tu n’as jamais rien fait de bon. » » Une photographie prise au cours de la chanson reste célèbre et crée la légende : on y voit Johnny Cash faisant un doigt d’honneur, le visage grimaçant de haine. Qui était le véritable destinataire du geste et du rictus ? Comme le résume la formule de l’auteur : « Peu importe, le symbole demeure. Fuck off, la prison. »
Johnny Cash et Joe Strummer, Redenption song, copyright owner : UMG.
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