« Feu ! Chatterton, incandescent(s) cadavre(s) pour vous servir ! », selon sa formule inaugurale, l’interprète Arthur Teboul introduit ainsi la musique du groupe entre chanson populaire, rock impétueux et tissu électronique, en hommage au poète maudit Thomas Chatterton représenté par Henri Wallis dans La Mort de Chatterton, en 1856, en jeune homme de dix-sept ans aux traits androgynes, allongé sur sa couche, une fiole de poison à ses pieds.
Référence tant au génie maudit qu’à un mythe romantique qui influença deux figures majeures également inspiratrices, Serge Gainsbourg et Alain Bashung… Image reflétant le dandysme véritable des cinq garçons dont l’allusion aux « cadavres exquis » se pare également des collages de l’écriture surréaliste réinventée par l’ensemble des artistes en un alphabet gagnant au fil des albums, année après année, profondeur et superbe, mais somptueux dès les trouvailles initiales, dès les premiers mots et premières notes…
Boeing, Bic Médium, Côte Concorde… Par leurs titres énigmatiques, derrière les objets décrits dans les chansons égrainées de l’album D’ici le Jour (a tout enseveli), la plume de Feu !
Feu! Chatterton — Ici le jour (a tout enseveli) (2015).
Chatterton toise la modernité des avions aux démarches manquant de légèreté : « Et tes mouvements lents sont de majesté », des moyens d’expression à l’encre rouge des perversions à tatouer la peau de crimes passionnels : « Dans un rouge silence violent Dis, est-ce que tu saignes ? », des naufrages d’embarcation-métaphore des dérives de notre Empire Consumériste, telle la montée des eaux dans un Bateau Ivre que l’on croirait surgi du Poème de la Mer d’Arthur Rimbaud : « Dans sa panse alourdie / De spas, machines à sous / L’eau est entrée » ! Des volontés de brûler d’un amour adolescent si vaste les bois ardents, La Mort dans la Pinède : « Nos cœurs s’embrasent / Et la forêt aussi » à la danse techno échevelée vibrant au souffle ténu d’une sculpture de femme de La Malinche : « Madame je jalouse / Ce vent qui vous caresse / Prestement la joue » jusqu’à la conjuration de la peur du mystérieux Porte Z : « Des milliers d’avions / Éventraient le ciel mais nous n’avions / Peur de rien », rien, en effet, ne semble freiner ce tourbillon de découvertes…
Telles des variétés d’espèces rares collectionnées par L’Oiseleur, les ritournelles ciselées du deuxième album tirent à leur tour leur richesse d’un lyrisme sans faconde, teinté d’un humour élégant, que cela soit pour décrire L’Oiseau « moqueur » : « Arrive-t-il / D’un pays lointain / Ce volatile / Au regard éteint ? » ou le constat désabusé de L’Ivresse dans un « petit rade » : « Ça y est / Voilà / Je suis raide » ! C’est dans un écrin de compositions mêlant nappes hypnotiques et instruments traditionnels que la splendeur des textes se trouve sublimée en autant de joyaux exprimant la perte de l’aimée dans Souvenir : « Mais maintenant je pleure / Ton nom », la prescience de la disparition dans Anna en formule fulgurante : « Je serai la rouille se souvenant de l’eau », l’évocation de la beauté des ruines dans Erussel Baled : « Un jour je reviendrai / Me promener parmi les ruines / Oui je reviendrai à / Erussel Baled mon asile », l’adieu au paysage de la tendresse dans Sari d’Orcino : « Adieu, adieu verger » !
Feu! Chatterton, Anna.
En écho au titre de leur premier EP, À l’aube, s’élève en air ultime et en hommage au grand poète, Le Départ : « Peut-être penseras-tu à ce matin du départ / Délesté mais plein de promesses / Peut-être penseras-tu à ce poème d’Éluard / Qui fixe l’instant que tu es en train de connaître / Juste avant que tout commence » …
Ni commencement, ni fin, tout semble revenir et aboutir à l’édification, toute en vigueur et en délicatesse, du troisième album produit avec Arnaud Rebotini, Palais d’argile, « golem architectural, de glaise et d’acier » dont le single introductif d’un Monde Nouveau porte la question déchirante entre le virtuel et le charnel : « Un monde nouveau / On en rêvait tous / Mais que savions-nous faire de nos mains ? » puis trouve son écho en partage dans l’adieu mélancolique des Cristaux Liquides : « Adieu vieux monde adoré / Une image oubliée / Sur un bout de papier », monde à la fois ancien et post-moderne, à la rencontre duquel la musique abrasive de ce chef d’œuvre conceptuel chemine, vers l’échappée du poème Before the World Was Made de l’Irlandais William Butler Yeats, adapté par Yves Bonnefoy sous le titre Avant qu’il n’y ait le monde…
Feu! Chatterton, Un Monde Nouveau.
De la rage et du chaos dans Écran Total, de la camaraderie et de l’espièglerie dans Compagnons, du mystère et de la fureur dans Aux Confins, de l’odyssée et de l’appel en détresse de La Mer, de l’épique et de l’incantation dans Libre, du sentiment et du tourment dans Ces bijoux de fer, de la démarche féline au passage de la Panthère, du chant encore tel un hymne dans Cantique, de l’interrogation philosophique sur L’homme qui vient, et enfin un clin d’œil tant à L’Imprudence d’Alain Bashung qu’à la Poétique Bachelardienne de l’Air, la Terre, l’Eau et le Feu, en une épure avec laquelle renouer, dans le splendide final de Laissons filer : « LAISSE LAISSE TOI PORTER / FAIS COMME LE SABLE ET LE VENT / RETROUVE LA VÉRITÉ NUE / DE TOUS LES ÉLÉMENTS » !
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