« J’avais dessiné sur le sable / Son doux visage qui me souriait / Puis il a plu sur cette plage / Dans cet orage, elle a disparu » : le cri Aline éclate lorsqu’on l’appelle pour qu’elle revienne, un an après l’enregistrement d’un 45 tours sans succès, en 1964, erreur de prénom sans doute, Reviens Sophie…
Christophe — Aline en live dans le Grand Studio RTL présenté par Eric Jean-Jean Voir toutes les vidéos du Grand Studio RTL.
« Excusez-moi monsieur le professeur / Si je ne connais pas mes leçons par cœur / Si je me tiens debout, tout au fond de la classe / C’est parce que j’n’aime pas faire les choses à moitié / Si je me tiens debout, tout au fond de la classe / C’est qu’un autre à ma place est toujours le premier / Excusez-moi monsieur le professeur / Si j’ai toujours les idées ailleurs »… Au début des années soixante-dix, créateur de la magnifique bande originale du film La route de Salina de Georges Lautner, sa rencontre décisive avec Jean-Michel Jarre, auteur quant à lui vierge de toute collaboration, marque à merveille un changement de cap dont Christophe reste le capitaine à bord. En 1973, leur premier album commun contraste avec la variété française de leur époque par ses accords d’un « rock sophistiqué / Qui étonnait comme les anglais » évocateur du romantisme crépusculaire des Paradis perdus : « Dans ma veste de soie rose / Je déambule morose / Le crépuscule est grandiose / Mais peut-être un beau jour voudras-tu / Retrouver avec moi / Les paradis perdus ? »
La métamorphose est achevée, en 1975, avec le chef d’œuvre Les Mots bleus dont le titre éponyme, reste un classique de la chanson française, pourtant si inclassable, porteur « des mots qui rendent les gens heureux », dont la couleur bleuie alla si bien aussi au bleu de la voix d’Alain Bashung : « Je lui dirai les mots bleus / Les mots qu’on dit avec les yeux / Toutes les excuses que l’on donne / Sont comme les baisers que l’on vole / Il reste une rancœur subtile / Qui gâcherait l’instant fragile / De nos retrouvailles » ! Poursuivant sa quête d’arpenteur solitaire, hors des sentiers battus, Christophe signe, en 1976, Samouraï et, en 1977, La Dolce Vita, il écrira alors une chanson à l’atmosphère étrange qui caractérise tant la séduction magnétique de son univers légèrement décalé, Le Beau Bizarre :
Christophe — Les mots bleus (Live Officiel Olympia 2002).
« Dans ce dancing sans danseur / Sous la boule ronde / Parfums, lumières et couleurs / Qui se répondent / J’suis le beau bizarre / Venu là par hasard / L’alcool a un goût amer / Le jour, c’était hier / Mais l’orchestre dans un habit / Un peu passé / Joue le vide de ma vie / Désintégrée »…
Le mystère de Christophe reste entier, et le chanteur se plait à brouiller les pistes : dans les années quatre-vingt, il revêt à nouveau le costume du séducteur en veste de cuir rouge, écartant le temps des mots ambigus, avec ses 45 tours de 1983, Succès fou, de 1985, Ne raccroche pas Stéphanie ou avec l’enregistrement d’un album à la douceur ironique Clichés d’Amour avec la reprise du thème Besame Mucho. Mais en 1996, changement de maison de disques, l’énigmatique dandy se présente sous l’invitation d’un album éponyme : Bevilacqua. La critique parle alors de « cyber-jazz » et de « techno » dont le single Le Tourne-Cœur dresse le décor mélangé de sa voix efféminée si singulière. Désormais reconnu comme une icône invraisemblable, en 2001, son album expérimental tangue Comm’Si La Terre Penchait, laissant le microcosme musical parisien à nouveau pantois ! Succèderont avec les années 2000 des albums cultes, tant encensés qu’incompris : Aimer Ce Que Nous Sommes, en 2008, puis Paradis Retrouvé, en 2013. Après le récital piano-voix, en 2014, de l’album Intime, il retrouvera, en 2016, Jean-Michel Jarre, Boris Bergman ainsi que d’autres artistes à l’écriture de son treizième album, Les Vestiges du Chaos…
« Je vous propose / D’ouvrir des choses / Des choses avec moi / Sur de nouvelles voies », Définitivement, ainsi s’ouvre la proposition du dernier album-concept de Christophe, évoquant « le désir / De réunir / [Notre] plus belle âme / Et [sa] plus grande flamme », et tandis que le courant de son Océan d’amour nous emporte, il semble invoquer également les mânes de son Aline perdue : « Sous les étoiles, j’entends ta voix / Crier tout bas / Mes mains se perdent dans ce feu tiède / C’est informel / La scène est belle / Je ne te quitte plus / Ça c’est bien moi/ Tout craché », invitant ensuite à sa danse son double nommée Stella Botox : « Stella, son prénom le jour se lève / Stella, rencontre où la nuit s’achève / Sensuelle et solaire », suggérant les amours de Laurie et Lou :
Océan d’amour · Christophe · Mathilda. Provided to YouTube by Universal Music Group.
« C’était un ouragan / Laurie aime Lou / Sourire de Laurie », décrivant la beauté fatale de Dangereuse : « Lover, outsider / Un tendre déglingué / Dernier pari de l’autre côté / De la dangereuse qui se rend », avant de traverser les turbulences de Tangerine : « Mais le temps ne passera plus jamais / Ni pour toi, ni pour personne / Ce sera un retour en guerre encore », quand il ne s’agit pas de fuir la surveillance d’un Drone : « Tout en moi voudrait que tu demeures / Mais le temps veut autrement du haut de son drone » ou des scènes de conflit avec « une petite sauvage sans loi » dont Tu te moques : « Tu lâches et tu dis toc / Tu refuses tout en bloc / Tu te moques / Tu dièses et tu bémoles / Tu altères tout en somme / Tu déconnes », au regret des « mots bleus » retournés tels Les mots fous de l’aimée avant sa disparition : « Elle voulait me dire des mots si fous / Elle voulait me dire des mots doux / Elle s’est enfuie avec nos promesses / Laissant un X pour seule adresse » et les souvenirs de ces mots enfouis résonnent tels Les Vestiges du Chaos : « Tu m’as tatoué sur la peau / Tous les vestiges du chaos / Et quand ta bouche murmure « Chris » / Mes draps se froissent et m’engloutissent », jusqu’à la promesse de revivre les heures d’un amour dévastateur : « Je revivrai notre grande journée / Et cet amour que je t’avais donné pour la douleur », jusqu’à la volonté dans Ange sale de tout remonter « Pour être à tes côtés / Ange sale / Mon visage pâle / Tu choisis », jusqu’à la tentation d’une virée nocturne en écho dans Mes nuits blanches : « Au bout de mes nuits blanches / Je conduis la Mercedes / Dans cet écho qui me poursuit », jusqu’aux ultimes métamorphoses des Mélodies Majuscules d’un Grand Sentimental dont la portée reste inépuisable…
Les Mots bleus — Alain Bashung invite Christophe sur la scène de la Cité de la musique pour des retrouvailles entre deux monuments de la chanson française. Paris 2005.
Image de Une © Edouard Caupeil pour Libération.
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