François Cheng : le poète et la mort
Après ses Cinq méditations sur la beauté (Albin Michel, 2006), l’écrivain et poète François Cheng nous propose aujourd’hui Cinq méditations sur la mort. Des philosophes et des poètes l’accompagnent dans sa réflexion. A commencer par Rilke, dont il dit avoir été particulièrement sensible à un poème de jeunesse: « Seigneur, donne à chacun sa propre mort ».
La clé de toutes les méditations proposées ici par François Cheng se trouve, en effet, dans ce texte. « Rilke, explique-t-il, émet l’ardent souhait que la mort de chacun soit une mort qui lui appartienne, parce que née de lui tel un fruit. Et il ne manque pas de le constater, comme nous le faisons tous, que si le fruit tombe au sol, il se retrouve près des racines ; fécondant le sol, il participe au pouvoir générateur de celles-ci. Les racines sont à la fois le lieu de la mort et de la naissance ».
François Cheng voit chez Rilke un « renversement de perspective » par rapport à la mort. « Au lieu de dévisager la mort à partir de ce côté de la vie, envisager la vie à partir de la mort ». C’est véritablement le fil conducteur de toutes ces méditations. Il faut y voir aussi, bien sûr, la marque d’un taoïsme que l’auteur revendique (le mouvement du Tao n’est pas linéaire mais circulaire). Pour autant, François Cheng ne se cantonne pas à sa philosophie d’origine. Fortement imprégné du message chrétien, il propose en réalité des méditations sur le thème de « la vie plus forte que la mort ». Face au nihilisme ambiant et face au grand mystère de l’univers (ses origines, sa destinée), Cheng s’écrie : « Il n’y a qu’une seule aventure, celle de la vie ».
Mais qu’en est-il de Dieu ? Rappelant d’abord l’intuition du Tao, il souligne que « un souffle de vie, à partir de rien, a fait advenir le Tout ». Souffle divin ? Sans doute. Si l’auteur approche Dieu dans ce livre, c’est surtout pour dire que Dieu a besoin de nous, lui qui « garde le silence » mais qui laisse « l’univers en transformation suivre jusqu’au bout la dynamique de son cours ». François Cheng cite Etty Hillesum : « Je vais t’aider, mon Dieu, à ne pas t’éteindre en moi (…) Ce n’est pas toi qui peux nous aider, mais nous qui pouvons t’aider, et ce faisant, nous nous aidons nous-mêmes ». Des mots qui viennent en écho à ce vers de Rilke (que Etty Hillesum lisait) : « Que feras-tu, Dieu, si je meurs (…) Moi absent, tu perdrais tout sens ».
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Ce pari sur la vie n’élude pas, dans le livre, la lancinante question du sort des êtres chers disparus. François Cheng croit en leur « présence autrement ». Il cite Victor Hugo prononçant un discours devant la tombe de la fiancée de son fils : « Oh ! Qui que vous soyez, qui avez vu s’évanouir dans la tombe un être cher, ne vous croyez pas quittés par lui. Il est toujours là. Il est à côté de vous plus que jamais ». Et dans sa cinquième méditation, François Cheng peut, lui-même, écrire ce poème : « Parfois les absents sont là/Plus intensément là/Mêlant au dire humain/Au rire humain/Ce fond de gravité/Que seuls/Ils sauront conserver ».
Méditer sur la mort, en effet, c’est bien sûr parler du corps et de l’esprit. C’est aussi parler de l’âme (un mot que l’auteur n’hésite pas utiliser). « La perspective d’une survie de l’âme est-elle concevable ? », interroge François Cheng qui n’entend pas répondre « par une sentence à la manière d’un juge ». Il dit à la fois son trouble et son espérance évoquant « certains faits particuliers ayant trait à l’âme et à la communion des âmes » qui ont fini par le « toucher personnellement ».
Là encore il rejoint les convictions du christianisme sur la « vie nouvelle » des disparus et leur proximité avec les vivants. Une approche particulièrement sensible en Bretagne où les morts, on le sait, ne sont jamais loin de nous.
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