Louise Dupré, La Main hantée

Poète, romancière et dramaturge québécoise, Louise Dupré a fait paraître une vingtaine de titres, qui lui ont mérité de nombreux prix et distinctions. Parmi ses dernières publications, mentionnons La main hantée (Éditions du Noroît, 2016), qui vient de recevoir le Prix de poésie du Gouverneur Général du Canada et que les Editions Bruno Doucey publieront en mai 2018. Parmi ses autres recueils, figurent : Plus haut que les flammes (Éditions du Noroît, 2010 et Éditions Bruno Doucey, 2015), ainsi que le récit L'album multicolore (Héliotrope, 2014). Louise Dupré est membre de l’Académie des lettres du Québec et de l'Ordre du Canada.

 

Louise Dupré, La main hantée, 3e trimestre 2016, Editions du Noroît, 113 pages

 Du je au nous, récit d’une nuit de l’âme et d’un apaisement

 

Livre d’une traversée de la douleur, associant vers libres et prose. A l’origine, un évènement traumatique : Louise Dupré se résout à euthanasier son vieux chat. Elle ne supporte plus sa souffrance, ses gémissements. Elle est présente à ses côtés jusqu’à la fin, le tient dans ses bras et s’effondre de retour à la maison. Reprenant ses droits, l’affect jette à terre avec une violence inouïe les digues de la rationalité.

Immense remords et sentiment de honte. Tu es capable de tuer même un être que tu aimes. Remontent à la surface les hurlements retenus dans les entrailles de la terre. Les hurlements des cohortes de femmes dominées, violentées et ceux des autres. Tous les autres, victimes comme assassins.

La voilà revenue au temps de la préhistoire, elle, descendante d’une longue lignée de chasseurs, de criminels, de pilleurs. Tu as sur les mains l’odeur millénaire du feu et du sang. La voilà dans « un enfer d’images qui dansent dans les flammes ». Peu à peu se fait jour et grandit le sentiment de culpabilité. Car tu n’es pas sans faute. Tu commences à le reconnaître. Tu vois ce jour où tu l’avoueras. Quand tu seras assez solide pour écrire ‘je’.

Et ce jour vient. Elle reconnaît n’avoir pas répondu aux hurlements. Elle admet avoir trahi. S’en suit une plongée dans une interminable nuit de l’âme.

Pas de consolation, les remèdes familiers sont inopérants. Fermant la fenêtre, tournant le dos au monde, la femme ravagée se réfugie dans sa chambre remplie des ombres des poètes/artistes partis trop tôt : Marina Tsvetaïeva, Sylvia Plath, Huguette Gaulin, Hubert Aquin, Claude Gavreau, Stephan Zweig…

Un mot seul survit au désastre, le mot Cœur qu’elle prononce comme d’autres disent ‘Dieu’ ouVérité’. La musique également - de la rue, de la lumière - qui peu à peu la touche à nouveau.

Elle se remet à écrire, la main hantée, comme elle l’a toujours fait car au départ, se souvient-elle, il y eut tous ces récits dont il avait fallu se débarrasser. Tu viens d’une enfance où les poètes finissaient à l’asile tel des orphelins, une enfance d’agneaux bêlant blonds sur des chars allégoriques… On te voulait vierge, mission, Afrique à genoux fleurissant les églises…

Une différence cependant aujourd’hui, et d’une portée incommensurable. Tu n’habites plus seule ta souffrance et tu le sais.

Du je au nous, récit d’une traversée, de la désolation provoquée par la mise à mort sous toutes ses formes jusqu’à l’apaisement. Traversée qui se clôt par un engagement et une interpellation. C’est debout que tu veux t’habiter, debout parmi les vivants. Tu veux apprendre à dire ‘nous’ comme tu lances appel à témoins

 

 

 

La main hantée

Louise Dupré

Montréal, Éditions du Noroît, 2016

 

 

 

Extrait 1 (p. 26-27)

 

…et tu pleures avec Nietzsche
devant ce vieux cheval
sous les coups de cravache

car la philosophie ne peut rien
contre la cruauté
des maîtres

...

Publié dans l'anthologie Chant de plein ciel - Voix du Québec

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