Cinq poèmes de Thomas Krampf

Par |2021-09-08T14:39:45+02:00 6 septembre 2021|Catégories : Essais & Chroniques, Thomas Krampf|

Diplômé du Dart­mouth Col­lege, Thomas Krampf a ani­mé de nom­breux ate­liers d’écriture auprès d’enfants, de tox­i­co­manes, ain­si qu’en milieu car­céral, et présen­té son œuvre dans les écoles sec­ondaires, les uni­ver­sités et à la radio (Nation­al Pub­lic Radio, à Buf­fa­lo et New York). À Olean, il a durant de nom­breuses années organ­isé des événe­ments lit­téraires avec de pres­tigieux invités (Wen­dell Berry, Gre­go­ry Cor­so, Peter Matthiessen, entre autres).

En 2001, il a été écrivain en rési­dence au Linen­hall Arts Cen­tre de Castel­bar en Irlande. Il a égale­ment été l’un des pre­miers poètes améri­cains à avoir par­ticipé au fes­ti­val lit­téraire d’Eden Mills (Ontario, Cana­da). En 2006, il a aus­si par­ticipé au fes­ti­val lit­téraire « Le print­emps des poètes », à la Rochelle (France). En 2011, il a par­ticipé à un réc­i­tal avec la com­positrice Sun Mi Ro au Houghton Col­lege, dans l’État de New York. Lui et son épouse Françoise, ingénieure à la retraite, après avoir vécu à New York et à Hins­dale dans l’État de New York (pen­dant 40 ans), rési­dent main­tenant près de La Rochelle. Comme l’écrit la poétesse améri­caine Mar­garet Gib­son : « Il est temps que les lecteurs et le monde de la poésie décou­vrent les poèmes de Tom Krampf. Ce dernier est plus sen­si­ble aux sub­til­ités de l’esprit et du cœur que la plu­part. Sa com­pas­sion est rare, et sa capac­ité à enten­dre la musique qui relie chaque mot à un autre dans un poème est sans faille. Cette sélec­tion de poèmes est pointue, courageuse et sincère. » 

Et Neil Bald­win, de con­fess­er : « Depuis plus de trente-cinq ans, j’éprouve une pro­fonde admi­ra­tion pour la tra­jec­toire enchanter­esse des poèmes de Thomas Krampf. Celui-ci est le frère post-mil­lé­naire sage et dérangé de Blake et de Whit­man, qui répond à l’exigence de Pound que poésie = con­den­sa­tion, mais qui reste pour­tant tou­jours le maître du vers chan­tant et traî­nant. Depuis sa retraite rurale et mon­tag­neuse, Krampf per­siste à envoy­er des paroles pour nous rap­pel­er à quel point nous sommes chanceux d’être vivants dans ce monde beau et fracturé. »

Ma ren­con­tre avec Tom Krampf remonte à l’automne 1996. Je venais d’obtenir un poste de lecteur de français à l’Université Saint-Bonaven­ture, aux États-Unis. J’avais tout juste ter­miné un mémoire de maîtrise con­sacré au moine trap­piste et écrivain Thomas Mer­ton (1915–1968), l’auteur de La nuit privée d’étoiles, et souhaitais pour­suiv­re mes recherch­es dans cette uni­ver­sité qui se trou­ve à Olean, dans l’État de New York. Avant de rejoin­dre l’abbaye de Geth­se­mani en 1941, Mer­ton y avait enseigné l’anglais. Cette uni­ver­sité regorge d’archives et je comp­tais bien appro­fondir ma con­nais­sance de cet écrivain. C’est lors d’un événe­ment, dont j’ai oublié la nature, que j’ai ren­con­tré l’épouse de Tom, Françoise, qui m’a alors invité à venir les voir dans leur mai­son d’Hinsdale, à 12 kilo­mètres d’Olean. Je me sou­viens notam­ment de quelques pho­tos au mur : l’une avec Allen Gins­berg (1926–1997) et l’autre avec Robert Lax (1915–2000), poète et ami de Thomas Mer­ton. Le poêle crépi­tait joyeuse­ment en cette fin d’automne, la table était suc­cu­lente et la dis­cus­sion déli­cieuse. Je suis resté à Saint-Bonaven­ture deux ans avant d’aller vivre au Japon. L’année où j’ai quit­té les États-Unis, Tom venait tout juste de pub­li­er ses Shad­ow Poems et j’avais été hyp­no­tisé par ses vers lors d’une lec­ture publique. La poésie de Tom m’a accom­pa­g­né de pays en pays, et puis le moment de les traduire est venu, naturelle­ment, comme dans un état de transe, de con­tem­pla­tion : ce fut une révéla­tion, une néces­sité. Tous les poèmes qui suiv­ent sont tirés de l’édition Select­ed Poems (Salmon Poet­ry, 2013). Astarté (Astarte), Carte de la Saint-Valentin (Valen­tine) et L’automne s’en vient (Autumn Comes Call­ing) ont paru orig­inelle­ment dans Poems to My Wife and Oth­er Women, tan­dis que La médaille The Medal) et À ma fille, Cécile (To My Daugh­ter Cecile) sont tirés de The Sub­way Prayer and Oth­er Poems of the Inner City.

 

 

Astarté

En péné­trant dans les montagnes
elle me dit, comme elle est très passionnée,
de faire atten­tion à elle, et
de ne pas lui tenir la main si fermement,
car ça lui fait mal.

Par­mi les poutres qui tombent, le vis­age d’Astarté
appa­raît à la fenêtre.
Je ne suis pas sûr de pou­voir faire ni l’un ni l’autre.

 

Astarte

Enter­ing the mountains
she tells, as she is very passionate,
to be care­ful with her, and
not to hold her hand so tightly,
because it hurts.

Among the falling beams, Astarte’s
face appears at the window.

I am not sure I can do either.

 

∗∗∗

Carte de la Saint-Valentin

Si gen­til
j’avais pen­sé à t’écrire
le jour de la Saint-Valentin

Une let­tre ou un poème
adorable, ç’aurait été au sujet 
d’un cœur vivant

Un oiseau rouge et dodu
mangeant une graine
dans la neige

 

Valen­tine

If sweet
I had remem­bered to write you
on Valentine’s day

A let­ter or a poem
sweet, it would have been about
a liv­ing heart

A plump red bird
eat­ing seed
in the snow

 

 

∗∗∗

L’automne s’en vient

Toute la nuit
j’ai rêvé, nos lèvres se touchant à peine,
j’étais éten­du près de toi.

Ce matin, ton corps flamboyant
tou­jours obscuré­ment, dans cette chaleur
inac­cou­tumée, et main­tenant si lointain

Atten­dant de festoyer
j’étais un insecte, prenant le soleil,
sur la chair brune et mûrissante
d’une citrouille

Autumn Comes calling

All night long
I dreamt, our lips bare­ly touching,
I was lying next to you.

This morn­ing, your body still
glow­ing dark­ly, in this unseasonable
warmth, and now so far away

Wait­ing to feast
I was an insect, sun­ning itself,
on the dark ripen­ing flesh
of a pumpkin

 

 

∗∗∗

La médaille
à ma fille, Franny

Je suis une enfant et suis éten­due dans un lit-cage.
Je joue avec mes orteils et par­fois avec ma tortue verte.
Il y a une médaille qui pend au cou de mon père
et je tends le bras pour l’attraper.
Je suis une enfant et joue avec une médaille.

Je suis une enfant et suis debout dans le jardin.
Je suis plus grande que les mau­vais­es herbes et tends le bras pour saisir la libellule.
Le jardin s’incline jusqu’à une bar­rière et jusqu’au bruit d’une usine.
C’est un monde que j’entends mais dont je ne sais rien.
Je suis une enfant et joue avec les libellules.

Je suis une enfant et suis par­ti à la décou­verte du monde.
Je cherche la porte qui mène au jardin
mais je n’en trou­ve aucune.
Il me faut pas mal de temps avant de com­pren­dre que je dois continuer.
Je suis une enfant et je cherche une porte.

Je suis une enfant et je suis un homme.
Je me penche au-dessus du lit-cage et la main cherche ma médaille à tâtons.
il y a des inscrip­tions dessus et les doigts se referment
sur l’histoire.
Je suis père et je suis très attaché à cette enfant.

The Medal
To my daugh­ter, Franny

I am a child and I lie in a crib.
I play with my toes and some­times my green turtle.
There is a medal hang­ing from my father’s neck
and I reach for it.
I am a child and I play with a medal.

I am a child and I stand in the garden.
I am taller than the weeds and I stretch for the dragon-fly.
The gar­den slopes away to a fence and the noise of a factory.
It is a world I hear but That I know noth­ing about.
I am a child and I play with dragonflies.

I am a child and I have gone out into the world.
I search for the door back to the garden
But I can find none.
It is a long time before I real­ize that I must go on.
I am a child and I search for the door.

I am a child and I am a man.
I bend over the crib and the hand gropes for my medal.
There are inscrip­tions on it and the fin­gers close
over the story.
I am a father and I care for the child.

[Sub­way Prayer and Oth­er Poems of the Inner City] Thomas Krampf, Select­ed Poems, Salmon Poet­ry, p. 86.

 

∗∗∗

À ma fille, Cécile

Nom­breux sont les miroirs de mon âme
que je fixe du regard
et si boi­teux que je sois
je ne pour­rais t’aimer davantage
tan­dis que tu suis ton cours de danse classique
der­rière ta professeure
et que tu te tords les pieds
de la même manière que je trébuche sur les mots.

To My Daugh­ter, Cecile

Many are the mir­rors of my mind
in which I stare
and lame as I am
I could not love you more
as you go through your bal­let lesson
behind your instructor
and twist your feet
the same way I trip over words.

 

Présentation de l’auteur

Thomas Krampf

Thomas Krampf est l’auteur de huit recueils de poésie: The Divine Genome (Guer­ni­ca, 2017), Select­ed Poems, avec l’essai Per­fect­ing the Art of Falling (Salmon Poet­ry, 2013), Poems to My Wife and Oth­er Women (Salmon Poet­ry, 2007), Tak­ing Time Out: Poems in Remem­brance of Mad­ness (Salmon Poet­ry, 2004), Shad­ow Poems (Ischua Books, 1997), Satori West (Ischua Books, 1987) et Sub­way Prayer and Oth­er Poems of the Inner City (Morn­ing Star Press, 1976). Sa nou­velle col­lec­tion de poèmes, Sea of Per­pe­tu­ity, vient de paraître, avec des illus­tra­tions d’Edith Feuer­stein Schrot (qui a déjà illus­tré les Shad­ow Poems et Satori West) sous la forme d’un chapbook.

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Jean-Marcel Morlat

Jean-Mar­cel Mor­lat est né à Paris en 1970 et a vécu une vie de voy­ages en tant qu’enseignant (États-Unis, Japon, Turquie, Tan­zanie, Angleterre et Émi­rats Arabes Unis). Il réside actuelle­ment au Québec. Il a pub­lié une pre­mière tra­duc­tion en 2016 : Philippe Wam­ba, Par­en­té : l’Odyssée d’une famille en Afrique et en Amérique (2016, Paris, L’Harmattan) et a pub­lié des nou­velles et poèmes en tra­duc­tion au Québec, en France et en Bel­gique (X Y Z : la revue de la nou­velle, Les Ecrits, Tra­ver­sées, Revue Rue saint Ambroise, Revue Phoenix, L’Ampoule). Il a égale­ment traduit La mai­son de poupée, une nou­velle de Kather­ine Mans­field, parue dans Les meilleures nou­velles de Kather­ine Mans­field (Edi­tions Rue saint Ambroise, Paris, 2019), Nunc Dimit­tis, Le Cra­choir de Flaubert, le 18 août 2022, <https://www.lecrachoirdeflaubert.ulaval.ca/2022/08/nunc-dimittis/?fbclid=IwAR0zl7UrvPRj11vwmycTYY5JwUoN1X2RhPDG88nKnnfO7Lo6Dm1rro28w3k Les 5 textes La dernière chan­son de Stan (« Stan’s Last Song »), Ain­si allait la vie («The way Things Were »), Les Brûlis (« The Burnt Woods»), Années cinquante (« Fifties ») et La loi de l’océan (« The Law of the Ocean ») sont tirés du recueil Hard Light (Brick Books, 1998).

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