Cinq poèmes de Thomas Krampf
Diplômé du Dartmouth College, Thomas Krampf a animé de nombreux ateliers d’écriture auprès d’enfants, de toxicomanes, ainsi qu’en milieu carcéral, et présenté son œuvre dans les écoles secondaires, les universités et à la radio (National Public Radio, à Buffalo et New York). À Olean, il a durant de nombreuses années organisé des événements littéraires avec de prestigieux invités (Wendell Berry, Gregory Corso, Peter Matthiessen, entre autres).
Et Neil Baldwin, de confesser : « Depuis plus de trente-cinq ans, j’éprouve une profonde admiration pour la trajectoire enchanteresse des poèmes de Thomas Krampf. Celui-ci est le frère post-millénaire sage et dérangé de Blake et de Whitman, qui répond à l’exigence de Pound que poésie = condensation, mais qui reste pourtant toujours le maître du vers chantant et traînant. Depuis sa retraite rurale et montagneuse, Krampf persiste à envoyer des paroles pour nous rappeler à quel point nous sommes chanceux d’être vivants dans ce monde beau et fracturé. »
Ma rencontre avec Tom Krampf remonte à l’automne 1996. Je venais d’obtenir un poste de lecteur de français à l’Université Saint-Bonaventure, aux États-Unis. J’avais tout juste terminé un mémoire de maîtrise consacré au moine trappiste et écrivain Thomas Merton (1915-1968), l’auteur de La nuit privée d’étoiles, et souhaitais poursuivre mes recherches dans cette université qui se trouve à Olean, dans l’État de New York. Avant de rejoindre l’abbaye de Gethsemani en 1941, Merton y avait enseigné l’anglais. Cette université regorge d’archives et je comptais bien approfondir ma connaissance de cet écrivain. C’est lors d’un événement, dont j’ai oublié la nature, que j’ai rencontré l’épouse de Tom, Françoise, qui m’a alors invité à venir les voir dans leur maison d’Hinsdale, à 12 kilomètres d’Olean. Je me souviens notamment de quelques photos au mur : l’une avec Allen Ginsberg (1926-1997) et l’autre avec Robert Lax (1915-2000), poète et ami de Thomas Merton. Le poêle crépitait joyeusement en cette fin d’automne, la table était succulente et la discussion délicieuse. Je suis resté à Saint-Bonaventure deux ans avant d’aller vivre au Japon. L’année où j’ai quitté les États-Unis, Tom venait tout juste de publier ses Shadow Poems et j’avais été hypnotisé par ses vers lors d’une lecture publique. La poésie de Tom m’a accompagné de pays en pays, et puis le moment de les traduire est venu, naturellement, comme dans un état de transe, de contemplation : ce fut une révélation, une nécessité. Tous les poèmes qui suivent sont tirés de l’édition Selected Poems (Salmon Poetry, 2013). Astarté (Astarte), Carte de la Saint-Valentin (Valentine) et L’automne s’en vient (Autumn Comes Calling) ont paru originellement dans Poems to My Wife and Other Women, tandis que La médaille The Medal) et À ma fille, Cécile (To My Daughter Cecile) sont tirés de The Subway Prayer and Other Poems of the Inner City.
Astarté
En pénétrant dans les montagnes
elle me dit, comme elle est très passionnée,
de faire attention à elle, et
de ne pas lui tenir la main si fermement,
car ça lui fait mal.
Parmi les poutres qui tombent, le visage d’Astarté
apparaît à la fenêtre.
Je ne suis pas sûr de pouvoir faire ni l’un ni l’autre.
Astarte
Entering the mountains
she tells, as she is very passionate,
to be careful with her, and
not to hold her hand so tightly,
because it hurts.
Among the falling beams, Astarte’s
face appears at the window.
I am not sure I can do either.
∗∗∗
Carte de la Saint-Valentin
Si gentil
j’avais pensé à t’écrire
le jour de la Saint-Valentin
Une lettre ou un poème
adorable, ç’aurait été au sujet
d’un cœur vivant
Un oiseau rouge et dodu
mangeant une graine
dans la neige
Valentine
If sweet
I had remembered to write you
on Valentine’s day
A letter or a poem
sweet, it would have been about
a living heart
A plump red bird
eating seed
in the snow
∗∗∗
L’automne s’en vient
Toute la nuit
j’ai rêvé, nos lèvres se touchant à peine,
j’étais étendu près de toi.
Ce matin, ton corps flamboyant
toujours obscurément, dans cette chaleur
inaccoutumée, et maintenant si lointain
Attendant de festoyer
j’étais un insecte, prenant le soleil,
sur la chair brune et mûrissante
d’une citrouille
Autumn Comes calling
All night long
I dreamt, our lips barely touching,
I was lying next to you.
This morning, your body still
glowing darkly, in this unseasonable
warmth, and now so far away
Waiting to feast
I was an insect, sunning itself,
on the dark ripening flesh
of a pumpkin
∗∗∗
La médaille
à ma fille, Franny
Je suis une enfant et suis étendue dans un lit-cage.
Je joue avec mes orteils et parfois avec ma tortue verte.
Il y a une médaille qui pend au cou de mon père
et je tends le bras pour l’attraper.
Je suis une enfant et joue avec une médaille.
Je suis une enfant et suis debout dans le jardin.
Je suis plus grande que les mauvaises herbes et tends le bras pour saisir la libellule.
Le jardin s’incline jusqu’à une barrière et jusqu’au bruit d’une usine.
C’est un monde que j’entends mais dont je ne sais rien.
Je suis une enfant et joue avec les libellules.
Je suis une enfant et suis parti à la découverte du monde.
Je cherche la porte qui mène au jardin
mais je n’en trouve aucune.
Il me faut pas mal de temps avant de comprendre que je dois continuer.
Je suis une enfant et je cherche une porte.
Je suis une enfant et je suis un homme.
Je me penche au-dessus du lit-cage et la main cherche ma médaille à tâtons.
il y a des inscriptions dessus et les doigts se referment
sur l’histoire.
Je suis père et je suis très attaché à cette enfant.
The Medal
To my daughter, Franny
I am a child and I lie in a crib.
I play with my toes and sometimes my green turtle.
There is a medal hanging from my father’s neck
and I reach for it.
I am a child and I play with a medal.
I am a child and I stand in the garden.
I am taller than the weeds and I stretch for the dragon-fly.
The garden slopes away to a fence and the noise of a factory.
It is a world I hear but That I know nothing about.
I am a child and I play with dragonflies.
I am a child and I have gone out into the world.
I search for the door back to the garden
But I can find none.
It is a long time before I realize that I must go on.
I am a child and I search for the door.
I am a child and I am a man.
I bend over the crib and the hand gropes for my medal.
There are inscriptions on it and the fingers close
over the story.
I am a father and I care for the child.
[Subway Prayer and Other Poems of the Inner City] Thomas Krampf, Selected Poems, Salmon Poetry, p. 86.
∗∗∗
À ma fille, Cécile
Nombreux sont les miroirs de mon âme
que je fixe du regard
et si boiteux que je sois
je ne pourrais t’aimer davantage
tandis que tu suis ton cours de danse classique
derrière ta professeure
et que tu te tords les pieds
de la même manière que je trébuche sur les mots.
To My Daughter, Cecile
Many are the mirrors of my mind
in which I stare
and lame as I am
I could not love you more
as you go through your ballet lesson
behind your instructor
and twist your feet
the same way I trip over words.