Cinq visites, plus une
(Rien commun, 2000)
L’intranquille
Hurle dans la nuit – elle crie silencieuse
ment sa nuit – je sais qu’elle hurle – se bat
toute seule contre quoi – ce désarroi
sans objet – sans issue dans la chambre close –
les draps serrés – une fièvre étrange pose
des banderilles – l’oreiller étouffant –
le petit bruit des dents qui choquent – le temps
ne passe plus – une lumière fumeuse
filtre dans le rêve – elle est sous la faucheuse –
sous la menace des tranchoirs – de la hache
de l’ogre aux épis – toujours qui la pourchasse…
Je sais qu’elle hurle, je vois son enfance.
***
L’effrayée
Dans le regard l’énigme du grave temps.
Ma génération. Et combien qui résistent
sans penser à quoi, contre quel adversaire
déjà dans la maison. Démunis devant
le brouillard qui s’assemble – qui tremble vers
les vitres – qui se glisse entre les murs tristes
du quotidien. Qui me regarde se pense
autant qu’il se demande si je le vois
comme lui, avec un mélange d’horreur
et de pitié. Si l’on pouvait voir derrière
ce voile, combien maudiraient leurs parents !
Je te regarde aussi – je souris – j’ai peur.
***
La pensive
Où a‑t-elle à ce point pu défigurer ?…
Quand la marée monte des pleurs, la suffoque,
elle pense à un détail insignifiant…
S’il cligne des yeux de la lumière à l’ombre
la peur monte, t’envahit toute, c’est bête
de rester là… Plusieurs fois tu as tenté
d’aller à contre… Il fait froid même en été
contre cette sylve domestique… Allant
contre elle refait quand même… Elle s’entête
aux tâches domestiques… Qu’a‑t-elle à faire ?…
Ou bien faut-il obtempérer à cet air…
Je ne te sais que trop, petit masque sombre.
***
La lente
Tu vois bien que le vert ne reviendra pas
C’est un avril fichu, un autre printemps
L’acharnement des mouettes fait frissonner
La ville cède par des détails infimes…
Il y a une carie dans le ciment
On voit dans le net la honte d’une langue
Chaque jour qui passe corrompt ses racines
Il y a comme des radicelles pourpres
Dans les yeux la fureur de sa propre fin
Les fondations que l’on voulait oublier
Les chevilles gonflées penchent vers la terre
Elle cherche un mot où être tout entière.
***
L’étourdie
Ma vue me trahit, je n’ai que mes petites
choses, je ne suis plus qu’un arbre de veines,
une « demeure vide » aux coups de boutoir
des ans… Tu ne sais pas combien. Et j’aspire
à tant de choses ! de nouvelles antennes,
et puis je ne sais plus ce qu’on me voulait.
Je ne veux presque rien mais rien ne remplit
Cette vacance, ce froid où je me perds.
Les matins semblent voler avec les merles.
Les soirs me crient : tu devrais chercher ailleurs,
oublier ce qui t’a soutenue, rêvée…
Lis : « perdre sa vie après les oiselets »…
(Purgatoire, XXIII, 3)
***
La somnambule
Regarde la nuit, regarde ce qui bouge
dans le noir. En tristesse tu te retrouves,
mais seule à présent, comme les petits êtres
qui volètent dans l’ombre. Comme il nous est
difficile d’avoir la part de lumière
sans en être la proie. Le désir n’est-il
qu’une proie aveugle et consentante ? Elle a
quitté déjà les prés fleuris de l’attente,
elle a souvent envie de pleurer la nuit,
et le matin devant son café amer,
son trajet, son travail. Regarde le jour !
Nous t’aimons, nous qui te voyons te mouvoir.
°°°
P.S.
Una visita
(per I. T.)
Andiamo sospesi ancora al pensiero di ninfe
sommerse e riemerse vive nei versi.
Il sopravvissuto ci accoglie sorridente
(ci hanno detto, per puro miracolo).
Quale apparizione di che altre scomparse
sarà, non ne sapremo mai nulla.
Non ci è dato di sapere il dove e il quando,
né il chi ci sorride coi pochi denti
(torna a mente il brèche-dents di Frénaud,
tremenda immagine sospesa nel nulla):
(ma che sia lui, l’amico, non dubitare
– e la mia “ninfa” un lutto insanabile).