Claire Kalfon, Nos jours et autres poèmes

 

Nos jours
sont aussi impossibles à compter
que tous les troncs de cette forêt
mère de toutes les forêts
germination perpétuelle

 On peut juste creuser une ride
détacher un morceau d’écorce
suivre le tracé d’une branche
avant le flou serré

 On se souviendra qu’en marchant
on s’est accroché aux ronces
ou bien qu’elles ont tenté
de s’agripper à nos pas

 Parfois la voie était libre
Là-bas on a buté sur une souche
Ici on était aveuglé par un trou de feu
dans la ramure

 On entendait craquer les feuilles
rouler un caillou
On éprouvait un froissement
un craquement

 Et puis on reprenait le chemin
à l’ombre des hallucinations
les poumons ouverts
notre vie en bandoulière

          *

Rêver la mer

J’y entre
comme on fracture une vitrine de magasin
comme on retourne dans le ventre de sa mère
Parfois la nuit est dans le jour
la mer opaque
Parfois le bleu est invincible
sable semoule
brûlant sous la plante du pied
et parasols abritant les fantômes

Une plage où le temps
est devenu un terrain vague
un horizon perdu qui se redessine
et puis j’y vais dans ce lit de mer
sous cet édredon d’écume

 j’y vais

 

                     *

Chaque été
je me retrouve debout sur le plongeoir
dans une immobilité de pantin
prête à en découdre avec les profondeurs

Chaque été
au goût d’orange amère
le ciel me tient lieu de drap
la joie aussi compacte qu’une dune
et pourtant je bois la tasse
au lieu de faire l’étoile de mer

Chaque été
j’évite de regarder le soleil en face
car on a trop de choses à se dire
alors que l’ombre m’accorde le silence
m’offre le sous-bois où toute servitude
prend  la douceur de la mousse

                  *

Il existe une géographie
sans territoire ni langage
un passage d’écluse
sans remise à niveau
une fenêtre sans écran
un endroit non répertorié
non googlelisé ni labellisé 

Je parle d’un ici
jumeau de là-bas
un ici détaché de l’ailleurs

un ailleurs que j’ai posé
sur la table de nuit
accroché au bord des jours
comme un feston

une figure géométrique
où les diagonales se taisent
à leur point d’intersection

  

 

 

 

 

Présentation de l’auteur

Claire Kalfon

Claire Kalfon est  née en 1956 à Oran. Enseignante jusqu’en 2017.

Présidente de l’association du Printemps des poètes Tours. Participe à des lectures et anime des ateliers d’écriture.

 

Bibliographie

Auteure:

Delta, édition Encres Vives, collection Encres Blanches 2016

Poème des intervalles, éditions Unicité 2019

Ici et Pourtant, éditions Unicité, collection Le Vrai Lieu, 2020

Dans le froissé d’une forêt, éditions Unicité collection Le Vrai Lieu, 2022

Une saison blanche, éditions Unicité, collection Le Vrai Lieu, 2023

 

Publications dans les revues : Petite, Le Capital des Mots, Décharge, Friches, Francopolis, Secousse, Recours au Poème, Écrits du Nord, Cairn, Cabaret, La toile de l’Un, Gustave

 

Participation à l’anthologie «  Quel Temps » réalisée par Matthias Vincenot, éditions Unicité, 2023

 

Réalisation de 2 livres d’artistes et collaboration avec des plasticien.ne.s

Autres lectures