Infatigable poète, amoureux du Verbe porteur de sens et de vie, Claude Luezior ne cesse de questionner le réel, ses ténèbres, angoisses, captivités, tyrannies, mais aussi les rêves, leurs étranges visions, pour transgresser le réel, aller au-delà de la raison, s’enfouir dans l’imaginaire, plonger dans des territoires étranges.
Il est en quête de mots et d’images à même de transcrire l’indicible, le magma intérieur, le tourbillon de sensations qui ouvrent vers un nouveau monde que le poète saisit suivant la voie des surréalistes : « on vogue au-delà des rêves transitoires » pour « faire grâce à cet autre moi de tous les impossibles », pour découvrir que « ce monde est aussi prodigue en dons » (Alain Breton).
À travers les ténèbres, errances et les folies de la vie, Claude Luezior va vers la lumière et la jubilation de la vie retrouvées après avoir traversé sa nuit, ses cauchemars, aux prises avec la souffrance, en marge de la folie, dans un merveilleux élan de survivre :
Fureur au démêloir du jour : convoquer l’insolence, survivre dans le sillon fertile de l’imaginaire. Ivresse au matin de la lumière. (Liminaire)
Claude Luezior, Au démêloir des heures, Librairie-Galerie Racine, Paris, 2023, 93 pages, 15 euros.
Il se lance avec ferveur à la quête de l’indicible, dans le réel, l’onirique et l’imaginaire dans un élan libérateur de toutes contraintes et créateur de visions poétiques, s’interrogeant aussi sur la poésie et la condition du poète :
La poésie est-elle oracle ou plain-chant de grands-prêtres, druides ou chamans ?
Leur parole cryptée, si vulnérable, serait-elle délivrance d’un état second que nous portons tous en nous ?
Porteurs d’inachevé, en rupture avec leurs semblables, les poètes sont-ils ces êtres désignés qui tentent désespérément de traduire une langue rescapée du banissement et que nous aurions hérité d’un inconscient originel ?
La mouvance du poète est-elle de mettre des mots sur l’indicible, de tailler avec le burin de son verbe le magma en jachère ?
L’esprit raisonneur du poète se mêle à sa sensibilité poétique qui rayonne dans une expression poétique condensée, mais riche de sens et d’images. L’esprit d’harmonie règne dans la structuration du recueil : Liminaire, une réflexion qui éclaire la démarche du poète, ouvre le livre ; les poèmes sont groupés en séquences et précédés d’une réflexion. Ainsi, les images poétiques coulent telle l’eau de la rivière pour rendre compte de ce que l’on ne peut pas démêler dans l’alliage de la vie et de la mort, de la raison et de la déraison, du visible et de l’invisible des choses.
Le poète semble avoir découvert un autre sens de la vie : aller vers sa lumière, sa beauté, « se gorger d’effervescences. Vivre », dans un élan jubilatoire qui transgresse ses noirceurs, ses saccages et ses morsures, se nourrir de tous les instants de grâce de la vie qui font vibrer le cœur et les imprimer dans le tissu de ses poèmes.
C’est le triomphe de la lumière, sa danse, que le poète célèbre dans ce nouveau recueil, la retrouvaille du goût de la vie dans tout ce qu’elle peut offrir au-delà des déceptions, désillusions, drames et horreurs provoqués par la déraison et la folie des gens. Il faut réapprendre à goûter l’aube et non pas le crépuscule, s’ouvrir au miracle de la nature et de l’amour, se libérer des « résilles de ladéraison » et faire place « aux rires de l’aube », reconquérir son souffle, sa lumière, sa beauté, son innocence, laisser vibrer l’âme, remplir les mots du souffle de l’espoir, goûter sa saveur telle une pulpe rare :
doutes et conquêtes
ont capitulé
par usure des sabres
et s’écroulent
en ruines
espoirs et désirs
et leurs sœurs jumelles
se busculent dans ma rétine
c’est un jour de sucre
de pulpe rare et de blés
manne pour fiançailles
où jubilent
des persiennes ouvertes (Pulpe)
Il suffit de « scander le malheur », nous dit le poète, il faut accueillir la lumière de la vie et s’en réjouir :
pour voir
au-delà
des somnolences
et de la gangue
…………………..
l’arc-en-ciel
qui se chamaille
avec l’ondée
…………………
la couleur
qui pulvérise
ses espoirs
les petits riens
qui butinent
leur amour
pour voir
ce qu’ils disent
au-delà
des indifférences
que l’on accueille
l’indispensable
que l’on aiguise
la lumière .
Il faut aimer la vie, malgré tout, redécouvrir l’émerveillement, ranimer en soi :
la part tarie
de l’accueil
se concentre
l’ivresse
des retrouvailles.
Claude Luezior nous offre un beau livre, avec une belle image de couverture : un corps féminin, dans son rayonnement mystérieux, symbole de la poésie.
Présentation de l’auteur
- Denis Emorine, Comme le vent dans les arbres - 21 décembre 2023
- Gérard le Goff, Les chercheurs d’or - 21 novembre 2023
- Claude Luezior, Au démêloir des heures - 20 octobre 2023
- Claude Luezior, Sur les franges de l’essentiel suivi de Écritures - 4 décembre 2022
- Aurel Pantea, une voix à part de la poésie roumaine - 30 octobre 2022
- Claude Luezior, Émeutes, vol au-dessus d’un nid de pavés - 3 mai 2022
- Yves Namur, N’être que ça - 5 février 2022
- Marian Drăghici, Poèmes - 4 mai 2019