Claude Luezior, Émeutes, vol au-dessus d’un nid de pavés
Esprit humaniste par excellence, Claude Luezior (poète, romancier, essayiste, critique littéraire, amateur d’art) ne cesse d’explorer le quotidien pour dévoiler ses multiples visages avec la même ironie et l’humour si particuliers que l'on trouve dans son œuvre.
Son nouveau livre, Émeutes, tire son inspiration d’une image familière de la rue, l’agora contemporaine en France et ailleurs: les manifestations, forme de contestation, des mécontentements, révolte de la populace contre le pouvoir, avec ses dérapages et un mécanisme social trop contraignant.
Le sous-titre, vol au-dessus d’un nid de pavés, renvoie le lecteur au roman de Ken Kesey Vol au-dessus d’un nid de coucou. Ainsi, le poète annonce-t-il son intention de parodier les « émeutes » qui perturbent la routine par des bagarres, violences et agressions, la riposte du pouvoir étant parfois tout aussi violente et sans solution.
Dès le début du recueil l’auteur nous éclaire sur son intention :
Quand, désespoir au poing, le peuple monte au barricades. Quand sont rongées les entrailles de Prométhée.
Cet opuscule commence comme un manuel du parfait émeutier. Non pas petit livre rouge du dissident mais évocation débridée, noire de flics, contestant parfois les contestataires, quitte à voir un peu jaune (Liminaire).
Claude Luezior, Émeutes, vol au-dessus d’un nid de pavés, Cactus Inébranlable éditions, 2022, 78 p., 10 euros.
Dans son "manifeste" davantage sociologique que politique, Luezior tient à exprimer sa pensée pacifiste, sa méfiance face aux émeutes, dans lesquelles il voit une possible forme de libération collective de ses tensions: « Je déteste l’émeute. Peut-être est-elle libératrice ? ».
Avec son esprit railleur, l’auteur fait paraître les décors et les protagonistes tel un spectacle bruyant avec ses manifestants et ses flics, sorte de happening qui se déroule sur le pavé des métropoles.
Claude Luezior s’interroge sans cesse sur le sens de l’émeute : cri de désespoir, tumulte populaire, consommation de la fureur collective contre les bourgeois, grisaille de la foule, esprit de fronde, révolutionnaire ou guerrier, « pandémie récurrente de quelque projet atavique ». C’est comme une pièce de théâtre où l’on reconnaît l’anarchie et ses personnages, le « carnaval de l’insurrection qui est comme « une peinture baroque sur fond de macadam ».
L’auteur se fait le peintre du spectacle bigarré de la manifestation, les images visuelles et sonores sont prégnantes, le langage persifleur, le verbe saillant pour rendre le dynamisme en quelque sorte cinématographique de l’image, que ce soit le personnage collectif au premier plan ou quelques petites scènes du quotidien.
Voilà un pêle-mêle humain , « une meute hurlante », déchaînée, sans gloire, avec un esprit de vengeance destructeur, oubliant parfois sa propre cause : « Chacun est contre, mais ne sait vraiment « contre » quoi » L’auteur y voit la caricature des révoltes populaires pour la liberté que l’Histoire a connues. Ici, il leur manque parfois un idéal construit, de vrais héros, car elles sont détournées de leur but par des fanfarons et des rebelles de toute sorte.
L’émeute est là, sur les pavés, y perdure ; elle est dans les entrailles de chaque génération et ne disparaîtra pas à l’avenir, sans cesse réinventée par les nouvelles technologies, l’intelligence artificielle et de nouveaux acteurs sociaux.
La peinture de ce réel inquiétant et chaotique, pimentée de renvois précis aux événements récents (assaut du Parlement américain, protestations des gilets jaunes, des anti-vaccins etc.) n’est pas dépourvue de poésie, le rêve de beauté du poète surpassant la noirceur du social.
La peinture de Philippe Trefois sur la première de couverture est en résonnance avec le texte. Ce couple semble plutôt sans identité précise, tels les contestataires du livre de Claude Luezior. L’éditeur a bien choisi cette œuvre picturale qui correspond à la plume piquante de l’auteur.