Ce bref essai consacré à Blaise Pascal est l’occasion, pour l’auteur, de mesurer son rapport à l’écriture — une manière de mourir dans l’Art. Meurt-on par hasard ? Minière joue un coup de dés dans le dos de Mallarmé.
Claude Minière est un traducteur d’Ezra Pound. Il lui a consacré un essai, Pound caractère chinois (l’Infini, Gallimard), qui explore les Cantos, ce texte de feu que Sollers, comme bien d’autres, dont Hemingway, Pleynet, etc., place au centre de ce qui n’a pas de dimension. Ezra Pound est le premier à lire Un coup de dés jamais n’abolira le hasard de Mallarmé à Londres en 1897 : son Cantos est dans la continuité de cette lecture. La filiation est documentée. Et Minière s’invite à la table de jeu.
En effet, « chacune des Pensées émet un coup de dés » écrit Minière à propos de Pascal, reprenant ainsi le dernier vers du poème de Mallarmé, toute pensée émet un coup de dé. Le livre de Minière est bien calé dans ce jeu. Mais il conclut son ouvrage par : « Une main vient se poser doucement sur le front brûlant de Blaise. Ce n’est pas un hasard. » Ainsi la fin ne serait pas un hasard ? Et si la fin n’était pas une fin ? Et si l’œuvre d’art, pour l’écrivain l’écriture élevée dans l’écriture, sauvait de la fin et précipitait la mort dans la vie, brouillant ainsi le jeu ?
Claude Minière, Un coup de dés, Tinbad, Paris, 2019, 58 pages, 11,50 euros.
L’acte d’écrire est une figure géométrique. Blaise Pascal trace ces figures au charbon sur le carrelage de son cabinet de travail et cherche, cherche le point invisible qui est le véritable lieu, le point où tomberont toutes les figures. Les représentations. Comment rendre compte, comment ? En écrivant. En écrivant caché.
Ce que rappelle Minière regardant Pascal, c’est que l’acte d’écrire ne se peut sans dissimulation, qu’il faut tenter l’expérience de la pensée, aux contradictions qu’elle met en jeu (en Jésus-Christ toutes les contradictions sont accordées, rappelle Minière citant Pascal), pour faire advenir ce qui est perdu, insensé. Page blanche, la page 28 du livre : poésie pure, instant pur, vérité comme concept de la seule pensée. Pascal écrit par l’espace l’univers me comprend et m’engloutit comme un point, par la pensée je le comprends. Ainsi il faut écrire sous le manteau, de peur que l’écrit séduisant la pensée échappe : ce que fait Pascal cousant des bouts de papiers dans la doublure de son vêtement, pour s’habiller de la pensée trouvée (sauvée ?). Les fragments, fragments de pensée brassés entre cœur et laine par Pascal, offrent la possibilité de fuir la ligne droite, figure de l’impossible, d’inventer une géométrie du hasard. De refonder l’espérance. Probablement l’espérance… Le point.
On ne peut manquer de VOIR chez Minière, littéralement, l’approche spatiale posée par Pascal, par Mallarmé ensuite, de l’objet littéraire : la page blanche, les espacements différenciés : « Les pensées se suivent et sautent », écrit Minière. De même la pensée écrite. Mallarmé dans Un coup de dés jamais n’abolira le hasard renvoie lui aussi la métrique classique — qu’il aime mais que la réalité brouille —, et fonde une nouvelle métrique faite d’espaces conjugués, d’une nouvelle syntaxe, d’une enflure typographique. Minière note que « l’écrivain préfère répéter dans une variation, que Pascal pratique une méthode de digression sur chaque point qui a rapport à la fin pour la montrer toujours ». Lorsque Pascal écrit sa pensée, il pense son écriture, et si la pensée fuit, il ne tient qu’à connaître son néant. Point de maquillage, « écrire sa pensée est courir légèrement au-dessus du néant ». Mais le silence des espaces infinis est effrayant, et l’écriture sauve en sonnant.
L’ouvrage de Claude Minière brasse récit, biographie, histoire, réflexion personnelle autour de Blaise Pascal, son œuvre ; il porte la marque de feu de l’acte d’écrire. Il s’articule autour d’un bref chapitre qui fixe le prix d’une course au tarif unique (une idée de Pascal pour un transport en commun à Paris au XVIIe siècle), métaphore du prix à payer, identique pour chacun, du passage de la ligne au point (de l’écriture convenue à l’Art pour l’écrivain) ; c’est une bascule dont l’issue est dans un coup de dés. Retenons notre souffle. Le hasard est maître (mètre), le dé roule et découvre le nombre. Si le hasard appartient à la certitude, Claude Minière suggère qu’une main providentielle le guide.
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