Claude Vigée : la disparition d’un grand poète
Immense auteur, Claude Vigée vient de décéder à l’âge de 99 ans. Né à Bischwiller en Alsace, il avait enseigné quarante ans la littérature comparée en Nouvelle Angleterre et à l’université hébraïque de Jérusalem avant de venir s’installer à Paris. En 1996, il avait obtenu le Grand prix de poésie de l’Académie française et, en 2008, le prix Goncourt de la poésie.
Que retenir de son œuvre importante de poète, essayiste, conteur, diariste, traducteur (notamment de Rilke), marquée par un grand électisme, car ses livres sont souvent des ouvrages patchwork mêlant différents genres littéraires ? Pour Claude Vigée, l’écriture était une nécessité vitale. « Il s’oppose à une conception du poème comme objet esthétique affranchi de son ancrage existentiel », notait Anne Mounic dans la préface à la publication de ses œuvres complètes.
C’est le fond rural alsacien, relayé ensuite par la poésie biblique, qui donne à la poésie de Claude Vigée cette vigueur existentielle ancrée dans la substance terrestre de l’être.
D’où, chez le grand auteur juif,
une aptitude au réel et cette méfiance à l’égard de l’abstrait, fruit d’une expérience composite, qui fonde la vigueur de ses poèmes.
Explication du texte "Les Orties Noires" par son auteur. Interview réalisé à Paris, en 2013, Sectionvideocch.
S’il fallait rapprocher Claude Vigée de certains poètes contemporains, on pourrait donc citer Reverdy, Bonnefoy, Jaccottet ou encore Guillevic. « Rien n’arrive, sinon/Etre présent au monde », résumait laconiquement Claude Vigée dans un de ses poèmes. « La poésie, disait-il encore, passe parfois à travers les pires horreurs de l’histoire, et permet d’éprouver malgré tout l’extase sur les décombres » (Le fin murmure de la lumière, éditions Parole et Silence, 2009).
Les poètes, disait-il encore, ressemblent à ces chevaux de halage que j’ai vus remonter le cours du Rhin dans mon enfance : ils soufflent et ils souffrent, mais obstinément ils marchent en traînant leurs bateaux chargés de charbon ou de graviers jusqu’au terme du long voyage de la vie.
L'après-midi poétique du 10 mars 2012 fut couronnée par une lecture de poèmes de Claude Vigée, en mars 2018, "atelierGuyAnne", http://revuepeut-etre.fr.
Claude Vigée avait trouvé dans la Bible sa référence et sa source. Les figures de Jacob, Job et Jonas ont notamment marqué son imaginaire. Dans son œuvre, il nous a montré ce que pouvait être l’espérance lorsqu’elle survit, « malgré nous, malgré tout », au lucide et terrifiant constat de « la démence meurtrière des hommes ». L’œuvre poétique était alors, selon lui, au service d’une aventure qui la dépassait infiniment : transmettre la vie. « Le secret de l’arrachement/c’est ce parfum qui subsiste/et œuvre avec patience/sous la neige hors du temps/comme le cri du rouge-gorge/caché au cœur de l’hiver/dans la floraison blanche/de l’amandier invisible », écrivait Claude Vigée, en décembre 1995, à Jérusalem.
Yvon Le Men reçoit Claude Vigée, le 21 août 2008, Bibacheres.
Face au doute et à la désespérance qui hante les auteurs dont l’œuvre est fondée sur le refus et la négation, Claude Vigée opposait l’affirmation d’une confiance lucide dans la vie et dans le langage. « Qu’est-ce donc que la poésie » ? interrogeait-t-il. « Un feu de camp abandonné/qui fume longuement dans la nuit d’été/sur la montagne déserte ».
A lire, L’homme naît grâce au cri, poésies choisies (1950-2012), Points Seuil, 336 pages, 7,8 euros ; Mon heure sur la terre, poésies complètes (1936-2008), Galaade éditions, 925 pages, 39 euros.
Lecture musicale, Claude Vigée, Le veilleur, Bibliothèques Idéales, 2017.