Claudia Azzola, Poemetto delle api e ciclo degli insetti / Poème des abeilles et cycle des insectes

Par |2022-05-06T10:26:11+02:00 3 mai 2022|Catégories : Claudia Azzola, Critiques|

On pour­rait qual­i­fi­er l’ouvrage de « pla­que­tte », un doc­u­ment que l’on dis­tribue, par exem­ple, gra­tu­ite­ment, lors d’une expo­si­tion tem­po­raire ; mais, à mon avis, il s’agit de bien plus que cela : cet ouvrage est le témoignage d’une vraie ami­tié intel­lectuelle entre Clau­dia Azzo­la et Jean-Charles Veg­liante qui écrivent et traduisent, tout en étant sen­si­bles à la forme typographique des textes et au choix des mots1.

Obser­vons d’abord l’objet car il est très joli à voir. Sous la direc­tion artis­tique de Ren­zo Dis­perati, la cou­ver­ture est d’une grande qual­ité d’impression pour y accueil­lir les dessins de Chloé Menous et, en 4 de cou­ver­ture, un extrait de La Com­me­dia de Dante Alighieri, tiré du « Par­adis » XXXI, vv.7–9, est traduit par Jean-Charles Veg­liante2. Et cet objet est aus­si (voire surtout) d’une très grande qual­ité de mise en page typographique : la longueur des vers et leurs décroche­ments sont fidèle­ment repro­duits dans la ver­sion orig­i­nale et surtout dans la tra­duc­tion en français.

Ces huit poésies sont en fait issues de la pre­mière par­tie du recueil de Clau­dia Azzo­la inti­t­ulé Tutte le forme di vita, ed. La vita felice, 2020. C’est Sil­vio Aman qui le présente en France et en pro­pose, à l’occasion, des extraits en français dans le site « Terre à ciel »3.

Pou­voir lire au moins deux tra­duc­tions d’un même texte orig­i­nal est une expéri­ence enrichissante. L’objectif n’est pas de défendre l’une ou l’autre, bien enten­du. Ce que je pro­pose est plutôt une invi­ta­tion à l’observation (comme lorsque l’on prend une loupe d’agrandissement) afin de réfléchir à l’acte de tra­duc­tion (et donc à l’écriture dans une autre langue de ce que l’on com­prend ou perçoit de la ver­sion originale).

Com­par­er un texte orig­i­nal avec plusieurs de ses tra­duc­tions met inévitable­ment en lumière des choix de tra­duc­tion. Obser­vons par exem­ple, le dernier vers de l’une des poésies en ital­ien (e il bom­bo* e la bom­bar­da** ter­ra.). Clau­dia Azzo­la a placé deux astérisques pour don­ner des infor­ma­tions sur les mots « bom­bo » et « bom­bar­da » en pied de page. Ses notes sont traduites par Jean-Charles Veg­liante qui ajoute, entre par­en­thès­es car­rées, une infor­ma­tion sup­plé­men­taire « [Les deux ter­mes, en it. Bom­bo et Bom­bar­da, du lat. Bom­bus, “bruit sourd”] ». On com­prend implicite­ment que la philolo­gie est un élé­ment impor­tant dans son choix de tra­duc­tion. Ces deux mots sont égale­ment com­men­tés par Sil­vio Aman qui se réfère à un insecte et à des instru­ments : «  “bom­bo”, bour­don (insecte : bum­bus ter­restris) mais aus­si à la bom­barde, à dou­ble valeur séman­tique, comme instru­ment à vent et instru­ment de guerre. ». Les deux tra­duc­tions vont for­cé­ment être dif­férentes puisque l’une va être davan­tage sen­si­ble au bruit (et le gros bour­don bombi­nant et la bom­barde terre) en faisant le choix d’ajouter les mots « gros » et « bombi­nant », pour recréer un effet d’harmonie imi­ta­tive ou sug­ges­tive d’un bruit d’une grande inten­sité (les allitéra­tions en /b/ et en /o/) que le lecteur va attribuer à l’insecte, tan­dis que l’autre tra­duc­tion (et le bour­don et la bom­barde terre.) va être sen­si­ble seule­ment au « mot à mot » pour que le sens caché de l’original reste caché dans la traduction.

Bien enten­du, la tra­duc­tion « mot à mot » est, comme on peut sou­vent le lire, la plus « fidèle ». Mais… elle est fidèle à quoi ? Aux mots, ou à leur sur­plus de sig­ni­fi­ca­tion qu’ils organ­isent dans le texte poé­tique ? Selon moi, la tra­duc­tion est « fidèle » quand elle est capa­ble de trans­met­tre le sur­plus de com­mu­ni­ca­tion de l’original. Et il est donc légitime d’ajouter des mots dans la tra­duc­tion car ils ne mod­i­fient pas ce que « dit » implicite­ment le texte d’origine.

À l’inverse, lorsque les mots n’organisent pas un sur­plus de com­mu­ni­ca­tion, la tra­duc­tion « mot à mot » est vrai­ment la bien­v­enue. Lisons par exem­ple le pre­mier vers tiré de la même poésie (Ques­ta è la legge del­la ver­ità,). La tra­duc­tion de Veg­liante (Ceci est la loi de la vérité)  reprend mot pour mot la ver­sion orig­i­nale. Il est alors très éton­nant, dans ce cas, de penser à chang­er la nature gram­mat­i­cale des mots ou la syn­taxe. Pour­tant, c’est ce que donne à lire la tra­duc­tion de Aman (Voici la loi de la vérité). Pourquoi rem­plac­er le démon­stratif « ques­ta » par l’adverbe « voici » ? Pourquoi trans­former la propo­si­tion com­plé­tive par une propo­si­tion nom­i­nale ? Qu’est-ce que ces change­ments appor­tent sinon de dire autrement ce qui peut être dit de la même façon ?

À par­tir de ces axes d’observation, voici le texte orig­i­nal et ses deux tra­duc­tions dans leur inté­gral­ité au cas où un lecteur ou une lec­trice voudrait s’amuser en autonomie à repér­er les autres différences :

 

Ques­ta è la legge di verità,
tra lo stan­tio e il rinnovarsi:
hai una for­ma, fal­la sbocciare,
come la rosa mun­di, rosa gallica,
ver­sicŏlοr, e sper­an­za fior del verde,
le cose si for­mano da sole,
come l’insetto gial­lo sot­to il sole,
esalti­amo i momen­ti del­la gloria,
e il bom­bo e la bom­bar­da terra.

Voici la loi de vérité                                                  
entre le suran­né et le renou­veau :                              
ta forme à toi, fais qu’elle s’épanouisse,
comme la rosa mun­di, rosa gallica,
ver­si­col­or, et sper­an­za fior del verde,
les choses pren­nent leur forme,
comme l’insecte jaune en plein soleil,
élevons donc les temps de la gloire,
et le bour­don et la bom­barde terre. (SA)

Ceci est la loi de la vérité,
entre le ran­ci et le renouveau :
tu as une forme, fais-la éclore,
comme la rosa mun­di, rose gauloise,
ver­sicŏlοr, et espérance qui ver­doie encore,
les choses se for­ment toutes seules,
comme l’insecte jaune sous le soleil,
exal­tons les moments de la gloire
et le gros bour­don bombi­nant et la bom­barde terre. (JCV)

 

Les vari­a­tions gram­mat­i­cales sont bien enten­du envis­age­ables mais, selon moi, elles sont néces­saires seule­ment pour respecter les règles gram­mat­i­cales de cha­cune des langues. Un extrait d’une autre poésie peut illus­tr­er notre pro­pos : (Nel frat­tem­po umore è muta­to / del gat­to che svol­ta la stradina/). Les deux tra­duc­tions présen­tent des vari­a­tions gram­mat­i­cales “(Entretemps les humeurs ont changé / du chat tour­nant la ruelle /)” et “(Entre-temps l’humeur a changé / du chat qui tourne dans la ruelle /)”. Cela dit, l’une trans­forme le sin­guli­er (umore) en pluriel (les humeurs) et trans­forme la syn­taxe (il est légitime de se deman­der ce que sig­ni­fie en français « chat tour­nant la ruelle ») ; l’autre n’ajoute que la pré­po­si­tion (dans) car elle est indis­pens­able en français.

Nous le voyons bien, traduire, c’est avant tout savoir créer un juste équili­bre entre une langue et une autre. Comme la vraie ami­tié, en somme.

Notes

[1] Et ce n’est pas la pre­mière fois que Jean-Charles Veg­liante traduit les poésies de Clau­dia Azzo­la. L’une de ses poésies, tirée du recueil Il mon­do vivi­bile, 2016, fig­ure dans son antholo­gie de poésies ital­i­ennes traduites en français inti­t­ulée Amont dévers (« Tout devient vieux si vite ») à côté, par exem­ple, de poésies de Euge­nio Mon­tale ou de Gior­gio Caproni, https://www.recoursaupoeme.fr/amont-devers-douzieme-livraison/). Sig­nalons aus­si d’autres tra­duc­tions en français par Angèle Paoli tirées du même recueil https://www.terreaciel.net/Le-monde-vivable-extraits-de-Claudia-Azzola#.YTdt1I4zY2w.

[2] Jean-Charles Veg­liante, La Comédie: poème sacré, Gal­li­mard, 2012 puis, 2021.

[3] https://www.terreaciel.net/Toutes-les-formes-de-la-vie-de-Claudia-Azzola-par-Silvio-Aman#.YTdivo4zY2w

Présentation de l’auteur

Claudia Azzola

Clau­dia Azzo­la, poète, auteure  et tra­duc­trice, a pub­lié plusieurs recueils de poésie.  Ses poèmes sont pub­liés, en tra­duc­tion française, dans des mag­a­zines en ligne et papi­er en France, et d’autres poèmes ont été traduits au Roy­aume-Uni. Elle par­ticipe annuelle­ment au Cahi­er mul­ti­lingue “Traduzione­tradizione” con­sacré à la ver­sion du monde poé­tique des auteurs européens con­tem­po­rains et historiques. 

 

Bib­li­ogra­phie

Ritrat­ti, Cam­pan­ot­to, 1993.

Viag­gio sen­ti­men­tale, un petit poème pub­lié par Book, 1994.

Il col­ore del­la sto­ria, Cam­pan­ot­to, 2002.

È mia voce tra­man­dare, Signum Edi­zioni d’Arte, 2004.

Il poe­ma inces­sante, Tes­tuale, 2007.

La veg­lia d’arte, La Vita Felice, 2011.

Ses poèmes ont été pub­liés dans des revues et des antholo­gies, notam­ment Ver­si d’amore di autri­ci ital­iane con­tem­po­ra­nee, Cor­bo e Fiore, 1982 ; Antolo­gia del­la poe­sia erot­i­ca con­tem­po­ranea, Atì Edi­tore, 2006 ; Chi ha pau­ra del­la bellez­za ?, édité par Toma­so Keme­ny, Arcipela­go, 2010.

Poèmes choi­sis

Autres lec­tures

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Valérie T. Bravaccio

Valérie T. Bravac­cio est enseignante cer­ti­fiée d’italien à l’académie de Ver­sailles. Elle est l’auteure d’une Thèse de doc­tor­at sur le lyrisme de Edoar­do San­guinet­ti (2007) et d’une Maîtrise sur la tra­duc­tion des poésies en français de Gior­gio Caproni (2001). Elle a con­tribué à De la prose au cœur de la poésie (2007) entre autres sur Charles Baudelaire.

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