A la suite d’un séjour à la maison Jules-Roy Claudine Bertrand s’inspire de ses impressions sur Vézelay et les paysages du Morvan qui l’entourent pour produire des poèmes de tonalité et longueur différentes.
Les titres au sommaire montrent que l’inspiration et la réflexion ont trouvé des sources variées, notamment dans les lieux : « Le Cimetière », « Banc public », « Le Marché ».
Dès l’incipit le champ lexical révèle l’envoûtement exercé par le lieu sur la poète qui avoue : « Je perds pied » et cela dans un « Décor insolite », « une mer enivrante : « Vézelay / Aventure hallucinante ». Vers courts formant de nombreux distiques et phrases nominales traduisent une forte émotion-source.
Le second texte, « Alphabet sous la pluie » retrace une conscience du travail en train de se faire, une performance de « stances » et de hiéroglyphes » qui nourrit l’intérieur et le pénètre d’un mystère. La chambre est un sanctuaire avant l’appel extérieur, celui de la rue.
Claudine Bertrand, Sous le ciel de Vézelay, L’Harmattan, collection Accent tonique, 2020, 79 pages, 12 euros
Ainsi le lecteur, comme l’a fait la résidente elle-même, attend-il beaucoup de la suite, convaincu par la paix et la lumière qui définissent « ce lieu sacré » « Où la parole devient poésie » :
J’entrevois une lueur
Toujours interminable
Comme Marco polo
Explorant un nouveau monde
L’énergie de Claudine Bertrand est stimulée par « l’opéra » qui naît du paysage et il faudrait plusieurs pages pour rendre compte des conséquences poétiques de cette magie. Quelques pistes suffiront à donner l’envie de découvrir le recueil.
Il faut savoir déjà qu’à Vézelay « Madeleine veille » sur la colline chère aux écrivains et créateurs auxquels la poète va rendre hommage en créant une sorte de reportage poétique. « En communion avec les pierres » et les pèlerins qui se dirigent vers Compostelle, séduits par Vézelay et son « temps / qui passe au ralenti » grâce à la sainte qui fut la « première au tombeau ».
La poète met ses pas dans ceux de ses prédécesseurs et de ses disparus et « cherche / Strophes toujours fuyantes » quand tercets et quatrains se succèdent, dans la magie des mots, pour percer les secrets du « banc public » de la Maison Jules-Roy et de ses jardins qui rendent urgente l’écriture. Mais celle-ci est difficile et demande de dépasser l’état de recueillement pour se laisser inspirer par l’écrivain « aux livres immenses » et être à l’écoute de la voix de l’ange intérieur.
Au mitan de l’opus monte la fièvre créatrice et un poème comme « D’une aube à l’autre » n’est pas, avec « l’oisillon blessé » et la mauvaise herbe, sans rappeler le pittoresque poétique de Colette quand elle parle de sa Bourgogne. Une plongée spatio-temporelle, pour celle qui « défie les nuages », stimule cette fièvre en même temps que les promenades et la liste des amis poètes qui méritent un quatrain :
Bernard Noël Zéno Bianu
Valérie Rouzeau
Sans oublier William Cliff
Guy Goffette Robert Desnos
Autant de voix comme aussi autant de langues pour autant de siècles de littérature et d’art à l’occasion de ce séjour dans « Vézelay encore et toujours », cité « Inexpugnable » d’Histoire et de religion.
Le rythme régulier de l’écriture mime, par son incantation, celui des litanies et du temps dévolu à ce « voyage initiatique ».
Dans la barque du voyage
Un bleu étourdissant
Aspire à sa propre voix
Tanguée par les vagues de la vie
Teintée de violenceJ’apprivoise cette Basilique
Livres de pierres et de lumière
Ainsi Claudine Bertrand, définitivement imprégnée de cette ville magique, lieu de sa renaissance, a‑t-elle bien accompli sa mission de poète-pèlerin en ajoutant au silence sacré, interrompu par les cantiques de la foule réunie dans la Basilique, une parole lénifiante qui magnifie les mots.
Présentation de l’auteur
- Gérard Pfister, Autre matin suivi de Le monde singulier - 6 septembre 2024
- Jean-Pierre Vidal, Fille du chemin - 6 mars 2024
- Eric Dubois, Paris est une histoire d’amour suivi de Le complexe de l’écrivain - 5 octobre 2023
- Un hommage à Colette, poète - 6 juillet 2023
- Estelle Fenzy, Boîtes noires - 19 mars 2023
- Un hommage à Colette, poète - 1 mars 2023
- Bruno Marguerite - 1 mars 2023
- Claudine Bertrand, Sous le ciel de Vézelay - 19 octobre 2020
- Claudine Bohi, L’Enfant de neige - 6 avril 2020
- Philippe Thireau, Melancholia - 5 février 2020
- Hélène Dorion, Tant de fleuves - 17 février 2017
- Dana SHISHMANIAN, Les Poèmes de Lucy - 25 janvier 2017
- Gabrielle Althen, Soleil patient - 19 décembre 2016
- Philippe Delaveau, Invention de la terre - 11 novembre 2016
- Jacques Ancet : Les Livres et la vie - 29 mai 2016
- Françoise Ascal : Des Voix dans l’obscur - 19 mars 2016
- Fil de lecture de France Burghelle-Rey : sur Claudine Bertrand, Nicole Brossard, Laura Vasquez - 23 novembre 2015
- Dominique Zinenberg : Fissures d’été, - 18 novembre 2015
- Denis Heudré : Bleu naufrage — élégie de Lampedusa - 7 octobre 2015
- Petr Král par Pascal Commère - 10 mai 2015
- La Lumière du soir, Marwan Hoss - 30 novembre 2014
- Geneviève Huttin, Une petite lettre à votre mère - 8 octobre 2014
- Claudine Bertrand, Rouge assoiffée - 21 juin 2014
- Denise Desautels, Sans toi, je n’aurais pas regardé si haut - 29 avril 2014
- Gérard Pfister, Le temps ouvre les yeux - 23 mars 2014