Claudine Bohi, L’Enfant de neige
Le dernier recueil de Claudine Bohi, lauréate en 2019 du Prix Mallarmé, est illustré par sept magnifiques peintures aériennes d’Anne Slacik dont la couverture elle-même. Le blanc, mêlé à des variations de bleu et de vert, y est celui des nuages mais aussi de la neige.
Un texte liminaire annonce dans ce sens : « Entrer dans la neige / aller au blanc… » et ouvre un prologue, « La Porte de la neige ». Puis mystère, inconnu et paradoxe définissent l’incipit comme une accroche pour la lecture :
Il y a dans la neige
un trouune porte de brume
où ce qui brille est une absenceon ne sait de qui
cette absence est du monde
la chose la plus ignoréela mieux partagée
pourtant
Claudine Bohi, L’Enfant de neige,
L’herbe qui tremble, 2020.
Le récit d’une absence commence et la langue elle-même, par « cette hésitation des mots », en témoigne. Il s’agit d’avancer dès le premier volet qui s’intitule « Les mots sont des pas sur la neige ». L’exergue de Serge Pey définit cette vocation dont la nature et ses habitants sont les adjuvants : « sous chaque lettre / une musique du grand infini / nous appelle ».
La neige, ce sont des traces, c’est un léger bruit ; une merveille, dans le silence de la nuit, qui « atténue la menace » et de son blanc naît l’infini. L’enfant qui naît va faire naître, lui aussi, un langage. Mettre au monde et créer, pour la poète, sont intimement liés.
Les mots apparaissent comme des flocons composant des vers brefs au rythme léger et au cœur d’un espace qui se veut souvent aéré :
la nuit est tombée
de ce côté du sensd’un coup se lève
une blancheur internele temps a défait ses lacets
s’échappe de lui-même
Après des variations sur les mêmes motifs qui ont apporté le calme, un deuxième volet, au titre éponyme, s’ouvre sur l’in-fans silencieux à qui justement la neige ressemble. Comme celui-ci qui « marche vers son nom » et vers la parole, la narratrice s’en va vers le pays des mots où se trouve « un puits / où chercher la langue » malgré glissements et dérapages et à l’aide de la main.
Il y a aussi le regard de l’enfant qui, bientôt, va « informer les mots ». Le premier regard qui doit être toujours celui de la poète. Il s’agit alors d’hésiter peut-être mais surtout de redessiner le monde nouvellement perçu en recommençant sans cesse la parole car
entre ton corps
et tes mots
un pont
toujours est à reconstruire
Des images délicates ponctuent un texte qui se cherche à la fois dans la douceur et la douleur : l’oeil de l’enfant est une « plage inconnue », la parole est « un collier de chair ». On peut lire également la « fourrure des mots ».
Puis, après une clôture sur l’attente de « quelqu’un », le troisième volet s’ouvre sur un espace-temps pour une nouvelle variation nommée « Secret de la neige ». En effet il y a avant le blanc, il y a les «autres blancheurs» et toujours « l’étonnement » devant cette magie indéfinissable. La neige n’est-elle pas synonyme de confiance, d’identité enfin trouvée avec ce blanc qui « réconcilie.../ qui réunit ». Elle fait bouger le coeur, elle fait vivre et apporte la joie. L’anaphore « il neige » tombe alors harmonieusement sur la page comme un flocon pour chacun qui a justement sa « part de flocon » selon les mots du dernier titre et ceux de l’incipit :
il neige
on cherche la merveille
il neige
quelqu’un dans ton corps
s’envolec’est ta part de flocon
La part des mots aussi, peut-on dire, sur la neige de la page qui est du « silence parlé ». Tout se mêle : l’enfant, sa naissance, celle du langage, le blanc, avant et entre les mots, qui « recule / vers sa propre lumière ».