Conceição Evaristo, est une écrivaine afro-brésilienne, née le 29 novembre 1946, dans une favela de Belo Horizonte, dans le Minas Gerais. Issue d’une fratrie de 9 enfants, elle aide sa mère à la maison, et travaille comme domestique dès l’âge de 8 ans, mais a la chance d’aller à l’école et de vivre dans un milieu qui l’aime et nourrit son amour des contes :
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photo : Pablo Saborido/CLAUDIA
Je ne suis pas née entourée de livres, j’insiste. C’est dans le temps et l’espace que j’ai appris depuis l’enfance à cueillir les mots. Notre maison était dénuée de biens matériels mais habitée par les mots. Ma mère et ma tante étaient de grandes conteuses, mon vieil oncle était un grand conteur, nos voisins et amis contaient et racontaient des histoires. Chez nous, tout était raconté, tout était motif de prose-poésie .
En 1973, elle réussit à passer un concours pour devenir enseignante : elle enseignera à Rio de Janeiro, dans des écoles primaires publiques, avant de reprendre des études de lettres, à 40 ans, avec une belle ténacité. Elle est la seule de sa famille à faire des études universitaires — elle accède même à un doctorat de littérature comparée en 2011.
Autodidacte,Conceição Evaristo écrit poèmes, nouvelles et romans, et lit énormément, également en français, les oeuvres d’Aimé Césaire, Léopold Senghor, Edouard Glissant, Maryse Condé, Michel de Certeau et Frants Fanon.
Figure emblématique de la littérature afro-brésilienne, qui cherche à réhabiliter les mémoires issues de l’esclavage, elle écrit pour les minorités – les pauvres vivant dans les quartiers défavorisés, les noirs issus d’esclaves, en butte au racisme, les femmes soumise à la violence, les exclus d’une société blanche encore empreinte des habitudes et des préjugés du colonialisme :
En tant que femme noire, on attend de moi que je sois bonne au lit, bonne cuisinière, bonne danseuse mais sûrement pas écrivain, intellectuelle et productrice de savoirs.
Dans ses ouvrages, elle mélange régulièrement fiction et réel, et réinvente les histoires oubliées. Le roman Banzo, mémoires de la favela, largement inspiré de l’expérience personnelle de Conceição Evaristo, est un bon exemple de ce qu’elle appelle « l’écrit-vie » : la transformation et l’intégration des souvenirs individuels des gens qu’elle a connus en une seule et même mémoire collective.1Les premiers écrits de Conceição Evaristo ont été publiés en 1990 dans le recueil d’œuvres littéraires afro-brésiliennes Cadernos Negros.
Une sélection de sa poésie a été publiée en français en 2019, dans une traduction de Rose Mary Osorio et de Pierre Grouix, en édition bilingue chez des femmes / Antoinette Fouque, sous le titre Poèmes de la mémoire et autres mouvements.
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Choix de poèmes extraits de Poèmes de la mémoire et autres mouvements, traduit du portugais (Brésil) par Rose Mary Osorio et Pierre Grouix, édition bilingue, des femmes- Antoinette Fouque, 2019 — avec l’aimable autorisation de l’éditrice.
Il faut se souvenir (p.16)
La mer vagabonde houleuse sous mes pensées
La mémoire féroce lance son gouvernail :
il faut se souvenir.
Le mouvement de va-et-vient dans les eaux-souvenirs
de mes yeux baignés de larmes me submerge de vie,
salant mon visage et mon goût.
Je suis une éternelle naufragée,
mais les profondeurs des océans ne m’effraient
ni ne m’immobilisent.
Une passion profonde est la bouée qui me tient hors de l’eau.
Je sais que le mystrère subsiste au-delà des eaux.
Recorda é preciso
O mar vagueia onduloso sob os meus pensamentos
A memòria bravia lança o leme :
Recordar é preciso.
O movimento vaivém nas águas-lembranças
dos meus marjados olhos transborda-me a vida,
salgando-me o rosto e o gosto.
Sou eternamente náufraga,
mas os fundos oceanos nâo me amedrontam
e nem me imobilizam.
Uma paixâo profunda é a bóia que me emerge.
Sei que o mistério subsiste além das águas.
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Certificat de décès (p. 29)
Les os de nos ancêtres
cueillent nos larmes pérennes
pour les morts d’à présent.
Les yeux de nos ancêtres,
étoiles noires teintées de sang,
s’élèvent des profondeurs du temps
prenant soin de notre mémoire meurtrie.
La terre est couverte de fosses
et à la moindre inattention de la vie
la mort est certaine.
La balle ne manque pas sa cible, dans le noir
un corps noir chancelle et danse.
Ce certificat de décès, les anciens le savent,
a été gravé depuis le temps des négriers.
*
Moi-Femme (p 37)
Une goutte de lait
coule entre mes seins.
Une tache de sang
orne mon entrejambe.
Un demi-mot mordu
s’échappe de ma bouche.
De vagues désirs insinuent des espoirs.
Moi-femme toute en rivières rouges
j’inaugure la vie.
A voix basse
je violente les tympans du monde.
Je prévois.
Je prédis.
Je pré-vis.
Avant – maintenant – tout ce qui arrivera.
Moi femme-matrice.
Moi force-motrice.
Moi-femme
abri de semence
mouvement perpétuel
du monde.
*
Voix-femmes (p. 39)
La voix de mon arrière-grand-mère
a fait écho à une enfance
dans les cales du navire.
A fait écho aux lamentations
d’une enfance perdue.
La voix de mon aïeule
a fait écho à l’obéissance
aux Blancs-maîtres de tout.
La voix de ma mère
a fait écho tout bas à la révolte
au fond des cuisines des autres
en-dessous des piles
de linge sale des Blancs
par le chemin poussiéreux
menant à la favela.
Ma voix fait encore
écho aux vers perplexes
avec des rimes de sang
et
de faim
La voix de ma fille
emprunte toutes nos voix,
recueille en elle
les voix muettes tues
étouffées dans nos gorges.
La voix de ma fille
recueille en elle
la parole et l’acte.
Le passé – l’aujourd’hui – le présent.
La résonance se fera entendre
dans la voix de ma fille
L’écho de la vie-liberté.
*
La Nuit ne ferme pas les yeux dans les yeux des femmes (p.43)
en mémoire de Beatriz Nascimento
La nuit ne ferme pas les yeux
dans les yeux des femmes,
la lune femelle, notre semblable,
telle une vigie attentive, surveille
notre mémoire.
La nuit ne ferme pas les yeux
dans les yeux des femmes,
il y a plus d’yeux que de sommeil
où les larmes suspendues
virgulent le laps de temps
de nos souvenirs humides.
La nuit ne ferme pas les yeux
dans les yeux des femmes
des vagins ouverts
retiennent et expulsent la vie
où les Ainás, Nzingas, Ngambeles
et autres petites filles lunes
éloignent d’elles et de nous
nos calices de larmes.
La nuit ne fermera jamais les yeux
dans les yeux des femelles
puisque dans notre sang-femme
dans notre liquide mémoire
en chaque goutte qui jaillit
se trouve un fil invisible et fort
cousant patiemment le filet
de notre résistance millénaire.
Entretien avec Conceição Evaristo chez Fanchette Bourblanc du collectif Brésil-Rennes.
En collaboration avec Marie-Anne Divet de Histoires Ordinaires.
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Poèmes de la mémoire et autres mouvements, traduction de Rose Mary Osorio et de Pierre Grouix, en édition bilingue chez des femmes / Antoinette Fouque, 2019
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Notes