Contre-allées, n. 39–40

La revue Contre-allées a vingt ans, nous rappelle Romain Fustier dans son édito, consacré – et nous y sommes sensibles à Recours au Poème - au revuiste autant qu’aux poètes qui confient leurs textes aux revues. Comment ne pas partager son interrogation sur ces animateurs de l’ombre dont « restent des corps qu’étreint parfois la fatigue, que traversent les doutes » ?

Et comment ne pas souscrire à l’acte de foi, en la poésie et en la mission qu’ils se donnent, devenant « architectes » pour permettre aux voix qu’ils présentent de créer « une grande conversation de voix », dans laquelle les auteurs mettent leurs textes à l’épreuve, vers plus d’exigence poétique ?

Ce numéro ne déroge pas à la règle fixée : les voix, variées, s’y répondent, en échos . Ouvrant la marche, les poèmes magnifiques de François de Cormière, qui alternent observations du monde, méditations notamment sur le temps passé et sur les lectures ou musiques qui transforment inévitablement le réel qu'on décrit , devenu écho d'autres échos (et je pense au très beau livre de Jacques Ancet, récemment publié par publie-net, sous le titre « Amnésie du présent », qui creuse les concepts de réalisme et de poésie). A la suite, d'une sorte d'art poétique de Pierre Drogi, dont l'incipit farfeluévoque à la fois Proust et Umberto Eco (« j'ai longtemps confondu les îles et des saumons »), des poèmes d'Alain Freixe, mêlant harmonieusement profondeur et simplicité, et dont j'aimerais citer cette vision qui me touche :

Contre-allées, revue de poésie contemporaine, 39-40, printemps-été 2019,, invité spécial François de Cornière, 10 euros, abonnement,2 numéros, 16 euros (boutique en ligne : https://contreallees.bigcartel.com ),

le ciel consent
aux façades amies
une aumône de sable
tandis que de vieilles femmes
aux fichus noirs
viennent ramasser
par les rues vides
l'ombre des papillons
qui avaient fleuri
à midi

Suivent Georges Guillain, Jean-Pierre Georges, Jacques Lèbre, des poèmes en prose de Jean-Baptiste Pedini, Joëlle Abed, des vers de laquelle je retiens ce magique tercet :

Dans le fond d'un petit sac en papier muni d'anses torsadées reposait une pomme bleue

La pomme avait mangé la suite du rêve

À quoi sert de lui en vouloir ?

On trouve encore Olivier Bentajou, dont le texte « laps » est constitué d'images précieuses égrenées comme des notations horaires, des poèmes incantatoires d'amour déçu d'Alain Brissiaud,

je mets ma vie en suspens écoute
le chant du ciel

cette lueur à pic
qui frissonne
et nous terrasse

il est sans faute
et pourtant
funèbre

comme nos mains
fermées

mal écrites

Puis, un journal de marche (quelques jours d'octobre 2015) d'Igor Chirat, des textes au rythme ample d'Emmanuelle Delabranche qui utilise le ressassement comme principe (réussi) de construction), Joël Georges, Elsa Hieramente, Cedric Landri et ses observations microscopiques : 

Le muret cette faille
où se glisse un lézard
filant vers les profondeurs
tranquilles de la planète 

et encore Clara Regy, dont on entend le souffle dans des poèmes en parataxe et constructions averbales émerveillées, Pierre Rosin, peintre et poète (et depuis peu directeur de la maison de la poésie de Poitiers) et Olivier Vossot .

Des poèmes posthumes d'Anne Cayre sont donnés au lecteur, ainsi que les réponses de poètes interrogés par Cécile Glasman sur « L'insoutenable légèreté de l'être : en quoi la poésie vous aide-t-elle à vivre ? ».

En hommage à Marie-Claire Bancquart et Antoine Emaz, des poèmes de chacun de ces disparus ferment la marche de cette revue en bon ordre qu'on ne saurait écarter, vu l'excellent « rapport qualité/prix »  de ce travail et de cette riche sélection que je recommande vivement.