Contre le Simulacre.
Enquête sur l’état de l’esprit poétique contemporain
1) Recours au Poème affirme l’idée d’une poésie conçue comme action politique et méta-poétique révolutionnaire : et vous ? (vous pouvez, naturellement, ne pas être en accord avec nous, ou à être d’accord dans un sens diamétralement opposé au nôtre)
La poésie est politique en soi, chargée ou non de futur. Le temps de la flânerie, de la rêverie, de la contemplation, de la pensée vagabonde échappe au temps de la production, de la consommation, des idées sans fondement… Voilà qui est éminemment subversif pour tous les pouvoirs, y compris la démocratie.
2) « Là où croît le péril croît aussi ce qui sauve ». Cette affirmation de Hölderlin parait-elle d’actualité ?
Oui. Les périodes historiques les plus noires ouvrent des chemins de traverse à toutes sortes de créations. Il faudrait recenser les œuvres majeures parues, mettons, entre 1938 et 1945. Aurélien d’Aragon, La Nausée de Sartre, L’Etranger de Camus… En poésie, Eluard, Char… Pour la période actuelle, on ne peut pas savoir à chaud. On peut seulement imaginer.
3) « Vous pouvez vivre trois jours sans pain ; – sans poésie, jamais ; et ceux d’entre vous qui disent le contraire se trompent : ils ne se connaissent pas ». Placez-vous la poésie à la hauteur de cette pensée de Baudelaire ?
Oui. Mais c’est une hauteur à ras de l’ordinaire. Même les gens les plus rugueux, les plus rudimentaires ont des accès de poésie. Qui n’est pas sensible au chant nocturne d’un oiseau sous des frondaisons ? À une lumière dont la présence étonne sur un coin de table ? “Ils ne se connaissent pas”, dit Baudelaire. J’ajoute qu’ils ne peuvent ou ne veulent pas se reconnaître.
4) Dans Préface, texte communément connu sous le titre La leçon de poésie, Léo Ferré chante : « La poésie contemporaine ne chante plus, elle rampe (…) A l’école de la poésie, on n’apprend pas. ON SE BAT ! ». Rampez-vous, ou vous battez-vous ?
Je me bats, à l’école justement, avec des loupiots de onze ans, pour que pénètrent, un peu, poésie, arts, philosophie. Et je sais que ce peu, qui fait grandir, reste dans les mémoires. Je reçois des témoignages dix ans, vingt ans après, d’anciens élèves. Jeune retraité, je retournerai occasionnellement à l’école pour continuer ce combat.
5) Une question double, pour terminer : Pourquoi des poètes (Heidegger) ? En prolongement de la belle phrase (détournée) de Bernanos : la poésie, pour quoi faire ?
Pourquoi des poètes ? Pour rien. La poésie, pourquoi faire ? Pour rien. Pas de but assigné à l’avance. Pas de déclaration d’engagement. Ce n’est pas de ma part une posture nihiliste, loin de là. Pensons à l’expression “petits riens”. Des petits riens mis bout à bout constituent une trame, un chemin, une vie. Une vie qui pourra sauver et se sauver. Loin, fort loin des simulacres dénoncés à juste titre par Recours au Poème.