Contre le simulacre. Enquête sur l’état de l’esprit poétique contemporain en France. Réponses de Jean-Philippe Gonot

 

 

  1. Recours au Poème affirme l’idée d’une poésie conçue comme action politique et méta-poétique révolutionnaire : et vous ? (vous pouvez, naturellement, ne pas être en accord avec nous, ou à être d’accord dans un sens diamétralement opposé au nôtre).

Je suis en plein accord avec cela. Dans sa volonté de multiplicité, Recours au Poème unifie, ou plus justement vise une unité faite de tous les possibles. La poésie, dans toute sa diversité, naît d’une racine commune à tous les poètes, une racine UNE, même principe que l’on retrouve en spiritualité. En explosant les frontières de l’espace-temps, de la langue et des cultures, Recours au Poème, nous mène à cette racine, en ce sens la poésie devient action politique. Cette dernière ouvre les yeux et les âmes, affûte la vigilance et nourrit les consciences.

 

2.  « Là où croît le péril croît aussi ce qui sauve ». Cette affirmation de Hölderlin parait-elle d’actualité ?

Elle est intemporelle et peut-être plus forte encore de nos jours. Elle est, cette phrase, la base de toute forme de guérison. Si l’on plonge dans nos obscurs tréfonds, on perçoit la lumière et donc la poésie. La poésie sauve parce qu’elle guérit, au sens littérale du mot, elle guérit le corps et l’esprit, elle fait briller l’âme. Elle relie le visible à l’invisible, elle converse avec les forces, elle se lie d’amitié avec les présences. Les mots sont le lien, le liant vibratoire entre les hommes, encore une fois, pour “sauver”, il faut unifier, connecter et élever, rôle premier du chamanisme, père de toutes les poésies du monde.

 

3.  « Vous pouvez vivre trois jours sans pain ; – sans poésie, jamais ; et ceux d’entre vous qui disent le contraire se trompent : ils ne se connaissent pas ». Placez-vous la poésie à la hauteur de cette pensée de Baudelaire ?

Une pensée me vient : Des rescapés des camps de concentration disent que certains prisonniers se sont mis à écrire, pour se raccrocher à un “semblant de sens”, pour tenir, pour s'émerveiller encore et respirer au ventre de l’horreur. C’est cette nourriture des mots qui les a ramenés parmi les vivants.

 

4. Dans Préface, texte communément connu sous le titre La leçon de poésie, Léo Ferré chante : « La poésie contemporaine ne chante plus, elle rampe (...) A l'école de la poésie, on n'apprend pas. ON SE BAT ! ». Rampez-vous, ou vous battez-vous ?

Les deux. Pour se battre, il faut emmagasiner l’énergie de la terre. Pour sauter et s’élever au plus haut, il faut au préalable fléchir ses jambes. Avant de bondir, un chat plie ses pattes et approche son abdomen du sol. Le chat n’est-il pas le meilleur ami de l’écrivain et du poète?

 

5.  Une question double, pour terminer : Pourquoi des poètes (Heidegger) ?  En prolongement de la belle phrase (détournée) de Bernanos : la poésie, pour quoi faire ?

Poètes et Poésie, parce que l’Absolu tord et embrase le ventre de chacun d’entre nous.

Poètes et Poésie, parce qu’un autre monde nous regarde et nous attend.

Poètes et Poésie, parce que comme le dit Armand Gatti, “nous sommes tous nés de l’agonie d’une étoile, des naufragés de l’espace et du temps. Et seul le verbe peut nous aider à retrouver l’éclat défunt de cette étoile.”