Il est assez réjouissant de lire que Baudelaire a lui aussi pu dire des sottises, mais surtout que l’on peut être un lecteur et un auteur sans tomber dans le fétichisme auquel invite souvent la citation de la troisième question.
En guise de présentation, citons ces mots de Jean Miniac dans un récent article de la Quinzaine littéraire : « Marc Delouze est un poète de la responsabilité. En ces temps de cynisme généralisé, ce mot peut avoir quelque chose de ringard. On s’en arrangera, si l’on prend garde d’oublier que l’on passe très aisément du statut de nanti à celui de victime — la vie, hélas, nous en donne tous les jours l’exemple ! Alors il est important de savoir qu’une conscience veille et prend en charge les douleurs enfouies, recluses, “anonymisées” en quelque sorte par le caractère innombrable et massif du meurtre comme ce fut le cas dans les tragédies qu’évoque notre poète (les systèmes totalitaires nazi et soviétique sans oublier Hiroshima). Le poème dramatique de Marc Delouze cherche à rendre à chaque voix un visage, à chaque visage une voix ».
E.P.
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1) Recours au Poème affirme l’idée d’une poésie conçue comme action politique et méta-poétique révolutionnaire : et vous ? (vous pouvez, naturellement, ne pas être en accord avec nous, ou à être d’accord dans un sens diamétralement opposé au nôtre)
Il n’existe en effet pas UNE poésie, mais une infinité de poésies (autant que de poètes ?). Il se peut que l’une d’elles corresponde à votre affirmation… il se peut que la mienne tente plus simplement de répondre à mon besoin de voir la réalité derrière la réalité, le silence qui fait sens derrière les paroles brouillées – ce qui est peut-être aussi une manière d’action méta-poétique ?
2) « Là où croît le péril croît aussi ce qui sauve ». Cette affirmation de Hölderlin parait-elle d’actualité ?
Wir sind nichts, was wir suchen ist alles : nous ne sommes rien, ce que nous recherchons est tout – cette affirmation de Johann Christian Friedrich Hölderlin, est sans doute une approche de réponse. Mais cette tentative d’optimisme s’est fracassée, pour le poète, contre le mur de la folie les quarante dernières années de sa vie.
Là où croît le péril, s’approche aussi la mort… qui est aussi une forme de sauvetage !
3) « Vous pouvez vivre trois jours sans pain ; – sans poésie, jamais ; et ceux d’entre vous qui disent le contraire se trompent : ils ne se connaissent pas ». Placez-vous la poésie à la hauteur de cette pensée de Baudelaire ?
Baudelaire a dit pas mal de conneries, comme tous les génies. Cette assertion en est une – et d’une colossale obscénité !
4) Dans Préface, texte communément connu sous le titre La leçon de poésie, Léo Ferré chante : « La poésie contemporaine ne chante plus, elle rampe (…) A l’école de la poésie, on n’apprend pas. ON SE BAT ! ». Rampez-vous, ou vous battez-vous ?
Plutôt que « la poésie », j’aurais plutôt écris « les poètes ». Quand à choisir entre ramper et se battre, ce qui se cache derrière ces deux verbes me fait frémir d’instinct. Entre la soumission de l’esclave et la « combativité » du puissant (qui accouche de l’ultra libéral d’une part, du stakhanoviste d’autre part – Ferré procédant vaguement des deux), mon cœur ne balance pas, mais se retourne. Le poète que l’on dit que je suis refuse seulement ce qui lui semble contraire aux valeurs humanistes, et tente d’argumenter (dans le sens premier de « raisonner afin de donner des preuves ») par la seule force de l’exemplarité d’une parole qui essaye de ne pas tricher avec elle-même.
5) Une question double, pour terminer : Pourquoi des poètes (Heidegger) ? En prolongement de la belle phrase (détournée) de Bernanos : la poésie, pour quoi faire ?
La poésie pour ne surtout rien faire – ce qui me semble la position, aujourd’hui, la plus révolutionnaire qui soit. Mais n’oublions pas qu’au bout du compte (à rebours ?) le monde est beau comme une question sans réponse…
12 juillet 2015, Fécamp.