Recours au Poème : Recours au Poème affirme l’idée d’une poésie conçue comme action politique et méta-poétique révolutionnaire : et vous ? (vous pouvez, naturellement, ne pas être en accord avec nous, ou à être d’accord dans un sens diamétralement opposé au nôtre)
Xavier Bordes : Comment définir une action politique ? Pour ma part je dirais : la poésie serait un faire, peut-être une action, implicitement politique. Sitôt que la langue d’un pays est le lieu d’intercommunication entre des gens, quelque chose de l’ordre du « politique » se passe. Mais la poésie à la sauce politique avouée ne fonctionne que pour des groupes limités, dans des périodes historiques restreintes. Elle se démode vite et l’on s’aperçoit que son côté partisan nuit à son universalité. Il suffit pour s’en convaincre de relire l’ode à Staline de 1950 (Eluard) entre autres « poèmes politiques » assez navrants, pour voir qu’il est difficile à la poésie de rester poésie, et révolutionnaire, en louant des tyrans sanguinaires… Pour ce qui est du « révolutionnaire », qui suppose des recommencements de cycles (révolutions), je n’y crois guère : évolutionnaire à la rigueur me conviendrait.
Enfin, je suis trop vieux sans doute pour bien comprendre à quoi correspondrait une « action métapoétique »… Une réflexion métapoétique, je peux voir à peu près ce que c’est en ce sens que toute théorie sur la poésie est métapoétique par définition. Mais ce que serait un « meta-poïein », un méta-faire, je ne vois pas bien. Dans ma tête l’expression ne fait pas vraiment sens, si je puis dire.
Recours au Poème : « Là où croît le péril croît aussi ce qui sauve ». Cette affirmation de Hölderlin parait-elle d’actualité ?
Xavier Bordes : Je l’ai cru longtemps. J’en suis moins sûr, même si la formule est si belle que je voudrais la croire. Ce que pouvait encore penser Hölderlin se heurte aujourd’hui à des phénomènes d’une échelle tout autre : il existe suffisamment de bombes atomiques sur terre pour effacer l’humanité, et rendre la vie quasi-impossible. Qu’est-ce qui croît, en face de cela pour tenir le péril en échec ?
Recours au Poème : « Vous pouvez vivre trois jours sans pain ; – sans poésie, jamais ; et ceux d’entre vous qui disent le contraire se trompent : ils ne se connaissent pas ». Placez-vous la poésie à la hauteur de cette pensée de Baudelaire ?
Xavier Bordes : Une autre belle formule stratégique d’un autre temps. Le genre de choses avec quoi les poètes ont besoin de se consoler, de s’illusionner. Il suffirait d’aller interroger les footballeurs (ou les miséreux du Nigeria) pour voir que les gens se passent très bien de poésie (en poèmes), et si je place la poésie fort haut, ce qui est normal pour mon cas personnel, je me garderais bien de faire de ce cas particulier une généralité.
Recours au Poème : Dans Préface, texte communément connu sous le titre La leçon de poésie, Léo Ferré chante : « La poésie contemporaine ne chante plus, elle rampe (…) A l’école de la poésie, on n’apprend pas. ON SE BAT ! ». Rampez-vous, ou vous battez-vous ?
Xavier Bordes : Léo Ferré pour moi d’une part était un « chanteur plus ou moins poétisant », mais pas ce que je considère comme un poète. Par ailleurs, sa vie était d’un personnage infect, et je laisse à qui voudra d’admirer ce personnage aussi déplaisant et « faiseur ». Pour moi, désolé de le dire, ce chanteur me donne envie de vomir. Il use de grosses ficelles idéologique pour flatter un public spécifique. La vie d’un poète doit être « ascéthique », être gauchiste et millionnaire notamment me semble incompatible. Et se montrer « démagogue en poésie » ruine la poésie. Désolé de ma franchise, et de ne pas chanter avec les loups. Si je dois ramper pour des raisons éthiques, je ramperai. Si je dois me battre, je me battrai. Mais ce ne sont pas de petits penseurs minables comme Léo Ferré qui m’enseigneront la conduite à tenir. Avant de penser enseigner, ces prétentieux imbéciles devraient regarder leur vie dans un miroir. Être « popu » grâce à un suivisme idéologique démago n’est en rien un brevet « d’autorité » de pensée.
Recours au Poème : Une question double, pour terminer : Pourquoi des poètes (Heidegger) ? En prolongement de la belle phrase (détournée) de Bernanos : la poésie, pour quoi faire ?
Xavier Bordes : Pourquoi des poètes ? Pour que parfois l’Himalaya (comme disait un jour Claude Gallimard) d’une langue soit escaladé jusqu’à son sommet, que l’humanité du peuple de cette langue puisse être exhaussée jusqu’à son « plus beau», en sorte que ce qu’il est, son « monde » ne soit pas effacé de sa propre mémoire. La poésie est conquête, comme l’alpinisme, d’un inutile qui offre une vue surplombante sur l’univers. Il faut un peu de gratuit dans l’homme, il ne peut pas fonctionner uniquement par intérêt et nécessité, de façon instinctive et « animale ». Son esprit a besoin d’altitude et donc de grandeur. L’éther poétique me semble un air qui n’est pas radicalement différent de l’air commun à tout un chacun, mais qui a l’avantage d’une composition chimique plus pure, plus oxygénée. Mon goût en tant qu’individu tend à respirer cet éther là le plus volontiers. Naturellement, mille autres raisons existent, impossibles à développer ici.
(13 mai 2015)