Conversation avec Jean-Marc Sourdillon

 

Second entretien entre Mathieu Hilfiger et Jean-Marc Sourdillon, auteur de Dix secondes tigre :
Naissance discontinue

 

 

1/ Le temps, la naissance

 

Mathieu Hilfiger : J’aimerais maintenant t’entretenir un peu de la question du temps. Le temps trouve une place bien singulière dans ton texte ; les marques du temps sont nombreuses, mais sa lecture reste complexe, je dirai pourquoi à mon sens.

            Tout d’abord ce que l’on découvre en progressant dans la lecture, c’est le grand cycle annuel que tu peins sur les pages de ton livre, qui se déplie saison après saison. Le cycle naturel offre certainement un ancrage important pour le poète, surtout pour celui comme toi qui entend parler de naissance. L’ensemble donne la sensation d’un chemin initiatique parcouru au fil de la plume, de pas qui déposent leurs empreintes délicates sur une voie qui doit conduire vers la naissance, vers sa meilleure compréhension, d’abord simplement car c’est elle qui donne vie, mouvement, et constitue alors le fil directeur de ton écriture. Tu es parvenu finalement à donner un dynamisme interne très profond à ton poème, une direction unifiée alors que c’est le plus fragile, le plus risqué qui est approché : la vie même.

            Ainsi, le poème qui ouvre ton livre s’intitule « Le poème du Nouvel An ». Il inscrit d'emblée dans le recueil l’image de la naissance, ses modalités fragiles : croissance, mouvement, transfiguration vers l’âge, souffle, etc. Puis tu évoques l’hiver dans le poème « Dix secondes tigre », au cœur duquel luisent d’autant plus intensément le pelage et l’œil du félin. Puis vient le « Ciel de mars », qui intime, presque menaçant, à revenir en pensée et en acte vers la belle saison. Le printemps jaillit ensuite avec le long poème « Forsythias », qui n’est donc pas le temps exclusif de la naissance, puisque les êtres ne l’attendent pas toujours pour venir au monde. Le mois de mai se lève dans les couleurs et les reflets de « Juste avant l’eau ». Puis déjà les premiers signes de l’automne, les prémisses de la mort dans « Ce que septembre déclenche », qui est autant l’annonce d’une nouvelle naissance, septembre, mois tout de mouvement comme le titre le rappelle, aux cieux variables et souvent mystérieusement beaux, et « l’été tout entier qui penche et qui bascule ». L’hiver enfin n’aura plus qu’à gagner le reste des territoires.

            Les yeux ouverts, abattant les calques et les cadres de la raison, tu as voulu suivre la trame de tes sensations. Celle-ci naturellement a été tissée par la main du temps, d’un mouvement universel, de (re)naissance. Parviens-tu à découvrir la naissance même au cœur de l’hiver ? Le monde ne serait-il justement pas, pour tout poète, une grande âme, à laquelle Platon donnait comme définition élémentaire celle de « principe de mouvement » ?

 

Jean-Marc Sourdillon : L’écriture est elle-même une initiation. Elle avance sans le chercher par étapes et dégage dans une vie le fil d’or qui l’unifie souterrainement et lui donne sens, ou la conduit. Suivre ce fil, sans idées préconçues, en se laissant guider par le seul sentir, presque fermant les yeux, faisant confiance, c’est cela, pour moi écrire, une sorte de risque intérieur, une façon de vivre à découvert, volontairement désabrité, vulnérable pour consentir, de ce « consentement insupportable et dur qui anime la passivité » comme dit superbement Lévinas, à ce que la vie nous propose. Accueillir les nouvelles que la vie nous donne d’elle-même et pour y parvenir déchiffrer ce que sans cesse les sens nous apportent sous la forme d’événements, micro-événements affectifs ou sensibles. Jean-Pierre Lemaire est parmi les poètes que je connais, celui qui incarne le mieux cette posture si difficile à tenir. C’est pourquoi, j’ai voulu placer son nom au centre du livre, à l’entrée du poème qui s’appelle « Dôme ». Le fil, les morceaux de fil qui ainsi se découvrent, lorsqu’ils se sont mis à scintiller dans ma nuit, se sont d’abord présentés à moi sous la forme d’une « déhiscence », c’est le nom qu’ils sont allés trouver dans la langue : c’est-à-dire ce moment où le regard du tigre, nécessairement primaire, prisonnier d’une vision unitaire et solipsiste, parvenu au bout de sa course, se brise, s’ouvre sur le plusieurs, la dissonance, la polyrythmie, la naissance plurielle et en tous sens. Le temps de la semence et de l’ouverture au devenir, de l’apprentissage de la danse… Il a fallu, pour cela que le tigre se découvre proie et se mette à saigner abondamment. Hémorragie d’être. L’issue était dans la blessure. On pouvait voir à travers. Puis, à l’étape suivante, le fil a pris un autre nom : la naissance. Petite révélation personnelle, presque une conversion, ce jour où l’événement de la naissance de mes enfants a retenti après coup dans mon imaginaire, dans mon histoire, dans le grand paysage ouvert des Cévennes, trouvant l’accès aux mots pour se dire. J’y suis encore, même si les choses de nouveau bougent.

 

M. H. : Et nous retrouvons de nouveau le mouvement infini, le voyage inachevé du vivant, quelque chose comme la foulée des pas qui se supportent l’un par l’autre.

 

J.-M. S. : Que ce mouvement approché, pressenti, suivi intuitivement dans une vie, dans ce qu’elle a d’unique, de plus singulier, rejoigne le mouvement d’autres vies, et même les mouvements qui parcourent le monde, son souffle, c’est ce que j’espère et que j’ai essayé de dire dans le dernier poème du livre « Le chemin de Gabriac ». Il était donc « naturel » que la découverte des saisons (ou plus précisément des mois) vienne s’inscrire dans le prolongement de ce chemin. Alors oui, il y a de la naissance même au cœur de l’hiver. Cela, quelqu’un l’a très bien dit : Walter Benjamin. « L’origine ne désigne pas le devenir de ce qui est né, mais bien ce qui est en train de naître dans le devenir et le déclin. »

            Ta lecture vigilante tombe particulièrement juste. Tu as l’art de mettre l’écriture des autres en valeur.      Je voudrais juste souligner ce fait que s’il y a du symbolique dans cette pratique de l’écriture, il est secondaire. Ce qui vient en premier, ce sont les sensations, les expériences. Il ne s’agit ni de voir les choses pour ce qu’elles sont, comme dans la démarche réaliste, ni de retrouver en elles les grands symboles, les grands archétypes qui structurent notre esprit (même si, évidemment, il faut les accepter lorsqu’ils se rencontrent), mais de voir à travers elles, leurs rapprochements, d’y lire en transparence notre vie telle qu’insoupçonnablement elle devient, de faire de la vie un vitrail où elle se révèle elle-même.    

 

 

2/ Retour sur le temps du tigre

 

M. H. : Je voudrais maintenant progresser dans la question du temps, mais en la reliant à notre échange sur celle de la prédation qui en était le coeur. Je parlais d’une idée complexe du temps, très intéressante dans ton texte : si le temps est un mouvement perpétuel de naissance et de mort, il se déploie par le truchement des seuils, de moments clés, de bascules, entre des périodes plus statiques et lentes.

Les « secondes tigre », ce sont d’abord ces instants d’intensité unique dans une vie, où le temps apparaît comme syncopé. Le premier mouvement du poème « Dix secondes tigre » nous dit ainsi : « Soleil d’hiver derrière les feuillages à l’instant de disparaître. » Puis : « D’un coup il a été sur nous. Sans un bond. » (p. 15). C’est une compression du temps, un écrasement sur lui-même ; le tigre brûlant c’est la combustion spontanée du temps, comme dans l’instant sublime, dont le paradigme serait peut-être la chasse prédatrice. Cela me fait penser au proverbe « Le lion ne bondit qu’une fois », dont Freud a affirmé la lucide vérité. Tu écris pour ta part : « Quand le tigre bondit, c’est une décharge. » (p. 17) ; puis nous lisons une autre comparaison : « Tonneau de poudre qui explose, se recompose » (p. 19) ; tu parles également du « ressort trop tendu » (p. 18, puis p. 20), comme si ce qui donnait l’impulsion à l’acte prédateur n’était pas (seulement) le muscle, mais une tension excessive dépassant la volonté animale, une mécanique pulsionnelle incontrôlable. L’esprit ne doit pas manquer le kairos, l’occasion opportune d’intervenir par la parole sur un objet, l’interprétant et lui donnant un nouveau contour conceptuel ; le corps ne doit pas la manquer afin de saisir sa chance : bondir sur sa proie à l’instant critique, ou faire le saut de côté pour éviter « la gueule hurlante, hérissée de dents et de crocs » (p. 17, que j'ai déjà citée).

            Ce temps syncopé produit une seconde sublime qui n’est peut-être qu’un instant. Pourtant, cette fraction sera déterminante pour l’être, positivement ou négativement ; en tous les cas elle le changera profondément. Il y a d’autres instants sublimes que tu évoques : certains états de la lumière dans l’œil, l’inflorescence printanière, l’amour, etc. Dirais-tu comme moi que l’instant ‘’tigre’’, ‘’l’instant T’’ dirais-je, est un temps sublime ? A moins que ces dix secondes-là soient précisément celles où l’on « cesse d’être une proie » (p. 21), où serait exceptionnellement suspendue la prédation universelle, l’immense chasse qui définit la relation dans le règne prédateur (auquel l’homme appartient). Je pense également ici à un fragment de Char : « Etre du bond. N’être pas du festin, son épilogue » (le fragment n°197 des Feuillets d’Hypnos qui me sont chers).

 

J.-M. S. : Question parfaitement posée, à laquelle il n’y a pas grand-chose à ajouter. Instants sublimes, oui, au sens où ils valent pour leur intensité, nous font faire un bond au-dessus de l’ordinaire, à côté du biologique, dans la clairière, visant autre chose que l’art, ou que le beau…. La poésie, ou plutôt la vie poétique, me semble-t-il, est faite de ces instants. « Minutes d’éveil », disait Rimbaud, « instants pulsatiles », disait Bachelard, si rares, où nous sommes présents au présent, éveillés pendant l’événement, suprêmement attentifs, où nous vivons en conscience. C’est là, en eux, quand ils s’ouvrent dans notre vie que nous rejoignons le courant discontinu de notre naissance (tu dirais peut-être, l’origine ?). Il faudrait ajouter que chacun d’eux exige de nous une totale présence, que nous allions jusqu’au bout d’eux-mêmes, de ce qu’ils nous proposent, que nous nous y accomplissions jusqu’à l’épuisement. Ce que traduit à mon sens la métaphore du bond. Le tigre est celui qui s’éveille au sommet de son bond et s’y découvre chevreuil, fontaine, oiseau, l’habitant d’un autre règne, étranger à la logique de la prédation.

Je ne te suivrai sans doute pas quand tu dis que l’acte poétique, dans sa visée interprétative, cherche à produire de nouveaux concepts. J’ai suivi les cours d’Yves Bonnefoy (que tu as interrogé) au collège de France, il m’en est resté quelque chose. Plus profondément, Jaccottet et María Zambrano m’ont appris à regarder. L’acte poétique, pour moi, n’a pas son modèle dans l’acte cognitif (l’acte de connaissance), mais dans la relation intersubjective. La question que pose la poésie n’est pas « qu’est-ce que c’est ? Quel est le sens ? », mais, comme le dit Jean de la croix au début du Cantique spirituel : « où t’es-tu caché », ou encore Rilke dans la première de ses Elégies : « Qui si je criais, m’entendrait donc ? ». Autrement dit, elle n’est pas la question que se posent les savants, les philosophes, tous les hommes avides de connaissance (on est encore dans la prédation) mais la question que posent les amis, les amants, les orants, les amoureux. Aussi, dans le poème, ce qui se dérobe à la saisie par le verbe, ne devient-il pas concept mais figure, apparition disparaissante, de la vie qui palpite encore dans les mots qui la désignent, qui cherchent à la dire. Et ce à quoi aspire du plus profond de lui-même celui qui écrit, ce n’est pas tant à concevoir, serait-ce pour y voir plus clair, qu’à être lui-même conçu, (ce qui sans doute lui permettra de voir autrement) ; bref à naître plutôt qu’à se rendre maître.

  Me touche beaucoup le fait que tu cites ce fragment de Char. Je l’avais appris par cœur dans mon adolescence (avec le n°5 des mêmes Feuillets d’Hypnos – qui vaut bien, en intensité sentie, celui de Chanel) et oui, il est derrière les Dix secondes tigre. Tu as visé juste.

 

M. H. : Certes la poésie n’est pas du côté de la pensée conceptuelle, mon ami Yves Bonnefoy nous l’a si bien rappelé et enseigné, maître au désamorçage des automatismes de la langue pour mieux débusquer les sources symboliques où s'abreuve naturellement le poème. Cependant, il me semble que la poésie reste une visée, au télos impossible, car nous perdons tout de même l’essentiel de l’objet dans le dire, malgré cet extraordinaire effort que produit la poésie, qui est le poème même. C’est en ce sens que j’osais le terme « concept » : je crois que le poète ne doit pas oublier que lui aussi, finalement, passe par les ciseaux des mots, qui ne sont rien d’autre que des concepts, des reflets des choses enserrées dans des grammes. Devenant langage, l’expérience fait sens, apporte sa pierre à l’élucidation de l’existence, mais s’est éloignée de la saveur éprouvée. Et malgré tout le poème est à l’œuvre, encore et encore, « quelque part dans l’inachevé ». Paradoxe du poète : s'enfoncer dans la langue mais pour mieux s'en arracher.

           

J.-M. S. : Ciseaux, oui, mais oiseaux parfois aussi, les mots, quand ils migrent ensemble, portés par le mouvement de la parole, vers la chose à dire sans être sûrs de pouvoir l’atteindre. J’établirai d’abord une distinction entre le concept et l’image. Le concept, comme le dit le mot allemand Begriff saisit selon la logique de la griffe ou de la prédation. Définir, c’est mettre un terme (un mot et une fin), tracer des contours, enfermer dans des limites, faire du langage une grille ou une cage. Connaître, c’est coloniser, maîtriser, rassurer, exercer un pouvoir. Ce qui est bien sûr nécessaire. L’image, à la différence du concept, n’enferme pas les choses dans leur définition, elle, ne cerne rien, ne captive rien ; au contraire, elle ouvre la cage, elle est du sens à l’état naissant. A l’image, dans l’usage poétique de la langue, s’ajoute le rythme qui est inscription de la présence vivante, singulière de celui qui parle dans les mots. L’essentiel n’est pas perdu dans le poème mais désigné dans le proche ou le lointain de l’expérience vécue. La lecture serait cette capacité de refaire en soi l’acte ou le geste de la désignation qui est dans le poème et de le poursuivre le plus loin possible, d’accompagner le mouvement de la parole (ou de la poésie) traversant les signes en direction de la chose à dire pour la laisser vivre.

            On peut distinguer deux rapports au langage qui dans la théorie s’opposent mais dans la pratique ne cessent de se mêler : l’un met l’accent sur les mots, ce qu’il y a de plus statique dans le langage (même si, quand on écrit un mot, on traverse plusieurs couches de significations et se relie par signifiants et métonymies interposés à tous les mots environnants qui se mettent à clignoter) ; d’une certaine façon, le mot immobilise la pensée, le regard, l’imagination dans une représentation arrêtée du réel. L’autre met l’accent sur la phrase, le discours, la parole en tant qu’elle est visée, mouvement, traversée des signes en directions de ce qu’il y a à dire.

            Moins mots que gestes qui désignent, pris dans le mouvement du vers, de la phrase, du rythme qui organise le mouvement de la parole, la poésie, sans être la musique elle-même, est du langage en dérive vers la musique. C’est de musique que parlait Rilke dans cette magnifique formule que tu cites, et que Jankélévitch avait choisie comme titre à ses entretiens.

 

 

3/ Genre(s)

 

M. H. : Tu me disais que de tout ce que tu as écrit, Dix secondes tigre est ce qui ressemble le plus à un livre de poèmes, et ce, même si de nombreux passages en prose y trouvent place. Dans les textes que j’avais pu lire de toi, en particulier ceux que tu m’avais donnés pour la revue Le Bateau Fantôme, nous retrouvions cette caractéristique, et il est évident que les appréciations formelles t’importent peu. Et finalement, il en résulte une impression de grande liberté expressive. La prose se mêle à la poésie, le visible à l’invisible, le concret au transcendant.

            Dix secondes tigre est sans aucun doute un texte de poésie, un long poème. Je pourrais dire aussi : un conte philosophique plein de poésie ou un récit poétique, celui racontant l’expérience initiatique d’un homme tâtonnant dans la vaste jungle du Bengale des sensations et des correspondances, à la recherche des perles de verre de ces sensations et de ces correspondances, l’œil en avant, attentif à tout sur les pistes bariolées d’animalité, incendiées de couleurs, vers une probable libération de son âme. Quelle relation entretiens-tu avec le genre du conte ?

 

J.-M. S. : Oui, un seul poème. C’est vrai, croisant poésie et prose.

            J’aime bien ce que tu dis des « perles de verre » (Hermann Hesse pas loin), d’autant plus que la lumière quand elle se pose sur l’œil du félin le transforme en bille de verre, le rend fluorescent.

            C’est peut-être moins le genre du conte que celui de la nouvelle qui m’est proche. J’écris surtout des poèmes et des nouvelles, de longs poèmes et de courtes nouvelles, croisant les genres. Baudelaire avait remarqué combien ces deux formes étaient voisines.

 

M. H. : La pensée philosophique nourrit-elle ta poésie ?

 

J.-M. S. : La pensée philosophique constitue un support irremplaçable lorsqu’il s’agit d’interpréter des textes ou de s’expliquer avec son héritage ; mais dans la mesure où elle est conceptuelle, elle bloque plus qu’elle ne nourrit l’activité imaginante de l’écriture qui nécessite une sorte d’indétermination ou de flottement dans les contours que María Zambrano appelait « la pénombre ». Les pensées d’Emmanuel Lévinas ou de Michel Henry, par exemple, dont je me suis senti proche parce qu’elles m’éclairaient sur les préoccupations qui sont les miennes, restent en dehors de l’écriture. Les choses ont été parfaitement nommées et n’ont donc plus besoin de l’être. En revanche, des pensées « poétiques », c’est-à-dire demandant intentionnellement à être complétées, ouvrant sur la vie en tant qu’elle est vécue singulièrement par chacun d’entre nous, sont au cœur de la pratique de l’écriture. C’est le cas par exemple de la pensée de Joë Bousquet, cette façon qu’il a d’envisager l’événement. C’est le cas aussi de la pensée de María Zambrano. J’ai rencontré son œuvre tardivement mais au moment où j’étais prêt pour l’accueillir. Cela a été un éblouissement. Elle était alors peu publiée en France et j’ai entrepris de la traduire pour moi-même, pour entrer dans son secret. Les amis à qui je la faisais lire refermaient souvent vite le livre en disant qu’ils ne comprenaient pas. Je dirais de cette pensée ce que Georges Perros dit de la poésie : qu’elle n’est pas obscure parce qu’on ne la comprend pas mais parce qu’on n’en finit pas de la comprendre. Ecrire a été parfois une sorte de va-et-vient entre cette œuvre et ma vie. J’allais, avec mes mots, au devant d’un double mystère vivant, l’un éclairant l’autre dans une même pénombre, « avec des repères éblouissants ».

 

 

 

Dix secondes tigre, L'Arrière-Pays, 2011.