Yuki : neige en japonais ou le blanc papier sur lequel l’écriture fine s’adresse est sans doute un des plus beaux vols blancs de papillons dans l’eau, qui m’ait été donné d’entendre et de lire depuis longtemps. Ça commence par un parfum, par le souvenir d’un parfum neigeux et par une adresse d’amour à une enfant.
Mon enfant prisonnière d’un royaume épais et d’une mer anodine rayée subrepticement comment m’aimes-tu encore et tes heures et ton île ?
Je t’aime plus que tout tant que j’écris pour toi sur un balcon étranger aux oiseaux de cuivre et feuilles rondes plus il y a de douleur et plus il y a d’oiseaux.
Coralie Akiyama, Eternelle
Yuki, Editions du Cygne, 2024.
Le Japon ici n’est pas un décor mais un corps amoureux et imprenable. Sa neige a une vitalité qui recouvre le cri et la détresse de l’éloignement. L’écriture ne communique pas, elle exprime l’isolat et l’inaccessible. Elle ne peut que jeter un pont surplombant l’abîme du séparé. L’espace elliptique du poème souligne la distance, l’écart de chemin, comme on se cogne et se heurte à la cérémonie du réel. Bien sûr, le culte virginal est le rêve de toute poésie, le blanc aimerait se débarrasser des cités nourries de légendes et d’anecdotes. Et la neige reste la neige, l’absence reste l’absence, il n’y a pas d’empilement de mots sur les feuillets, mais un espace vide qu’il faut assumer, dans la richesse de la mémoire instinctive et de ses sensations. La voix solitude clame éternellement dans la neige. Ni forêt profonde ni océan en tumulte mais un Bonsaï seul, dessiné par Yukika Akiyama, change alors, par vitalité, l’univers des syllabes.
Il s’agit toujours de localiser une absence. Claudel au Japon le savait pour qui la part la plus importante est toujours laissée au vide. La poésie, nous dit Coralie Akiyama, n’a rien d’autre à communiquer que l’impossible à dire les nœuds, les passages, la mort et son sommeil : M’éteindre, mais alors complètement, M’éteindre à ne plus comprendre que je suis éteinte.
La force de ces poèmes, c’est qu’ils assument le vide, son épaisseur blanche. Le trajet blanc s’accomplit au-dedans de la blancheur et dans la sobriété. L’écriture acérée, tranchante dans sa douceur même, doit se lire avec les oreilles, comme le recommandait G.M Hopkins. Cassures, tensions, ellipses font de cette écriture une supplique offerte dans la nudité d’un dénouement ou plutôt d’une veille, dans la violence sans recours de la séparation qui n’est cependant pas une rupture puisque la poésie n’est pas seulement une habitation mais aussi une adresse. Souvent, Le champ de la représentation est bouleversé par la désarticulation syntaxique, la raréfaction méditée des signes, le recours à la suspension du vers, au renoncement de liaisons narratives. Cependant, il n’y a pas de vertige iconoclaste dans ces poèmes, le trait et le retrait ne figent pas muettement la parole. Aucun solipsisme, cette maladie postmoderne. Il ne s’agit pas – dans cette poésie splendide – de souffler sur la lampe pour créer les ténèbres. Pas de retranchement dans le grand minuit de la totale absence ! Au contraire, la voix du poème relève du charnel, avec une densité existentielle qui trouve son point d’ancrage dans l’exigence formelle. Le lien du langage au désir veille et relance toujours le chant, le chant brisé au mystère du cœur.