La force de l’image-titre…
Et dès les premiers textes, l’émotion de reconnaître ce moment où la poésie agit.
Je suis entrée par là
par le silence du cheval
par le verre à moitié vide
et j’ai reconnu le poisson
sur ton dos
son œil ouvert
sur ma plus grande nuit.
(…)
j’ai soulevé – c’était facile- la montagne
sa présence de mère
et j’ai pleuré.
Coralie Poch, Tailler sa flèche, éditions La tête à l’envers, 2022.
Le lecteur est invité dans un univers qui semble chiffré, peuplé de signes récurrents — le poisson, le cheval, le sel, la montagne, la robe-. L’initiation à ce monde se fait par les images, alliances du concret et de l’abstrait, de l’onirique et du réel, du trivial et de l’étrange, marquées par la tradition poétique qui a nourri l’écriture.
J’irai dans l’écriture
entre deux oiseaux nus
tombant à pic
toujours sauve
(…)
Ces rapprochements fulgurants ne relèvent pas du procédé, mais caractérisent cette écriture qui nous fait accéder à son propre agencement du monde et à son ressenti charnel, dans la justesse d’une vision.
Tu mélangeras
les pluies et les mots sans savoir
on plantera notre infini ici
sur cette herbe sèche qui appelle tous les vents
(…)
Grâce au choix d’écarter la poésie narrative, ce n’est pas la perte d’un être essentiel, ce n’est pas le temps interminable d’un amour qui se défait, d’êtres qui se disjoignent, qui sont évoqués dans un discours, mais la souffrance crue, le tourment, qui sont donnés à éprouver par les flèches des mots. Vivre, c’est être un corps, qui endure, exulte, s’apaise, se fondant dans les éléments du monde où il évolue jusqu’à se confondre avec eux.
Mon corps s’est replié
coquille
tu ne sais plus me défaire
je fais l’équilibre sur les mains ne cherche plus
à te plaire mais je regarde quand même si
en bas de l’escalier
je m’entends dire :
la lumière qui reste
emporte-la.
« Tailler sa flèche », n’est-ce pas le travail même du poète ? Affûter les mots, pour toucher le lecteur au plus juste, donner à éprouver son propre ressenti, plutôt que de raconter ou de discourir ?
L’arrondi du matin m’attendait
c’était le visage de ma mère
je me suis couchée dedans
toute nue
(…)
————-
Tailler sa flèche
au bord du lit
et n’avoir plus rien
à défendre
au bord du lit
jeter le mur par la fenêtre
(…)
tout ce qui vient de l’élan
nous suffira.
Les phrases sont comme émises dans un souffle, portées par les vers courts, qui les déroulent jusqu’au bout de la strophe, dans le rythme d’une parole spontanée. Ce qu’il y a de vivant dans l’écriture — la voix, l’oralité- est perceptible sur la page.
J ’écoute
ce qui en moi n’écoute pas les autres
et réclame
l’inverse d’une maisonun espace où passe le ciel
un cercle qui parle avec les vents.
Les encres de Jean-Marc Barrier scandent les phases du recueil ; taches, traits et points inscrivent sur la page le jaillissement, et accompagnent les trajectoires. En exergue, une citation de René Char, extraite des « Feuillets d’Hypnos », journal intime du temps de résistance, gardé longtemps secret, où sont tirées au jour le jour les leçons du vécu. « Dans nos ténèbres il n’y a pas une place pour la beauté. / Toute la place est pour la beauté. » Lui aussi porteur d’une « Leçon de ténèbres », le recueil se place sous l’égide de cette formule. « Les mots sont des flèches qui nous aident à traverser le vivant, à être vivant » dit Coralie Poch. C’est dans cette violence, avec rapidité et précision, que sa poésie nous atteint. En plein cœur.
Présentation de l’auteur
- Coralie Poch, Tailler sa flèche - 21 décembre 2022
- Réginald Gaillard, Hospitalité des gouffres - 21 janvier 2022
- La Maison de la Poésie Jean Joubert et ses partenaires en période de “distanciel” - 1 novembre 2021
- Enza Palamara, Ce que dit le nuage - 19 octobre 2020
- Impressions de lectrice sur quelques ouvrages de Marilyne Bertoncini - 6 mai 2020
- Estelle Fenzy, Gueule noire - 26 février 2020
- Frédéric Jacques TEMPLE, Poèmes en Archipel - 6 décembre 2019
- Patrick Laupin : Le Dernier Avenir, Poèmes - 23 novembre 2015