Après un appel à ses frères pour qu’ils lisent ses poèmes la narratrice, dont le corps est rebelle aux tortures de la vie, demande l’aide de Dieu :
“mon Dieu cachez-moi
avec mes mots à moi
qui sont à personne ”
Mais le doute s’installe et, comme preuve, en est l’inversion des constatations et des raisonnements : ( eh oui les signes universaux / avec ou sans négation sont interchangeables ” ). C’est alors le choix de la solitude et de la révolte devant, par exemple, l’escroquerie d’un assureur qui veut faire investir ” sur la mort “.
Et s’il y a, pour le dire, prosaïque et réalisme, au moyen souvent d’objets les plus quotidiens, ces formes sont, sans aucun doute, au service de la vie spirituelle et de son expression inhibée : ” On souhaite quoi quand on commence un poème / rien on ne souhaite rien “.
Plus loin, la pensée et, de fait, l’écriture, s’emballent dans ” A passage to India ” aidées par l’intertexte avec, cette fois, le choix de vivre ou de mourir ” si jamais des poèmes s’arrachent de mes résurrections journalières ” qui pourront être donnés aux enfants. Mais cela ne se fera pas sans de cruelles ratiocinations philosophiques comme en témoigne le poème ” Algorithmes aléatoires”.
L’écriture, heureusement, ne donne pas la primauté au signifiant mais sait se libérer et jouer avec les sons et le sens et laisse la possibilité d’un espoir en prenant ses substantifs à la nature et aux éléments. Ainsi, dans l’appel au voyage évoqué avec enthousiasme et une part même de lyrisme :
” partir juste partir
en rêvant de palmiers
sur une plage déserte ”
ce besoin d’un départ évolue-t-il vers un projet cosmique :
” j’irai au feu
soulevée par le vent
j’irai à la mer
je me laisserai boire
par la lune ”
Abandon qui va jusqu’ à l’identification à l’espace et au temps. Mais sans doute est plus rédemptrice celle qui se fait avec le frère souffrant dans la recherche d’une voie semblable. Car c’est, de toute évidence, avec les autres qu’il faut recommencer ” l’humaine comédie “.
La seule forme de bonheur semble bien, en effet, consister en l’altérité et en la puissance de l’empathie, clé de tout comportement du poète. Joie et tendresse sont encore possibles quand il suffit de regarder ” les yeux de l’écureuil “.
Il faut dire qu’est nécessaire pour chacun de trouver la force de combattre malgré l’idée même de la fin du monde. Sujet qui donne lieu à un des plus beaux textes du recueil teinté lui aussi de lyrisme :
” après tout la fin du monde
n’est jamais qu’une nouvelle
expérimentation musicale ”
Mais des questions se posent encore, notamment, celle de la vérité à savoir ou non quand le principal est, de toute façon, de découvrir son chemin ” et de ” s’auto-créer en étant “. Il y a donc ” à faire ” puisque Lucy se réincarne et que la chair arrive à se faire esprit. Et comme rien ne restera de la vie de la poète et rien de sa mort aussi, celle-ci est amenée à dire à propos du renouveau de la nature :
” Les boutons sur des branches frêles
juste avant la dernière neige de l’hiver
eux seulement
valent la peine “.
Une réponse donc est sûre, celle de la moisson des mots et, par là, celle de l’amour — langue et homme sont indissociables – que l’on sème comme Jésus.
La vie peut l’emporter alors sur la mort lorsque la narratrice accueille l’enfant meurtri par la guerre et que le sang est absorbé ” par cette blancheur couchée dans les pages d’un livre / pour en faire naître des fleurs “.
Enfin, les derniers vers du recueil célèbrent, en un double bouquet de quinzains, la valeur de l’échange dont il est question plus haut : ” On apprend en enseignant / on reçoit en donnant “.
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