Directeur de la revue Mot à maux qu’il a créée en 2005 et dont le dernier numéro est paru en mars 2022, Daniel Brochard rédigea, lors de l’interruption temporaire de cette dernière, en mars 2010, sa Lettre d’un ex-directeur de revue à un jeune poète dont le titre n’est pas sans évoquer la référence à la correspondance des Lettres à un jeune poète que le vénéré Rainer-Maria Rilke adressa à un jeune homme qui lui demande s’il doit consacrer sa vie à la poésie, devenant son véritable « guide spirituel », échange au cours duquel l’initiateur revient inlassablement sur les questions qui se posent à l’artiste, à toute personne qui tente, du moins, le chemin de la création, comme cela était le cas également pour l’initié. Mais tandis que Rainer-Maria Rilke invite à se tourner vers « l’intériorité », Daniel Brochard dresse un état des lieux assez amer du milieu contemporain face auquel l’intention « poétique » se trouve souvent vouée au dérisoire quand il ne s’agit pas des oubliettes aux heures où l’écran de télévision reste le réceptacle courtisé de notre idiotie commune : « On est tous comme des cons devant la télé, la boîte carcérale à faire reluire la connerie universelle. Ah, non, n’allez pas faire de vagues !
Nous serons artistes dans cent ans, en attendant il convient de la fermer. Il faut rester en ligne dans les salons, pas sur le front des mots (trop dangereux). Ben oui, la poésie que dalle, la poésie c’est vraiment très bizarre. »
Vouée aux gémonies, la poésie ? Pourtant, le regretté Daniel Brochard fit, quant à lui, le pari de tenir « sur le front des mots », selon sa propre expression, en dirigeant pendant pas moins d’une vingtaine de numéros, sa revue littéraire Mot à maux dont le jeu des termes du titre même de ce rendez-vous indiquait le possible salut des « maux » de tous transformés en « mot » de chacun… En ouvrant ainsi les pages de son périodique à l’aventure collective, l’ « ex-directeur » révélait ainsi une volonté ferme et portée plus avant dans sa propre inventivité, singulière, d’écrivain de ne pas cantonner la poésie à une « case » qui serait par exemple celle de l’épanchement personnel, mais à interroger la portée de cette dernière au cœur de la société humaine, sans oublier de noter que la gloire de la postérité sur certains artistes majeurs ne balaie pas d’un trait de lumière l’emprise quotidienne de l’obscure nécessité que fut la condition de ces mêmes artistes, pour mieux faire allusion au « suicidé de la société » selon la formule définitive d’Antonin Artaud : « La société sacralise des Van Gogh qui, vivants, étaient miséreux. » écrit encore l’héritier dans sa missive au présent..
Daniel Brochard, Manifeste pour une poésie sociale.
Quoi d’étonnant alors au choix ultime de rédiger son Manifeste pour une poésie sociale ? Articulant sans cesse sa pensée sur le fil d’une relation entre l’individu et le collectif, l’emploi du pronom singulier « je » en interrogation du pronom pluriel « nous », la réflexion de l’essayiste semble alors rejoindre l’axiome camusien de L’Homme révolté : « Je me révolte donc nous sommes. » Incitations dès lors à la rébellion tant solitaire que solidaire, passés le Préambule et son Projet pour une action en poésie, ses éclats philosophiques furtifs, ses brefs discours incisifs secouent la torpeur du lecteur pour mieux l’inscrire dans l’intime d’un combat où de la « maladie » intérieure à la crise de notre société, c’est l’union des sensibilités et la conjugaison des forces créatives à l’ouvrage qu’invoque l’écrivain laissant tomber son propre masque, dès l’aveu du premier paragraphe de son essai : « La poésie est un combat. Loin de moi l’envie d’agiter le drapeau blanc, ma conscience de révolté m’interdit de baisser les bras. Et pourtant, je le devrais ( ? ) quand on voit la complexité de l’opération. » Loin du silence feutré de certains salons littéraires, la vie, l’œuvre, l’engagement de Daniel Brochard se tissent, se croisent et résonnent dans l’interpellation du cri d’humanité de son épilogue comme une passation de témoin : « Soyez l’architecte du renouveau ! À vous de former cette assemblée afin que la poésie devienne indispensable. »
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