Daniel Brochard, Lettre d’un ex-directeur de revue de poésie à un jeune poète, Mot à maux, Manifeste pour une poésie sociale

Par |2023-02-06T09:06:27+01:00 6 février 2023|Catégories : Critiques, Daniel Brochard|

Directeur de la revue Mot à maux qu’il a créée en 2005 et dont le dernier numéro est paru en mars 2022, Daniel Brochard rédi­gea, lors de l’interruption tem­po­raire de cette dernière, en mars 2010, sa Let­tre d’un ex-directeur de revue à un jeune poète dont le titre n’est pas sans évo­quer la référence à la cor­re­spon­dance des Let­tres à un jeune poète que le vénéré Rain­er-Maria Rilke adres­sa à un jeune homme qui lui demande s’il doit con­sacr­er sa vie à la poésie, devenant son véri­ta­ble « guide spir­ituel », échange au cours duquel l’initiateur revient inlass­able­ment sur les ques­tions qui se posent à l’artiste, à toute per­son­ne qui tente, du moins, le chemin de la créa­tion, comme cela était le cas égale­ment pour l’initié. Mais tan­dis que Rain­er-Maria Rilke invite à se tourn­er vers « l’intériorité », Daniel Brochard dresse un état des lieux assez amer du milieu con­tem­po­rain face auquel l’intention « poé­tique » se trou­ve sou­vent vouée au dérisoire quand il ne s’agit pas des oubli­ettes aux heures où l’écran de télévi­sion reste le récep­ta­cle cour­tisé de notre idi­otie com­mune : « On est tous comme des cons devant la télé, la boîte car­cérale à faire reluire la con­ner­ie uni­verselle. Ah, non, n’allez pas faire de vagues !

Nous serons artistes dans cent ans, en atten­dant il con­vient de la fer­mer. Il faut rester en ligne dans les salons, pas sur le front des mots (trop dan­gereux). Ben oui, la poésie que dalle, la poésie c’est vrai­ment très bizarre. »

Vouée aux gémonies, la poésie ? Pour­tant, le regret­té Daniel Brochard fit, quant à lui, le pari de tenir « sur le front des mots », selon sa pro­pre expres­sion, en dirigeant pen­dant pas moins d’une ving­taine de numéros, sa revue lit­téraire Mot à maux dont le jeu des ter­mes du titre même de ce ren­dez-vous indi­quait le pos­si­ble salut des « maux » de tous trans­for­més en « mot » de cha­cun… En ouvrant ain­si les pages de son péri­odique à l’aventure col­lec­tive, l’ « ex-directeur » révélait ain­si une volon­té ferme et portée plus avant dans sa pro­pre inven­tiv­ité, sin­gulière, d’écrivain de ne pas can­ton­ner la poésie à une « case » qui serait par exem­ple celle de l’épanchement per­son­nel, mais à inter­roger la portée de cette dernière au cœur de la société humaine, sans oubli­er de not­er que la gloire de la postérité sur cer­tains artistes majeurs ne bal­aie pas d’un trait de lumière l’emprise quo­ti­di­enne de l’obscure néces­sité que fut la con­di­tion de ces mêmes artistes, pour mieux faire allu­sion au « sui­cidé de la société » selon la for­mule défini­tive d’Antonin Artaud : « La société sacralise des Van Gogh qui, vivants, étaient mis­éreux. » écrit encore l’héritier dans sa mis­sive au présent..




Daniel Brochard, Man­i­feste pour une poésie sociale.

Quoi d’étonnant alors au choix ultime de rédi­ger son Man­i­feste pour une poésie sociale ? Artic­u­lant sans cesse sa pen­sée sur le fil d’une rela­tion entre l’individu et le col­lec­tif, l’emploi du pronom sin­guli­er « je » en inter­ro­ga­tion du pronom pluriel « nous », la réflex­ion de l’essayiste sem­ble alors rejoin­dre l’axiome camusien de L’Homme révolté : « Je me révolte donc nous sommes. » Inci­ta­tions dès lors à la rébel­lion tant soli­taire que sol­idaire, passés le Préam­bule et son Pro­jet pour une action en poésie, ses éclats philosophiques fur­tifs, ses brefs dis­cours incisifs sec­ouent la tor­peur du lecteur pour mieux l’inscrire dans l’intime d’un com­bat où de la « mal­adie » intérieure à la crise de notre société, c’est l’union des sen­si­bil­ités et la con­ju­gai­son des forces créa­tives à l’ouvrage qu’invoque l’écrivain lais­sant tomber son pro­pre masque, dès l’aveu du pre­mier para­graphe de son essai : « La poésie est un com­bat. Loin de moi l’envie d’agiter le dra­peau blanc, ma con­science de révolté m’interdit de baiss­er les bras. Et pour­tant, je le devrais ( ? ) quand on voit la com­plex­ité de l’opération. » Loin du silence feu­tré de cer­tains salons lit­téraires, la vie, l’œuvre, l’engagement de Daniel Brochard se tis­sent, se croisent et réson­nent dans l’interpellation du cri d’humanité de son épi­logue comme une pas­sa­tion de témoin : « Soyez l’architecte du renou­veau ! À vous de for­mer cette assem­blée afin que la poésie devi­enne indispensable. »




Présentation de l’auteur

Daniel Brochard

Daniel Brochard est né en 1974 à Parthenay (Deux-Sèvres). Très tôt attiré par le dessin, il décou­vre la poésie à 17 ans. C’est à cet âge que débute une longue mal­adie. Hos­pi­tal­isé en 1994 et diag­nos­tiqué schiz­o­phrène, il suit des études de philoso­phie, puis mène dif­férentes activ­ités. Pein­tre en bâti­ment, saison­nier agri­cole, aide-doc­u­­men­­tal­iste, puis étu­di­ant en Doc­u­men­ta­tion à Bor­deaux, il est recon­nu Adulte Hand­i­capé en 2003. Directeur de la revue de poésie Mot à Maux et bloggeur, il com­mence sérieuse­ment la pein­ture en 2005. Menant de front écri­t­ure poé­tique et pein­ture, il s’oriente aus­si vers le roman. Il vit actuelle­ment à Tal­­mont-Saint-Hilaire (Vendée).

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Rémy Soual

Rémy Soual, enseignant de let­tres clas­siques et écrivain, ayant con­tribué dans des revues lit­téraires comme Souf­fles, Le Cap­i­tal des Mots, Kahel, Mange Monde, La Main Mil­lé­naire, ayant col­laboré avec des artistes plas­ti­ciens et rédigé des chroniques d’art pour Olé Mag­a­zine, à suiv­re sur son blog d’écri­t­ure : La rive des mots, www.larivedesmots.com Paru­tions : L’esquisse du geste suivi de Linéa­ments, 2013. La nuit sou­veraine, 2014. Par­cours, ouvrage col­lec­tif à la croisée d’artistes plas­ti­ciens, co-édité par l’as­so­ci­a­tion « Les oiseaux de pas­sage », 2017.

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