Daniel Ziv, Ce n’est rien que des mots sur les Poèmes du vide.

Par |2020-05-06T05:19:51+02:00 6 mai 2020|Catégories : Daniel Ziv|

Y a‑t-il une manière d’écrire de la poésie ? Y a‑t-il un tel cloi­son­nement générique, que l’on ne puisse pas chevauch­er les fron­tières, démar­ca­tions qui, rap­pelons-le, ne sont pas d’aujourd’hui, puisque notre cher Aris­tote dans l’antiquité a élaboré ce car­can des règles régis­sant les attri­bu­tions formels et thé­ma­tiques qui ont fait loi  jusqu’au dix-neu­vième siècle.

Oui mais enfin, il y a eu des luttes, que l’on songe à la bataille d’Her­nani, que l’on songe aux Fleurs du mal, et à la poésie de Rim­baud, que l’on se sou­vi­enne de  Mar­cel Proust pub­lié à compte d’auteur et refusé par André Gide. Que l’on n’oublie pas ces pre­miers, ces éclaireurs, qui ont jalon­né des routes neuves et pour leur époque osées, et qui ont ren­con­tré une incom­préhen­sion générale.

Daniel Ziv ne suit ni les précurseurs ni les sen­tiers bal­isés. Il est Daniel Ziv. A ce titre il s’est appro­prié les gen­res, tous, et les formes et les par­a­digmes dansent autour de sa lib­erté. Oui, mais c’est encore plus com­pliqué que ça. Ou plus sim­ple. Daniel Ziv cherche “rien”, ce quelque chose qui ense­mence ses appareils tutélaires et son écri­t­ure. Ce n’est rien, de ce rien du latin “rem”, qui sig­ni­fie chose, et qui en ancien français a con­servé cette accep­tion. Une accep­tion oubliée pour ce sub­stan­tif qui en revê­tant une nature d’ad­verbe dans laque­lle il est générale­ment employé s’est vidé du tout pour devenir l’ex­pres­sion du néant. mais le néant n’est rien s’il n’est pas tout.

Daniel Ziv, Ce n’est rien, Z4 éditions, 
2019, 201 pages, 14 euros.

Ce Rien qui est quelque chose qui est rien, signe la déam­bu­la­tion du réc­it des pages de Ce n’est rien, ou plus exacte­ment il en est le fil directeur, une recherche non pas d’u­ni­fi­ca­tion des con­traires, mais un désir de les révéler, de les inter­roger, pour le moins, de les restituer à l’en­ten­de­ment. Cette explo­ration des paramètres con­venus de nos exis­tence con­cerne d’abord la vie, le temps, qui est enon­cé et mis en œuvre dans sa dimen­sion syn­cré­tique. Le passé et le futur pren­nent place dans un présent étendu.

 

CHAPITRE PREMIER

Ton passé ; pas important,
votre futur n’est plus. Mon pré-
sent, inex­is­tant. Après les ré-
flex­ions, des astres t’ont menée à
la pos­si­bil­ité que le fini finissait
infi­ni et l’in­fi­ni fini, j’ai inventé
une machine à égout­ter le temps.
Cette machine, une illu­sion qui 
avant l’a­van­tage de nous rendre 
invis­i­bles. Le long de ce rêve, ap-
pelons-la : machine. Désastre.
Réflex­ion des astres.

 

Cette “machine à égout­ter le temps” est sûre­ment la Lit­téra­ture telle qu’in­ven­tée par Daniel Ziv. Les titres de chapitres ne lais­sent aucune place à une iden­ti­fi­ca­tion à un quel­conque univers fric­tion­nel. D’ailleurs il n’y a aucune caté­gorie générique claire­ment définie sur la cou­ver­ture. Les per­son­nages et les élé­ments de la fic­tion sont sans cesse ramenés à l’écriture, à la fic­tion elle-même fic­tion, puisque le réel appréhendé lui-même comme fic­tion est le cadre et le pré­texte d’une vision spécu­laire sur sa nature fictive.

 

Acte un

      J’ai viré Véra. Elle 
écrit comme et n’importe 
quoi. J’ai beau l’avoir inventée,
elle n’a pas com­pris ce que je ne 
lui demandais pas.

 

A l’instar de Diderot qui le pre­mier inter­ro­geait les paramètres fic­tion­nels, et dia­loguait avec son per­son­nage, Daniel Ziv va fouiller la fab­ri­ca­tion des instances nar­ra­tives. Mais il va plus loin, puisqu’il offre la fici­ton d’un réel don­né à voir comme une fic­tion. Dès lors Rien et tout se con­fondent dans l’écriture, dans sa danse avec le silence sus­cité par ces polar­ités jux­ta­posés et explorés. Mêlant toutes les caté­gories génériques, et le méta­lan­gage du roman, du lan­gage dra­ma­tique, les formes, les tons, ce qui lie l’ensem­ble, si ce n’é­tait le tal­ent de l’au­teur, son style recon­naiss­able entre tous, c’est le rire, ce regard bien­veil­lant et sage posé sur le monde, et qui fait que l’on peut suiv­re ce nar­ra­teur auteur et partager avec lui cette liesse immense que l’on ressent lorsque la con­science guide les perceptions.

De rien au vide, il n’y a qu’un gouf­fre franchi allè­gre­ment par Daniel Ziv, dans Poèmes du vide. Ces poèmes autour du temps, de ce point focal où passé et futur sont entiers dans le présent, jalonne les pages de ce recueil. Mais ici c’est le monde qui sert de toile de fond au poète, les cris du monde qui col­orent l’espaces scrip­tur­al de rouge sang. Les textes sont accom­pa­g­nés de dessins de Jacques Cau­da, qui bien sûr révè­lent et sou­ti­en­nent l’in­ten­sité dra­ma­tique des poèmes.

 

La nuit se dérobe, la nuit te viole
ton héroïne oublie des étoiles
glacées dans la terre,
putrifiées.
la nuit t’en­veloppe, se caresse
te retient puis s’endort
cha­cun de tes rêves
est gris uniforme

Des mots qui osent évo­quer les bar­belés et la guerre. Des mots servis par un lex­ique sonore, qui heurte par­fois mais jamais au hasard, qui déver­rouil­lent les ser­rures apposée sur l’émotion, vive, humaine, de ce spec­ta­cle. Des asso­nances, des allitéra­tions, des images qui fusent partout. La poésie est dans cette lib­erté incan­ta­toire et sonore, partout où s’exprime le nom­bre dans la voix du poète. La poésie est dans les Poèmes du vide, ou alors Ce n’est rien, là, il y a tout de l’univers dévoilé dans le cri unique de l’hu­man­ité révélé par ce silence, le poème.

 

 

Daniel Ziv, Poèmes du vide, Z4
édi­tions, 2017, 97 pages, 12 euros.

C’est sans danger
tra­vail / fer­raille des mots abîmés et 
usés.
le train — Auschwitz Buchenwaid
Dachau Birkenau
matin après matin d’autres voisins
juifs, tzi­ganes, communistes
fer­raille / pagaille
et ten­ter de rester nuit après nuit
le même que le jour d’avant.
danger,
pagaille iden­tité numérotée. 
laisse donc,
ces mal­heureux sont broyés par le vide.
dans le monde des vivants
des amis dis­aient theâtre, théâtre
la vie n’est pas romantique,
pagaille, fer­raille, voies de chemin de
fer,
hurlements,
la nation / le rasoir
je, vous /
je ne pas /
la ter­reur, tut rede­vien­dra normal
au fond, une cham­bre à gaz.

Présentation de l’auteur

Daniel Ziv

Daniel Ziv est­né à Paris en 1953. C’est un écrivain, poète et édi­teur français qui dirige Z4 éditions. 

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Carole Mesrobian

Car­ole Car­cil­lo Mes­ro­bian est poète, cri­tique lit­téraire, revuiste, per­formeuse, éditrice et réal­isatrice. Elle pub­lie en 2012 Foulées désul­toires aux Edi­tions du Cygne, puis, en 2013, A Con­tre murailles aux Edi­tions du Lit­téraire, où a paru, au mois de juin 2017, Le Sur­sis en con­séquence. En 2016, La Chou­croute alsa­ci­enne paraît aux Edi­tions L’âne qui butine, et Qomme ques­tions, de et à Jean-Jacques Tachd­jian par Van­i­na Pin­ter, Car­ole Car­ci­lo Mes­ro­bian, Céline Delavaux, Jean-Pierre Duplan, Flo­rence Laly, Chris­tine Tara­nov,  aux Edi­tions La chi­enne Edith. Elle est égale­ment l’au­teure d’Aper­ture du silence (2018) et Onto­genèse des bris (2019), chez PhB Edi­tions. Cette même année 2019 paraît A part l’élan, avec Jean-Jacques Tachd­jian, aux Edi­tions La Chi­enne, et Fem mal avec Wan­da Mihuleac, aux édi­tions Tran­signum ; en 2020 dans la col­lec­tion La Diag­o­nale de l’écrivain, Agence­ment du désert, paru chez Z4 édi­tions, et Octo­bre, un recueil écrit avec Alain Bris­si­aud paru chez PhB édi­tions. nihIL, est pub­lié chez Unic­ité en 2021, et De nihi­lo nihil en jan­vi­er 2022 chez tar­mac. A paraître aux édi­tions Unic­ité, L’Ourlet des murs, en mars 2022. Elle par­ticipe aux antholo­gies Dehors (2016,Editions Janus), Appa­raître (2018, Terre à ciel) De l’hu­main pour les migrants (2018, Edi­tions Jacques Fla­mand) Esprit d’ar­bre, (2018, Edi­tions pourquoi viens-tu si tard), Le Chant du cygne, (2020, Edi­tions du cygne), Le Courage des vivants (2020, Jacques André édi­teur), Antholo­gie Dire oui (2020, Terre à ciel), Voix de femmes, antholo­gie de poésie fémi­nine con­tem­po­raine, (2020, Pli­may). Par­al­lèle­ment parais­sent des textes inédits ain­si que des cri­tiques ou entre­tiens sur les sites Recours au Poème, Le Cap­i­tal des mots, Poe­siemuz­icetc., Le Lit­téraire, le Salon Lit­téraire, Décharge, Tex­ture, Sitaud­is, De l’art helvé­tique con­tem­po­rain, Libelle, L’Atelier de l’ag­neau, Décharge, Pas­sage d’en­cres, Test n°17, Créa­tures , For­mules, Cahi­er de la rue Ven­tu­ra, Libr-cri­tique, Sitaud­is, Créa­tures, Gare Mar­itime, Chroniques du ça et là, La vie man­i­feste, Fran­copo­lis, Poésie pre­mière, L’Intranquille., le Ven­tre et l’or­eille, Point con­tem­po­rain. Elle est l’auteure de la qua­trième de cou­ver­ture des Jusqu’au cœur d’Alain Bris­si­aud, et des pré­faces de Mémoire vive des replis de Mar­i­lyne Bertonci­ni et de Femme con­serve de Bluma Finkel­stein. Auprès de Mar­i­lyne bertonci­ni elle co-dirige la revue de poésie en ligne Recours au poème depuis 2016. Elle est secré­taire générale des édi­tions Tran­signum, dirige les édi­tions Oxy­bia crées par régis Daubin, et est con­cep­trice, réal­isatrice et ani­ma­trice de l’émis­sion et pod­cast L’ire Du Dire dif­fusée sur radio Fréquence Paris Plurielle, 106.3 FM.

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