Danielle Terrien, L’âge du regard, dessin de Marie Alloy

Par |2024-09-06T06:20:43+02:00 6 septembre 2024|Catégories : Critiques, Danielle Terrien|

J’aime en ce moments les formes cour­tes. Foin des bavardages ent­hou­si­astes, des fas­ti­dieuses illu­mi­na­tions tou­jours entachées de bondieuseries, des élans qui s’évaporent dans le firmament. 

J’aime que chaque mot compte, que cha­cun d’entre eux soit un objet de médi­ta­tion. Voilà pourquoi, d’abord, j’aime L’âge du regard de Danielle Ter­rien. Dans ce poème elle file en sour­dine la métaphore d’un mythe ancien. Voilà ce qu’elle nous propose :

Lire entre les lignes
Voir dans les silences :
Enten­dre sa voix

Tel est son art poé­tique, qui nous invite à sous-enten­dre. Donc entre les lignes je lis : 

Danielle Ter­rien, L’âge du regard, dessin de Marie Alloy, Cahiers du Loup bleu, éd. Les Lieux-Dits, 2024, 7 €.

Dans une pre­mière par­tie titrée Infini­tifs, qui est une scène d’exposition, Thésée tue le Mino­tau­re dont le sang col­ore la mer, il s’embarque, délais­sant Ari­ane qui l’avait par amour guidé dans le labyrinthe. 

Dans la par­tie L’âge du regard 1, le Mino­tau­re est amoureux de la voix d’Ariane, Thésée tient son fil entre ses doigts.

Dans la par­tie L’âge du regard 2 : le Mino­tau­re pleure l’amour d’Ariane, il sait que Thésée au beau vis­age le vain­cra, il l’accepte, lui qui souf­fre de sa bestialité…

… Mais voilà que je tente de pis­ter, à la manière de Charles Mau­ron, les métaphores obsé­dantes de l’auteure au lieu de laiss­er agir sur moi le poème… serai-je atteint du mal uni­ver­si­taire ? Ou d’une curiosité mal­saine qui me con­duirait à inter­roger Danielle Ter­rien : quelle est cette his­toire d’amour impos­si­ble ? Cet amant bes­tial sac­ri­fié ? Ce beau ténébreux volage ? Cette Ari­ane aban­don­née ? Quel événe­ment est à la source du drame ? Qui furent les pro­tag­o­nistes anciens qui, tels Pasiphaé et le tau­reau blanc, pra­tiquèrent un mon­strueux accouplement ? 

…  au lieu de laiss­er agir sur moi le mys­tère du poème, alors que  c’est ce mys­tère qui m’a attaché à sa lec­ture. Qu’on en juge, s’il vous est pos­si­ble de capter l’impalpable :  

1

Rouge
le sang
éclabousse le bleu
jusqu’au loin­tain rivage. 

2

Remon­tant les marches 
brûlées de soleil 
le sac­ri­fice
encore vis­i­ble
dans les vagues.

Tout est dit, comme rien. Tout est vu, perçues les couleurs, la chaleur, les vagues… Leur présence reste intacte, brute, hors du temps. Tel est le mir­a­cle du poème, qui par­fois oublie la gra­tu­ité du signe (puisqu’on sait que le mot ne réfère pas à la chose dé-signée). Qui serait comme une pierre remon­tée du noy­au d’une terre :

Mourir encore une fois 
afin que l’écrit vive. 
Écrin gran­i­tique
sur­gi du souterrain.

Je pour­rais répéter le poème en entier, comme si le dire et le redire renou­ve­lait à chaque fois le miracle. 

Présentation de l’auteur

Danielle Terrien

Danielle Ter­rien est auteure et poète, doc­teur en lit­téra­ture française. 

© Crédits pho­tos ens

Bibliographie 

Auteure d’une thèse sur Vic­tor Segalen (Le Dou­ble dans l’oeu­vre de Vic­tor Segalen, sous la direc­tion de Mireille Sacotte, Paris, 2000), écrivain auquel elle a con­sacré plusieurs arti­cles (“Vic­tor Segalen, jour­nal de voy­age et avant-texte”, 2006) ou encore Genèse du poème « Trahi­son fidèle » dans Stèles de Vic­tor Segalen, avec Jean-Jacques Queloz (2014), elle est égale­ment poète. Elle a com­mencé à pub­li­er en 1993 dans la revue La Sape puis dans d’autres revues ( Le Cri d’Os, Décharge, Les Nou­veaux Cahiers de l’Adour, Encres Vives, Arpa, Le Matin Débou­ton­né, Poésie/première, Le Jour­nal des Poètes, Liqueur 44, Voix d’En­cre ain­si que Lieux d’Être). Elle a notam­ment pub­lié Poèmes à l’In­cer­taine (Encres Vives, 1999), Les voies de l’In­cer­taine (La Bar­tavelle, 2001), L’é­clat du papil­lon (Pré # Car­ré, 2006), Bleu (La Porte, 2007), Neu­vième couleur (La Porte, 2009), Por­trait ovale (La Porte, 2010), Traces vertes (Ficelle, 2010).

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Mathias Lair

Math­ias Lair Liaudet est écrivain, philosophe et psy­ch­an­a­lyste. Il a pub­lié une trentaine de poèmes, romans et nou­velles, d’essais chez une trentaine d’éditeurs qu’on dit « autres ». On trou­ve ses chroniques dans les revue Décharge et Rumeurs ; égale­ment des notes de lec­ture et cri­tiques dans divers­es revues et divers sites. Sous le nom de Jean-Claude Liaudet, il a pub­lié des ouvrages de psy­ch­analyse, et par­fois de poli­tique, chez L’Archipel, Fayard, Flam­mar­i­on, Albin Michel, Odile Jacob. Depuis qu’il a créé, dans les années 80, le CALCRE (Comité des Auteurs en Lutte Con­tre le Rack­et de Édi­tion) il défend le droit des auteurs. Il est actuelle­ment élu au comité de la SGDL (Société des Gens De Lettres).

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