Danielle Terrien, L’âge du regard, dessin de Marie Alloy

J’aime en ce moments les formes courtes. Foin des bavardages enthousiastes, des fastidieuses illuminations toujours entachées de bondieuseries, des élans qui s’évaporent dans le firmament.

J’aime que chaque mot compte, que chacun d’entre eux soit un objet de méditation. Voilà pourquoi, d’abord, j’aime L’âge du regard de Danielle Terrien. Dans ce poème elle file en sourdine la métaphore d’un mythe ancien. Voilà ce qu’elle nous propose :

Lire entre les lignes
Voir dans les silences :
Entendre sa voix

Tel est son art poétique, qui nous invite à sous-entendre. Donc entre les lignes je lis :

Danielle Terrien, L’âge du regard, dessin de Marie Alloy, Cahiers du Loup bleu, éd. Les Lieux-Dits, 2024, 7 €.

Dans une première partie titrée Infinitifs, qui est une scène d’exposition, Thésée tue le Minotaure dont le sang colore la mer, il s’embarque, délaissant Ariane qui l’avait par amour guidé dans le labyrinthe.

Dans la partie L’âge du regard 1, le Minotaure est amoureux de la voix d’Ariane, Thésée tient son fil entre ses doigts.

Dans la partie L’âge du regard 2 : le Minotaure pleure l’amour d’Ariane, il sait que Thésée au beau visage le vaincra, il l’accepte, lui qui souffre de sa bestialité...

… Mais voilà que je tente de pister, à la manière de Charles Mauron, les métaphores obsédantes de l’auteure au lieu de laisser agir sur moi le poème… serai-je atteint du mal universitaire ? Ou d’une curiosité malsaine qui me conduirait à interroger Danielle Terrien : quelle est cette histoire d’amour impossible ? Cet amant bestial sacrifié ? Ce beau ténébreux volage ? Cette Ariane abandonnée ? Quel événement est à la source du drame ? Qui furent les protagonistes anciens qui, tels Pasiphaé et le taureau blanc, pratiquèrent un monstrueux accouplement ?

…  au lieu de laisser agir sur moi le mystère du poème, alors que  c’est ce mystère qui m’a attaché à sa lecture. Qu’on en juge, s’il vous est possible de capter l’impalpable :  

1

Rouge
le sang
éclabousse le bleu
jusqu’au lointain rivage.

2

Remontant les marches 
brûlées de soleil
le sacrifice
encore visible
dans les vagues.

Tout est dit, comme rien. Tout est vu, perçues les couleurs, la chaleur, les vagues… Leur présence reste intacte, brute, hors du temps. Tel est le miracle du poème, qui parfois oublie la gratuité du signe (puisqu’on sait que le mot ne réfère pas à la chose dé-signée). Qui serait comme une pierre remontée du noyau d’une terre :

Mourir encore une fois
afin que l’écrit vive.
Écrin granitique
surgi du souterrain.

Je pourrais répéter le poème en entier, comme si le dire et le redire renouvelait à chaque fois le miracle.  

Présentation de l’auteur

Danielle Terrien

Danielle Terrien est auteure et poète, docteur en littérature française. 

© Crédits photos ens

Bibliographie 

Auteure d'une thèse sur Victor Segalen (Le Double dans l'oeuvre de Victor Segalen, sous la direction de Mireille Sacotte, Paris, 2000), écrivain auquel elle a consacré plusieurs articles ("Victor Segalen, journal de voyage et avant-texte", 2006) ou encore Genèse du poème « Trahison fidèle » dans Stèles de Victor Segalen, avec Jean-Jacques Queloz (2014), elle est également poète. Elle a commencé à publier en 1993 dans la revue La Sape puis dans d'autres revues ( Le Cri d'Os, Décharge, Les Nouveaux Cahiers de l'Adour, Encres Vives, Arpa, Le Matin Déboutonné, Poésie/première, Le Journal des Poètes, Liqueur 44, Voix d'Encre ainsi que Lieux d'Être). Elle a notamment publié Poèmes à l'Incertaine (Encres Vives, 1999), Les voies de l'Incertaine (La Bartavelle, 2001), L'éclat du papillon (Pré # Carré, 2006), Bleu (La Porte, 2007), Neuvième couleur (La Porte, 2009), Portrait ovale (La Porte, 2010), Traces vertes (Ficelle, 2010).

Poèmes choisis

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