Dans l’archipel du poème : entretien avec Sabine Péglion

Par |2024-11-06T16:13:34+01:00 6 novembre 2024|Catégories : Rencontres, Sabine Péglion|

Auteure de nom­breux recueils, Sabine Péglion est une poète au par­cours déjà long, qui a résol­u­ment placé la poésie au cen­tre de sa vie. J’ai tou­jours été émue par son extrême sen­si­bil­ité, l’acuité de son atten­tion au monde, sous tous ses aspects, qu’ils relèvent de l’humain ou de cette nature dont elle aime à se saisir à pleines mains au quo­ti­di­en, pour l’observer, la veiller au fil des saisons. Ses livres les plus récents sont parus aux édi­tions La tête à l’envers et à L’Ail des ours.  Son écri­t­ure est mar­quée par la quête de la note la plus juste et de l’épure. Comme le cristal que l’on taille, ses poèmes s’ouvrent à la mul­ti­plic­ité des reflets et leur lumière vient nous touch­er cha­cune et cha­cun dans la sin­gu­lar­ité de nos chemins et de nos expériences.

L’originalité de la recherche que mène Sabine Péglion vient aus­si d’une dou­ble pra­tique. Elle écrit des poèmes qu’elle accom­pa­gne elle-même de dessins à l’encre de Chine, d’encres typographiques ou de pein­tures. Avant de nous arrêter sur L’espérance d’un bleu, son dernier recueil paru en juin 2024 chez La tête à l’envers, don­nons à la poète l’occasion de par­ler des rap­ports qu’elle entre­tient avec la poésie ain­si que les arts plas­tiques. Écou­tons celle qui a partagé longtemps lit­téra­ture et poésie avec ses élèves, celle qui a ani­mé avec pas­sion des cafés-poésie où elle a reçu de nom­breux poètes. Elle sait si bien l’importance des mots et de l’échange pour ten­ter d’approcher ce qu’est la poésie, ce qu’est une pra­tique de poète.

THE AUTHORS’ VOICE — Un poème pour nos amis grecs, Sabine Péglion, TEXTO LEXIKOPOLEIO

On dit sou­vent que la poésie est une façon d’habiter le monde. Qu’en pensez-vous ?
Je par­lerais plutôt d’un regard par­ti­c­uli­er que l’on porte sur les êtres, les choses ? Que ce soit la nature, les objets ou tout ce qui relève de l’inventivité de l’homme et le rap­port qu’exercent ces dif­férentes choses entre elles.
Pour­riez-vous nous par­ler de votre his­toire avec la poésie ? Remonte-t-elle à l’enfance ?
Du plus loin qu’il m’en sou­vi­enne j’ai tou­jours aimé enten­dre des poèmes et l’écriture poé­tique. Petite, je me sou­viens avoir recopié sur un cahi­er des vers de dif­férents poètes, poèmes appris à l’école ou enten­du dans des chan­sons. Est-ce les images ou la musique des mots, mais j’éprouvais un grand plaisir à appren­dre des poèmes et j’adorais faire des dessins dans mes cahiers de poésie.
Vous avez con­sacré votre thèse de doc­tor­at à Philippe Jac­cot­tet. Com­ment se ren­con­trent tra­vail de recherche uni­ver­si­taire et pra­tique de la poésie ? Se nour­ris­sent-ils l’un l’autre ou l’un finit-il par pren­dre la place de l’autre ?
Pour moi un poème est un chant qui se con­stru­it à l’intérieur de soi, et peu à peu s’impose. Ce n’est ni une sagesse, ni un art de vivre mais une recherche d’authenticité dans la per­cep­tion des images ou des émo­tions que l’on essaie de transcrire.

 

Dans un entre­tien que vous avez accordé à Pierre Kobel, vous dites de la poésie : « Elle fait appel à tout notre être, pas unique­ment notre intel­li­gence » En quoi cet engage­ment de la total­ité de ce que nous sommes est-il néces­saire ? Devient-il une sagesse, une sorte d’art de vivre ?

Je n’ai aucun rit­uel, aucune organ­i­sa­tion réelle mais je note sur un cahi­er ou sur des bouts de papiers (qu’il me faut par­fois retrou­ver avec dif­fi­cultés) des phras­es en apparence très banales, qui m’ouvrent intérieure­ment une voie, un chemin sur lequel je vais m’avancer. Peut-être juste l’ébauche d’un paysage, un geste, un per­son­nage qui passe devant moi et dont l’image s’imprègne. Par exem­ple le poème «Le Pont de l’Alma» tiré du recueil audio «Rumeurs du Monde» est né de l’image d’un SDF, au milieu d’une foule ani­mée, pous­sant un cad­die sur lequel s’amoncelaient dif­férents sacs plastique.

Effec­tive­ment, une fois le poème con­stru­it, tout un tra­vail est néces­saire sur le rythme, les sonorités, pour par­venir à être au plus juste avec soi-même et se rap­procher au plus près de ce qu’on ressent en soi.

 

Poème de Sabine Péglion illus­tra­tion de Renaud Alli­rand, ARTS ET LETTRES vive les artistes !

Pou­vez-vous nous par­ler de votre écri­t­ure ? Com­ment la vivez-vous au quo­ti­di­en ? Diriez-vous qu’il y a un tra­vail de la poésie ?
Les poèmes nais­sent à dif­férents moments. Puis un jour on tente de rassem­bler ces notes épars­es et là c’est tou­jours un éton­nement, car un thème insoupçon­né appa­raît et le recueil se con­stru­it de lui-même, sans effort, les poèmes sem­blant suiv­re un fil con­duc­teur qu’inconsciemment on déroulait.
Écrire certes mais pourquoi un jour écrit-on des poèmes ?
(Ques­tion que l’on m’a sou­vent posée, avec un petit sourire, car déjà oser se déclar­er poète est une posi­tion pour le moins étrange !)
On ne se pose pas la ques­tion. Dans cette con­fronta­tion avec la page blanche les mots, au monde don­nent forme. Ils exis­tent, à la page s’accrochent, éloignent pour un instant l’insuffisance d’être. Un poème sin­gulière­ment ne se décide pas, il s’inscrit en nous, il s’impose.
Ni mes­sage, ni his­toire seule­ment saisir ces instants rares où bas­cule la réal­ité des choses, où s’ouvre un chemin, où s’introduit, là, tout proche, quelque chose de l’ordre d’une tran­scen­dance, un trem­ble­ment à la sur­face du monde lui don­nant plus d’intensité … Bachelard dis­ait que « la poésie trou­ve sa dimen­sion spé­ci­fique dans le temps ver­ti­cal d’un instant immobilisé ».
Pas néces­saire­ment un spec­ta­cle atten­du, Plus un fais­ceau de cir­con­stances, une soudaine con­cor­dance de bruits, de par­fums, de lumière, une qual­ité, une inten­sité …temps soudain sus­pendu dans un bulle de silence.
Le poème s’impose car il offre, choisit une forme dense, où les mots réson­nent entre eux, en nous, avec le lecteur, avec la page, où le « logos » s’efface devant le chant, «odos», on con­stru­it à la fois un sens et un « objet » («ob-jeu» dis­ait Ponge).
Par­fois une musique se crée et l’on s’attache à une con­trainte qui peut soutenir cette musique, là, par­fois, elle devient source de création.
Mais ne voyez pas dans le poète un être décon­nec­té du réel. Philippe Jac­cot­tet, pré­ci­sait avec justesse que pour le poète il s’agit d’« une  obser­va­tion à la fois acharnée et dis­traite du monde et jamais au grand jamais d’une éva­sion hors du monde» La Prom­e­nade Sous Les Arbres p.38.
En effet il se doit quand cela s’impose de bous­culer, de dénon­cer, de témoign­er. S’efforcer de ne pas s’enfoncer dans la banal­ité, le con­fort intel­lectuel de la cer­ti­tude, de l’acceptation.
Le poète reste libre …Lorsqu’on crée ce qui importe c’est ce qui cherche à naître en nous, la con­trainte c’est d’être au plus près de ce qui s’entend en soi !
Trou­ver le mot juste ! L’écriture poé­tique tient de la ful­gu­rance et de la maîtrise. Rien sans inspi­ra­tion, écoute intérieure, silence. Rien sans tra­vail, rigueur, sévérité envers soi-même, nulle com­plai­sance. Ne pas oubli­er qu’un poème est un dia­logue, il n’est pas con­tem­pla­tion nar­cis­sique de soi-même.

Lec­ture par Sabine Péglion de son recueil Ces mots si clairsemés Édi­teur : la tête à l’envers, Lautre­LIV­RE CA.

Depuis plusieurs années déjà, vous faites vous-même l’accompagnement plas­tique vos   recueils. S’agit-il d’un besoin sen­soriel auquel les mots ne peu­vent répon­dre ? Ou de la voix d’autres instru­ments qui vient se mari­er à celle des mots comme dans un ensem­ble musi­cal ? Le geste de la plas­ti­ci­enne vient-il tou­jours après celui de la poète qui écrit ou les choses s’inversent-elles parfois ?
Ce ne sont pas des illus­tra­tions. Il y a des péri­odes d’écriture et des péri­odes où l’art plas­tique s’impose. Ce sont deux activ­ités par­al­lèles mais curieuse­ment je ne peins pas en pen­sant à un recueil où à un poème. Générale­ment ce sont les édi­teurs qui choi­sis­sent par­mi les aquarelles ou encres que je leur mon­tre celles qui sem­blent pou­voir entr­er en réso­nance avec le texte.
Où que vous alliez, vous aimez le partage, qu’il s’agisse de poésie ou de ces nour­ri­t­ures ter­restres, où vous cherchez aus­si à intro­duire une créa­tiv­ité qui rend chaque moment sin­guli­er et pré­cieux. S’agit-il d’une forme de com­mu­nion qui donne une valeur par­ti­c­ulière à l’instant ?
Trans­met­tre, partager mais c’est pour moi ce qui donne sens à notre existence !
Pou­vez-vous nous par­ler du partage qu’est aus­si la lec­ture ? Quels poètes lisez-vous et quelle place occu­pent-ils dans votre vie dédiée à l’écriture ?
Bien trop de noms ! Impor­tance d’Aragon, d’Eluard, de Lorand Gas­par et bien sûr Jaccottet !
Quels con­seils don­ner­iez-vous aux jeunes poét­esses et aux jeunes poètes ?
Des con­seils ? Être soi-même, trou­ver ce qui chante en soi ! Loin des modes et … des conseils !

 

 

Présentation de l’auteur

Sabine Péglion

Née à Mona­co, Sabine Péglion a étudié les let­tres à Nice, soutenu un doc­tor­at sur l’œuvre de Philippe Jac­cot­tet à la Sor­bonne, enseigné en région parisi­enne. A présent, par­al­lèle­ment à l’écriture, elle inter­vient dans dif­férents étab­lisse­ments sco­laires comme poète, autour d’ateliers de poésie, per­me­t­tant ain­si, à un pub­lic sco­laire ou non sco­laire, non seule­ment de décou­vrir le genre, mais égale­ment de s’exercer à l’écriture de poèmes, et de partager son expéri­ence de poète. Par ailleurs elle a créé une asso­ci­a­tion, Métaphores, dont le but est de pro­mou­voir la poésie et de faire décou­vrir la poésie con­tem­po­raine. Depuis 10 ans, elle organ­ise et  ani­me  des cafés-poésie. Le goût de la trans­mis­sion et de la décou­verte de l’Autre, s’associent pour elle, sou­vent à l’occasion de voy­ages. Elle a pu ain­si men­er des ate­liers, faire des cours en Aus­tralie, en Grèce, au Maroc, en Algérie. En décem­bre 2016, elle a reçu à Milan le prix inter­na­tion­al de poésie « sur les traces de Léopold Sedar Sen­g­hor » et, en mars 2017, elle a été nom­mée ambas­sadrice de ce prix. En 2019 elle a été nom­mée Cheva­lier des Arts et des Lettres.

Bibliographie

Recueils

Sur les rives du lac Khövsgöl, Edi­tions de La Marg­eride, gravures Robert Lobet, 2024
L’espérance d’un bleu, Edi­tions La Tête à l’Envers, 2024, encres de l’auteur
Cet au-delà de l’ombre, Edi­tions L’Ail des Ours, Decem­bre 2023, encres de l’auteur
 Aus­tralie, le temps d’un rêve, Edi­tions V. Rougi­er, Août 2022, encres de l’auteur
 Dans le vent de l’archipel, Edi­tions L’Ail des Ours, 2021, encres de l’auteur
Sil­lages de Lumière, Edi­tions Bour­dar­ic, 10 exem­plaires numérotés, Œuvres orig­i­nales de Bang Hai Ja, 2019
Rumeurs du monde, Edi­tions Sous La Lime, 2019
Ces mots si clairsemés, Edi­tions La Tête à l’Envers, 2019, encres de l’auteur
Elle m’avait demandé, Edi­tions entre Terre et ciel, mars 2017, encres de l’auteur
Paroles de gran­it, Edi­tions de la Marg­eride, gravures Robert Lobet, 2017
Faire un trou à la Nuit, Edi­tions La Tête à l’Envers, 2016, encres de l’auteur
Con­nivence 3 Le mur Edi­tions de la Marg­eride, gravures Robert Lobet, 2016
Un éclair de silence, Edi­tions la Marg­eride, gravures Robert Lobet, 2015
Le nid, Edi­tions La Tête à l’Envers, 2015, encres de l’auteur
Prière Minérale, Edi­tions de la Marg­eride, gravures Robert Lobet ‚2015
Ecrire à Yaoundé, Edi­tions V. Rougi­er, 2015, encres de l’auteur
Des mots Des formes Une ren­con­tre, sculp­tures M. Salav­ize, livre d’auteurs, 2014
Tra­ver­sée Nomade, Edi­tions Sous La Lime, 2013
Der­rière la vit­re, Edi­tions V. Rougi­er, 2012
Aus­tralie, notes croisées, dessins de J. Bret, livre d’auteurs, 2011
Danse, deux regards poé­tiques sur des cro­quis de danse, en col­lab­o­ra­tion avec B. More­au et J. Bret, livre d’auteurs, 2008
Méta­mor­phoses, Edi­tions Hélices Poésie, 2005

Revues

Poésie Ter­restre (17,19)
Voix d’encre n° 33
Inter­ven­tions à Haute Voix (n° 32, 36,38, 39,40), Encres vagabondes
Les Let­tres Français­es, in L’Humanité, 07/07/07
Etoiles d’encre (n° 35–36 ; n°39–40, n°41–42,43–44, 45–46)
Etoiles d’encre, Recueil « Les étoiles d’Imoudal » in n°69–70
Etoiles d’encre, Artiste invitée du n° 75–76, « Epi­er le rêve »
Esprits poé­tiques (1,3)
Le 100 ème numéro de Ficelle, Edi­tions de Vin­cent Rougi­er, a accueil­li sa « dictée ».
Les car­nets d’Eucharis mai-juin 11, fév. 2009, fev. 2013, fev. 2014, fev. 2015, (Comité de rédac­tion des numéros papier).
Vir­gules et Pollen
Ter­res de femmes, 1er juil­let 2010
Fran­copo­lis mars, avril, mai 2012
Arpa, n°122, fev 2018
Décharges, 183, sep­tem­bre 2019: Encres en cou­ver­ture et dans la revue

Antholo­gies

Le courage, Edi­tions Bruno Doucey, 2020, Antholo­gie de référence du Print­emps des Poètes
La beauté, Ephéméride poé­tique Edi­tions Bruno Doucey, 2019, Antholo­gie de référence du Print­emps des Poètes
Du feu que nous sommes, Edi­tions Abor­do ‚2019
Mai 1968, Edi­tions des Cahiers de l’Asphalte, 2018
L’eau entre nos doigts, Edi­tions Hen­ry, 2018
Le rêve, Edi­tions Unic­ité, 2018
Eloge et défense de la langue française, Edi­tions Unic­ité, 2016
Quand on n’a que l’amour, Edi­tions Bruno Doucey, 2015, Antholo­gie établie par Sabine Péglion et Bruno Doucey
Pas d’ici, Pas d’ailleurs, Édi­tions Voix d’Encre, 2012, Antholo­gie poé­tique fran­coph­o­ne de voix féminines contemporaines
Les voix du poème, Edi­tions Bruno Doucey, 2013, Antholo­gie de référence du Print­emps des Poètes
Instants de ver­tige, Édi­tions Point de fuite, 2013
Enfan­taisie, Edi­­tions-sous-Lime, Mars 2012, Antholo­gie sonore, CD+ Livrets
Côté femmes, D’un poème l’autre, Antholo­gie voyageus , Édi­tions Espace Libre, Paris/Alger, 2010
Poètes pour Haïti, L’harmattan, 2011

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Cécile Oumhani

Poète et roman­cière, Cécile Oumhani a été enseignant-chercheur à l’Université de Paris-Est Créteil. Elle est l’auteur de plusieurs recueils dont Passeurs de rives, Mémoires incon­nues et La ronde des nuages, paru chez La Tête à l’Envers en 2022. Elle a pub­lié plusieurs romans dont L’atelier des Stre­sor, Les racines du man­darinier, ou encore Tunisian Yan­kee chez Elyzad. Elle a reçu le Prix européen fran­coph­o­ne Vir­gile 2014 pour l’ensemble de son œuvre.

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