Dans l’archipel du poème : entretien avec Sabine Péglion

Auteure de nombreux recueils, Sabine Péglion est une poète au parcours déjà long, qui a résolument placé la poésie au centre de sa vie. J’ai toujours été émue par son extrême sensibilité, l’acuité de son attention au monde, sous tous ses aspects, qu’ils relèvent de l’humain ou de cette nature dont elle aime à se saisir à pleines mains au quotidien, pour l’observer, la veiller au fil des saisons. Ses livres les plus récents sont parus aux éditions La tête à l’envers et à L’Ail des ours.  Son écriture est marquée par la quête de la note la plus juste et de l’épure. Comme le cristal que l’on taille, ses poèmes s’ouvrent à la multiplicité des reflets et leur lumière vient nous toucher chacune et chacun dans la singularité de nos chemins et de nos expériences.

L’originalité de la recherche que mène Sabine Péglion vient aussi d’une double pratique. Elle écrit des poèmes qu’elle accompagne elle-même de dessins à l’encre de Chine, d’encres typographiques ou de peintures. Avant de nous arrêter sur L’espérance d’un bleu, son dernier recueil paru en juin 2024 chez La tête à l’envers, donnons à la poète l’occasion de parler des rapports qu’elle entretient avec la poésie ainsi que les arts plastiques. Écoutons celle qui a partagé longtemps littérature et poésie avec ses élèves, celle qui a animé avec passion des cafés-poésie où elle a reçu de nombreux poètes. Elle sait si bien l’importance des mots et de l’échange pour tenter d’approcher ce qu’est la poésie, ce qu’est une pratique de poète.

THE AUTHORS' VOICE - Un poème pour nos amis grecs, Sabine Péglion, TEXTO LEXIKOPOLEIO

On dit souvent que la poésie est une façon d’habiter le monde. Qu’en pensez-vous ?
Je parlerais plutôt d’un regard particulier que l’on porte sur les êtres, les choses ? Que ce soit la nature, les objets ou tout ce qui relève de l’inventivité de l’homme et le rapport qu’exercent ces différentes choses entre elles.
Pourriez-vous nous parler de votre histoire avec la poésie ? Remonte-t-elle à l’enfance ?
Du plus loin qu’il m’en souvienne j’ai toujours aimé entendre des poèmes et l’écriture poétique. Petite, je me souviens avoir recopié sur un cahier des vers de différents poètes, poèmes appris à l’école ou entendu dans des chansons. Est-ce les images ou la musique des mots, mais j’éprouvais un grand plaisir à apprendre des poèmes et j’adorais faire des dessins dans mes cahiers de poésie.
Vous avez consacré votre thèse de doctorat à Philippe Jaccottet. Comment se rencontrent travail de recherche universitaire et pratique de la poésie ? Se nourrissent-ils l’un l’autre ou l’un finit-il par prendre la place de l’autre ?
Pour moi un poème est un chant qui se construit à l’intérieur de soi, et peu à peu s’impose. Ce n’est ni une sagesse, ni un art de vivre mais une recherche d’authenticité dans la perception des images ou des émotions que l’on essaie de transcrire.

 

Dans un entretien que vous avez accordé à Pierre Kobel, vous dites de la poésie : « Elle fait appel à tout notre être, pas uniquement notre intelligence » En quoi cet engagement de la totalité de ce que nous sommes est-il nécessaire ? Devient-il une sagesse, une sorte d’art de vivre ?

Je n’ai aucun rituel, aucune organisation réelle mais je note sur un cahier ou sur des bouts de papiers (qu’il me faut parfois retrouver avec difficultés) des phrases en apparence très banales, qui m’ouvrent intérieurement une voie, un chemin sur lequel je vais m’avancer. Peut-être juste l’ébauche d’un paysage, un geste, un personnage qui passe devant moi et dont l’image s’imprègne. Par exemple le poème «Le Pont de l’Alma» tiré du recueil audio «Rumeurs du Monde» est né de l’image d’un SDF, au milieu d’une foule animée, poussant un caddie sur lequel s’amoncelaient différents sacs plastique.

Effectivement, une fois le poème construit, tout un travail est nécessaire sur le rythme, les sonorités, pour parvenir à être au plus juste avec soi-même et se rapprocher au plus près de ce qu’on ressent en soi.

 

Poème de Sabine Péglion illustration de Renaud Allirand, ARTS ET LETTRES vive les artistes !

Pouvez-vous nous parler de votre écriture ? Comment la vivez-vous au quotidien ? Diriez-vous qu’il y a un travail de la poésie ?
Les poèmes naissent à différents moments. Puis un jour on tente de rassembler ces notes éparses et là c’est toujours un étonnement, car un thème insoupçonné apparaît et le recueil se construit de lui-même, sans effort, les poèmes semblant suivre un fil conducteur qu’inconsciemment on déroulait.
Écrire certes mais pourquoi un jour écrit-on des poèmes ?
(Question que l’on m’a souvent posée, avec un petit sourire, car déjà oser se déclarer poète est une position pour le moins étrange !)
On ne se pose pas la question. Dans cette confrontation avec la page blanche les mots, au monde donnent forme. Ils existent, à la page s’accrochent, éloignent pour un instant l’insuffisance d’être. Un poème singulièrement ne se décide pas, il s’inscrit en nous, il s’impose.
Ni message, ni histoire seulement saisir ces instants rares où bascule la réalité des choses, où s’ouvre un chemin, où s’introduit, là, tout proche, quelque chose de l’ordre d’une transcendance, un tremblement à la surface du monde lui donnant plus d’intensité … Bachelard disait que « la poésie trouve sa dimension spécifique dans le temps vertical d’un instant immobilisé ».
Pas nécessairement un spectacle attendu, Plus un faisceau de circonstances, une soudaine concordance de bruits, de parfums, de lumière, une qualité, une intensité …temps soudain suspendu dans un bulle de silence.
Le poème s’impose car il offre, choisit une forme dense, où les mots résonnent entre eux, en nous, avec le lecteur, avec la page, où le « logos » s’efface devant le chant, «odos», on construit à la fois un sens et un « objet » («ob-jeu» disait Ponge).
Parfois une musique se crée et l’on s’attache à une contrainte qui peut soutenir cette musique, là, parfois, elle devient source de création.
Mais ne voyez pas dans le poète un être déconnecté du réel. Philippe Jaccottet, précisait avec justesse que pour le poète il s’agit d’« une  observation à la fois acharnée et distraite du monde et jamais au grand jamais d’une évasion hors du monde» La Promenade Sous Les Arbres p.38.
En effet il se doit quand cela s’impose de bousculer, de dénoncer, de témoigner. S’efforcer de ne pas s’enfoncer dans la banalité, le confort intellectuel de la certitude, de l’acceptation.
Le poète reste libre …Lorsqu’on crée ce qui importe c’est ce qui cherche à naître en nous, la contrainte c’est d’être au plus près de ce qui s’entend en soi !
Trouver le mot juste ! L’écriture poétique tient de la fulgurance et de la maîtrise. Rien sans inspiration, écoute intérieure, silence. Rien sans travail, rigueur, sévérité envers soi-même, nulle complaisance. Ne pas oublier qu’un poème est un dialogue, il n’est pas contemplation narcissique de soi-même.

Lecture par Sabine Péglion de son recueil Ces mots si clairsemés Éditeur : la tête à l’envers, LautreLIVRE CA.

Depuis plusieurs années déjà, vous faites vous-même l’accompagnement plastique vos   recueils. S’agit-il d’un besoin sensoriel auquel les mots ne peuvent répondre ? Ou de la voix d’autres instruments qui vient se marier à celle des mots comme dans un ensemble musical ? Le geste de la plasticienne vient-il toujours après celui de la poète qui écrit ou les choses s’inversent-elles parfois ?
Ce ne sont pas des illustrations. Il y a des périodes d’écriture et des périodes où l’art plastique s’impose. Ce sont deux activités parallèles mais curieusement je ne peins pas en pensant à un recueil où à un poème. Généralement ce sont les éditeurs qui choisissent parmi les aquarelles ou encres que je leur montre celles qui semblent pouvoir entrer en résonance avec le texte.
Où que vous alliez, vous aimez le partage, qu’il s’agisse de poésie ou de ces nourritures terrestres, où vous cherchez aussi à introduire une créativité qui rend chaque moment singulier et précieux. S’agit-il d’une forme de communion qui donne une valeur particulière à l’instant ?
Transmettre, partager mais c’est pour moi ce qui donne sens à notre existence !
Pouvez-vous nous parler du partage qu’est aussi la lecture ? Quels poètes lisez-vous et quelle place occupent-ils dans votre vie dédiée à l’écriture ?
Bien trop de noms ! Importance d’Aragon, d’Eluard, de Lorand Gaspar et bien sûr Jaccottet !
Quels conseils donneriez-vous aux jeunes poétesses et aux jeunes poètes ?
Des conseils ? Être soi-même, trouver ce qui chante en soi ! Loin des modes et ... des conseils !

 

 

Présentation de l’auteur

Sabine Péglion

Née à Monaco, Sabine Péglion a étudié les lettres à Nice, soutenu un doctorat sur l’œuvre de Philippe Jaccottet à la Sorbonne, enseigné en région parisienne. A présent, parallèlement à l’écriture, elle intervient dans différents établissements scolaires comme poète, autour d’ateliers de poésie, permettant ainsi, à un public scolaire ou non scolaire, non seulement de découvrir le genre, mais également de s’exercer à l’écriture de poèmes, et de partager son expérience de poète. Par ailleurs elle a créé une association, Métaphores, dont le but est de promouvoir la poésie et de faire découvrir la poésie contemporaine. Depuis 10 ans, elle organise et  anime  des cafés-poésie. Le goût de la transmission et de la découverte de l’Autre, s’associent pour elle, souvent à l’occasion de voyages. Elle a pu ainsi mener des ateliers, faire des cours en Australie, en Grèce, au Maroc, en Algérie. En décembre 2016, elle a reçu à Milan le prix international de poésie « sur les traces de Léopold Sedar Senghor » et, en mars 2017, elle a été nommée ambassadrice de ce prix. En 2019 elle a été nommée Chevalier des Arts et des Lettres.

Bibliographie

Recueils

Sur les rives du lac Khövsgöl, Editions de La Margeride, gravures Robert Lobet, 2024
L’espérance d’un bleu, Editions La Tête à l’Envers, 2024, encres de l’auteur
Cet au-delà de l’ombre, Editions L’Ail des Ours, Decembre 2023, encres de l’auteur
 Australie, le temps d’un rêve, Editions V. Rougier, Août 2022, encres de l’auteur
 Dans le vent de l’archipel, Editions L’Ail des Ours, 2021, encres de l’auteur
Sillages de Lumière, Editions Bourdaric, 10 exemplaires numérotés, Œuvres originales de Bang Hai Ja, 2019
Rumeurs du monde, Editions Sous La Lime, 2019
Ces mots si clairsemés, Editions La Tête à l’Envers, 2019, encres de l’auteur
Elle m’avait demandé, Editions entre Terre et ciel, mars 2017, encres de l’auteur
Paroles de granit, Editions de la Margeride, gravures Robert Lobet, 2017
Faire un trou à la Nuit, Editions La Tête à l’Envers, 2016, encres de l’auteur
Connivence 3 Le mur Editions de la Margeride, gravures Robert Lobet, 2016
Un éclair de silence, Editions la Margeride, gravures Robert Lobet, 2015
Le nid, Editions La Tête à l’Envers, 2015, encres de l’auteur
Prière Minérale, Editions de la Margeride, gravures Robert Lobet ,2015
Ecrire à Yaoundé, Editions V. Rougier, 2015, encres de l’auteur
Des mots Des formes Une rencontre, sculptures M. Salavize, livre d’auteurs, 2014
Traversée Nomade, Editions Sous La Lime, 2013
Derrière la vitre, Editions V. Rougier, 2012
Australie, notes croisées, dessins de J. Bret, livre d’auteurs, 2011
Danse, deux regards poétiques sur des croquis de danse, en collaboration avec B. Moreau et J. Bret, livre d’auteurs, 2008
Métamorphoses, Editions Hélices Poésie, 2005

Revues

Poésie Terrestre (17,19)
Voix d’encre n° 33
Interventions à Haute Voix (n° 32, 36,38, 39,40), Encres vagabondes
Les Lettres Françaises, in L’Humanité, 07/07/07
Etoiles d’encre (n° 35-36 ; n°39-40, n°41-42,43-44, 45-46)
Etoiles d’encre, Recueil « Les étoiles d’Imoudal » in n°69-70
Etoiles d’encre, Artiste invitée du n° 75-76, « Epier le rêve »
Esprits poétiques (1,3)
Le 100 ème numéro de Ficelle, Editions de Vincent Rougier, a accueilli sa « dictée ».
Les carnets d’Eucharis mai-juin 11, fév. 2009, fev. 2013, fev. 2014, fev. 2015, (Comité de rédaction des numéros papier).
Virgules et Pollen
Terres de femmes, 1er juillet 2010
Francopolis mars, avril, mai 2012
Arpa, n°122, fev 2018
Décharges, 183, septembre 2019: Encres en couverture et dans la revue

Anthologies

Le courage, Editions Bruno Doucey, 2020, Anthologie de référence du Printemps des Poètes
La beauté, Ephéméride poétique Editions Bruno Doucey, 2019, Anthologie de référence du Printemps des Poètes
Du feu que nous sommes, Editions Abordo ,2019
Mai 1968, Editions des Cahiers de l’Asphalte, 2018
L’eau entre nos doigts, Editions Henry, 2018
Le rêve, Editions Unicité, 2018
Eloge et défense de la langue française, Editions Unicité, 2016
Quand on n’a que l’amour, Editions Bruno Doucey, 2015, Anthologie établie par Sabine Péglion et Bruno Doucey
Pas d’ici, Pas d’ailleurs, Éditions Voix d’Encre, 2012, Anthologie poétique francophone de voix féminines contemporaines
Les voix du poème, Editions Bruno Doucey, 2013, Anthologie de référence du Printemps des Poètes
Instants de vertige, Éditions Point de fuite, 2013
Enfantaisie, Editions-sous-Lime, Mars 2012, Anthologie sonore, CD+ Livrets
Côté femmes, D'un poème l'autre, Anthologie voyageus , Éditions Espace Libre, Paris/Alger, 2010
Poètes pour Haïti, L’harmattan, 2011

Poèmes choisis

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