Davide Cortese, DARKANA
Je suis la seule gargouille que tu peux voir
De toute mon invisible cathédrale. p. 17
Après tout j’ai encore les mains.
Celles qui autrefois serraient un ourson,
simplement vieillies, désenchantées.
La droite court encore sur le papier
sans même que je la commande
tandis que l’autre, la plus mystérieuse,
reste immobile tandis que sa soeur écrit.
Patiente elle attend, dans un silence de main.
Mais quand je m’abandonne au sommeil
elle bouge les doigts imitant la droite
et dans l’obscurité de la nuit, en absence de moi,
elle écrit des histoires de jadis
et d’autres qui jamais n’arriveront.
Elle écrit des vers que jamais je ne pourrai lire
sur le blanc linceul de mes nuits.
Il n’y a rien que je sache
De ce qu’écrit ma gauche:
elle est la seule à dire la vérité. p.73
Tu as regardé dans le hublot de mes yeux
Et tu as vu la mer dont je suis fait. p.43
Il existe ailleurs un visage de moi
qui émerge des eaux
et se fait île.
C’est la pointe d’un iceberg
enseveli dans l’abîme.
Il existe ailleurs une île secrète
qui n’est autre que mon visage
émergé
en un autre temps. p.25
Je suis un homme antique.
J’appartiens à une race
qui a besoin d’amour.
J’ai des peurs qui, comme des marionettes,
dorment les yeux écarquillés.
Je sais m’attarder entre des bras.
Je sais que le premier souffle est celui d’un ange
et le dernier celui d’un démon.
Je sais que la terre
est le ciel des morts. p.69
Regard inconnu
L’instant de tes yeux dans les miens:
le coup de fouet de l’éclair
sur la peau azurée du ciel. p.53
Voici ma cicatrice.
Sens-la avec la langue,
avec la pointe des doigts.
C’est une entaille de vent.
Une flèche de soleil. p.50
Viens, ombre,
baigner mon visage.
Écume d’ombre,
oubli de crépuscule,
viens encore
bercer mon enfer. p.46
Chante-moi une berceuse.
Je veux l’entendre les yeux clos.
Chante.
Sois simplement la voix qui chante.
Je serai le rameau qui cède au vent. p.45
Je fouille dans le miroir.
Là est resté
au fil du temps
tout ce qui s’y reflétait,
mon visage d’enfant,
mon chat orange désormais poussière orange,
des gens que je n’ai plus vu,
la lumière d’un jour oublié.
C’est un coffre ce miroir
dont je ne cesse de remuer
le fond sans fin.
Mais je n’y trouve pas un lambeau
De ce que je ne sais même pas
et dont je n’ai plus mémoire.
Bien que n’y trouvant rien,
je sais que dans ce miroir
rien, rien n’est vraiment perdu. p.48
Porter les jours d’une rive à l’autre du temps.
Les porter enfants, visages de lumière,
Les débarquer vieillards, dévorés de ténébres. p.39
Je vais, hiératique et fier,
perle noire de silence minéral.
La mante verte dans les cheveux.
La bouche comme une coupure sur le visage.
Le feu de l’enfer m’illumine.
La géhenne de mes yeux exulte.
Frétillante comme un serpent noir,
la route est le destrier de ma nudité.
Elle me porte sur son dos,
elle est le serpent noir que je chevauche.
J’entre,solennel, dans la nudité du mystère
le vent tremblant dans les cheveux.
Et la mante verte a mes yeux. p.22
Traduction de Jacques Michaut Paterno.