De Car le jour touche à son terme à Seule chair : Entretien avec Frédéric Dieu par Isabelle Lévesque

Par |2024-09-07T07:31:13+02:00 6 septembre 2024|Catégories : Essais & Chroniques, Frédéric Dieu|

Après deux recueils pub­liés par les édi­tions Ad Solem, Matière à joie (2017) et Pro­ces­sions (2012), le poète Frédéric Dieu a fait paraître chez Cor­levour deux livres: Seule chair en 2021 (Prix inter­na­tion­al de poésie fran­coph­o­ne Yvan Goll 2022) et Car le jour touche enfin à son terme en 2024. A cette occa­sion, il a bien voulu nous accorder un entretien.

Isabelle Lévesque :  Car le jour touche à son terme : Le titre annonce-t-il une prophétie ? une vision ? Avec « Ter­res brûlées » au début du livre et « Il arrive » à la fin, il sem­ble nous plac­er dans cette perspective.
L’utilisation du ver­set appar­ente le poème aux grands textes religieux ou mythiques. S’agit-il d’une sorte d’apocalypse per­son­nelle, humaine, ou générale ?
Frédéric Dieu :  Le titre de ce livre est à vrai dire une cita­tion des Evangiles, plus pré­cisé­ment de celui de Luc et de l’épisode dit des dis­ci­ples ou pèlerins d’Emmaüs qui a inspiré tant de grands pein­tres, par­mi lesquels Rem­brandt et Le Car­avage. Ces deux dis­ci­ples, dont cer­tains ont dit qu’ils étaient mari et femme, tour­nent le dos à Jérusalem et s’en éloignent vers le vil­lage d’Emmaüs ; ils sont tristes, las, découragés, rem­plis et sat­urés d’une espérance déçue, d’une mort qui a le dernier mot, qui est le terme de tout. C’est dans cette extrême déso­la­tion, à la fin d’une de ces journées qui sem­ble avoir épuisé, vidé de l’intérieur, l’âme et le corps, qu’ils sont rejoints par une présence, une chaleur, une per­son­ne qui ne sup­pri­ment pas la souf­france mais vien­nent la vis­iter, la partager, l’habiter et lui don­ner un sens, c’est-à-dire une issue. Cette vis­ite, cette vis­i­ta­tion sont, pour les pèlerins d’Emmaüs, celles du Christ qui, déploy­ant sous leur regard et dans leurs oreilles l’ensemble de l’histoire du Salut, leur explique que ce qu’ils ont cru être la fin est en réal­ité l’aube de la créa­tion nou­velle. Et c’est quand le Christ, près d’Emmaüs, à la fin du chemin qu’il a ain­si par­cou­ru et partagé avec eux, fait mine de s’éloigner, que les deux pèlerins lui adressent cette sup­plique de pau­vres et d’enfants qui est d’une beauté et d’une sim­plic­ité, d’une humil­ité mag­nifiques : Reste avec nous, car le soir tombe et le jour déjà touche à son terme (Lc 24, 29 ; tra­duc­tion de la Bible de Jérusalem).
Voilà l’argument de mon livre qui, au-delà de cette référence et cita­tion scrip­turaires, se place à l’un de ces moments de la vie où l’on est à la fois épuisé et las du chemin par­cou­ru, parce qu’on n’en voit plus la rai­son d’être et le sens, et pré­maturé­ment usé et fatigué du chemin qu’il faut con­tin­uer de suiv­re. Il se situe, ce livre, à la fin du jour, une fin qu’il déplore et désire à la fois, qu’il déplore parce que toute lumière, toute joie sem­blent s’en être allées, qu’il désire parce que la seule lumière qui sub­siste est celle, cérébrale, arti­fi­cielle, presque dia­bolique, qui éclaire crû­ment et cru­elle­ment toute chose, tout vis­age, toute rela­tion : une lumière qui ne décou­vre au regard, au cœur et à la mémoire, que des paysages désolés, dévastés, irrémé­di­a­ble­ment stériles, soit les « Ter­res brûlées » que l’on arpente au début du livre.
Et pour­tant, dans tout cela, « Il arrive » : des choses arrivent encore, des évène­ments con­tin­u­ent de se pass­er et, plus incroy­able encore, des vis­ages con­tin­u­ent de se lever sur la détresse, comme des aubes, comme des promess­es aux­quelles, resté enfant, on con­tin­ue de croire. Et pour­tant, dans tout cela, la vie n’est pas vaincue.

Frédéric Dieu, Car le jour touche à son terme, Édi­tions de Cor­levour, 2024 – 80 pages, 15 €.

Ce « Il » est donc à la fois imper­son­nel, fig­ure de retrait et d’humilité der­rière le prodi­ge de la vie dans tout son déploiement, et per­son­nel : il est, en ce sec­ond sens, quelqu’un, dont la vis­ite est l’inattendu que l’on attendait et que l’on reçoit enfin parce que l’on est arrivé au bout, au terme d’un chemin, au terme d’un jour qu’il fal­lait gravir ou descen­dre, qu’il fal­lait éprou­ver et souf­frir pour dépos­er les armes, renon­cer à toutes ambi­tion et pos­ses­sion, se défaire de l’encombrement et de la muti­la­tion de soi-même pour qu’advienne, que naisse en soi le/la tout autre, qu’y cir­cule comme chez elle la vie dans toute sa prodi­gal­ité, sa gra­tu­ité, sa fécondité.
Il y a donc bien, comme vous le soulignez très juste­ment, un itinéraire, un chemin, une his­toire menant des « Ter­res brûlées » à « Il arrive », à cette ren­con­tre inouïe qui est, « lit­térale­ment et dans tous les sens », un présent. Et si le jour touche à son terme, c’est non seule­ment qu’il touche à sa fin mais aus­si qu’il atteint en quelque sorte, et dans le même mou­ve­ment, sa pro­pre sub­stance ver­bale, son être (notam­ment de parole) véri­ta­ble et para­dox­al. Le para­doxe est en effet que le jour devient véri­ta­ble­ment jour, véri­ta­ble­ment lumière, véri­ta­ble­ment lucide, dans le soir et dans la nuit : il fait plus jour, il fait mieux jour dans la nuit que dans le jour. C’est alors et c’est désor­mais avec les yeux de la nuit que l’on voit.
Je reviendrai sur le choix (qui en réal­ité s’impose à moi) du ver­set mais, pour dire un mot du terme d’apocalypse que vous men­tion­nez à juste titre, terme qui sig­ni­fie « révéla­tion », celle qui se déploie dans mon livre est en effet à la fois per­son­nelle et générale : elle est comme toute expéri­ence vécue une his­toire per­son­nelle qui s’inscrit dans l’histoire générale, dans l’histoire humaine et même dans l’histoire du Salut. Mais elle est générale seule­ment en ce qu’elle est une expéri­ence per­son­nelle authen­tique et offerte, présen­tée, uni­ver­sal­isée. Je veux dire par là, et cela me sem­ble essen­tiel, qu’il n’y a pas dans ce livre, et qu’à mon sens il ne doit pas y avoir en poésie comme dans tout art, l’affirmation d’un cre­do, d’un pro­gramme, d’une idéolo­gie, d’une idée : il n’y a rien d’asséné car tout est éprou­vé, rien de pro­fessé car tout est vécu, rien d’imposé mais tout d’exposé, l’écriture, la poésie étant tout à la fois le moyen, le lieu et l’aboutissement d’une révéla­tion qui est reçue, don­née, intéri­or­isée, cachée d’abord pour être ensuite livrée aux regards. De même que le vête­ment, s’il cou­vre notre intéri­or­ité, notre intim­ité, l’exprime aus­si de manière voilée, l’on pour­rait dire métaphorique.
I.L. :  Pourquoi ce choix du ver­set ? S’agit-il pour vous du choix de la sou­p­lesse de cette forme hybride entre prose et vers ? Ou s’agit-il de s’inscrire dans une tra­di­tion tou­jours vivante pas­sant par Péguy, Claudel et bien d’autres ?
F.D. :  Ce choix du ver­set est à vrai dire la façon dont la poésie se présente à moi et m’invite à la suiv­re car elle a tou­jours été pour moi un chemin, un itinéraire, une route que l’on ne prend pas mais que l’on reçoit, que l’on écoute, qu’on laisse se trac­er et dessin­er dans la dense opac­ité de son paysage intérieur. Quand la poésie, sa parole, me vis­i­tent, me grat­i­fient de leur présence, je dirai même de leur amour, alors je désire demeur­er avec elles, rester avec elles, surtout quand le jour touche à son terme !

Frédéric Dieu, Seule chair, Édi­tions de Cor­levour, 2021 – 80 pages, 15 €.

Il y a ain­si, si je puis dire, le désir d’une vie com­mune, de son déploiement, de son his­toire et cela sup­pose une ampleur dans l’écriture, une ampleur qui est mou­ve­ment, rythme, musique et durée. Il y a le désir de laiss­er l’écriture, la poésie déploy­er sa trame, le désir d’être tis­sé par elles et ain­si renou­velé par elles, le désir d’être par elles et en elles un vête­ment nou­veau, un vivant et vrai vête­ment d’intériorité, et d’une intéri­or­ité qui est tout entière ouver­ture. Le ver­set est le vête­ment, la musique et le temps de ce déploiement.
Et puis, de façon non cal­culée (non théorisée) mais décou­verte au fil de ma « pra­tique » du ver­set, il y a dans celui-ci une lanci­nance et une pro­gres­sion par ampli­fi­ca­tion, par­fois un proces­sus de dépouille­ment, qui intro­duisent une nar­ra­tion, une his­toire qui per­me­t­tent au poème de me dire, de pren­dre le temps de me dire ce qu’il a à me dire.
I.L. :  Seule chair est entière­ment com­posé de ver­sets. Pour Car le jour touche à son terme, des frag­ments en vers s’insèrent dans les suites de ver­sets. Le poème « Proch dolor » est lui-même entière­ment en vers libres. Et le livre se ter­mine sur un ter­cet. Quelle énergie dif­férente fait-elle pass­er d’une forme à l’autre ? Quel est le rôle de ces change­ments prosodiques ?
F.D. :  Le poème « Proch dolor » est en effet par­ti­c­uli­er, atyp­ique dans ma pro­duc­tion récente, j’en ai eu con­science en l’écrivant, me deman­dant même, pen­dant que je l’écrivais, si je fai­sais bien de procéder ain­si, de façon inhab­ituelle, par affir­ma­tions et con­stats déplo­rat­ifs, secs, défini­tifs. Comme je le fais sou­vent, je m’en suis remis à des relec­tures suc­ces­sives, à divers moments du jour et dans divers endroits : seul un poème qui tient dans toutes ces cir­con­stances est un poème vrai, néces­saire, doué d’une cohé­sion, d’une néces­sité et si je puis dire d’une per­son­nal­ité que l’on doit respecter et seule­ment accom­pa­g­n­er lors d’éventuelles cor­rec­tions. Ces relec­tures suc­ces­sives m’ont con­va­in­cu que « Proch dolor » devait être écrit ain­si, à ce moment du livre et de ma vie : dans cette extrême déplo­ration, ce deuil total, cet acca­ble­ment de tristesse et de fatigue qui font que l’on n’a plus la force et que l’on ne désire même plus emprunter un chemin ou ne fût-ce que l’envisager. L’ampleur et le déploiement du ver­set, sa quête d’un mou­ve­ment, d’une musique, d’un chemin, ne pou­vaient con­venir à cet acca­ble­ment, ils l’auraient plutôt trahi et défig­uré. S’imposait au con­traire une accu­mu­la­tion de con­stats amers, une longue plainte s’égrenant par empile­ments suc­ces­sifs de souf­fles courts. L’énergie qui fait pass­er du ver­set à cette forme courte, essouf­flée, amère et défini­tive, c’est donc l’énergie du désespoir !
Le ter­cet qui clôt le livre est aus­si un écho de cette tra­ver­sée, dis­ant par-là que ce qui a été tra­ver­sé a lais­sé des traces, des mar­ques, des cica­tri­ces qui se man­i­fes­tent dans l’écriture, dans le type d’écriture, comme il le ferait sur un vis­age. Le « Il arrive » ne peut effac­er cela, il le trahi­rait sinon. Au con­traire, il l’assume et l’endosse, tout en y intro­duisant sa vie.

© Édi­tions de Corlevour

I.L. : « Proch dolor » dans Car le jour touche à son terme, « Domi­nus fle­vit » dans Seule chair : ces quelques mots latins par­ticipent-ils de l’inscription de ces livres dans une tradition ?
F.D. :  Il est cer­tain que j’aime la langue latine, que j’ai longtemps étudiée avec bon­heur durant ma sco­lar­ité et qui est aus­si la langue dans laque­lle sont par­fois chan­tés, dans cer­tains monastères, les Psaumes qui sont par­mi les textes les plus poé­tiques de la Bible. Mais les titres que vous men­tion­nez ont une orig­ine plus pré­cise. « Proch dolor » est le titre d’un motet de Josquin des Prés (1450/1455 – 1521) que j’aime beau­coup, c’est une chan­son de deuil com­posée en hom­mage à l’Empereur Max­im­i­lien, dont la trame et le déploiement poly­phoniques accom­pa­g­nent l’âme du défunt dans sa mon­tée vers Dieu.
« Domi­nus fle­vit », qui sig­ni­fie « Le Seigneur a pleuré », est le nom d’une église de Jérusalem située sur le Mont des Oliviers, édi­fiée là où, selon les Evangiles, le Christ a pleuré sur Jérusalem (Lc 19, 41–44), une église à laque­lle son archi­tecte ital­ien, Anto­nio Bar­luzzi, a don­né la forme d’une larme : une larme posée donc sur le Mont des Oliviers, qui ne coule pas, qui ne peut ain­si dis­paraître, parce qu’elle ne cesse jamais d’être ver­sée, parce qu’elle est le fruit d’une lamen­ta­tion qui ne passe pas.
I.L. :  Deux œuvres musi­cales appa­rais­sent dans Car le jour touche à son terme, un motet de Josquin des Prés (« Proch dolor ») et le Quatuor pour la fin du Temps de Mes­si­aen. Est-ce en rai­son du texte pour l’un, des cir­con­stances de com­po­si­tion pour l’autre ? Ou la musique elle-même entre-t-elle en compte ? Quel rap­port votre écri­t­ure entre­tient-elle avec la musique ?
F.D. :  J’aime, dans cer­tains poèmes, entretenir une forme de dia­logue et de réso­nance avec d’autres arts. Ou plutôt, parce que le terme d’entretenir relève d’un volon­tarisme et d’une théorisation/systématisation qui ne sont pas les miens, il arrive que des œuvres rel­e­vant d’autres arts me touchent et m’émeuvent telle­ment, s’insinuent si pro­fondé­ment dans le secret de mon cœur, s’y déposant comme une ques­tion per­son­nelle essen­tielle, que se man­i­feste en moi, impérieux, vital, le désir d’y répon­dre par le poème.
Je viens de par­ler de « Proch dolor » qui relève de la forme du tombeau et qui a révélé et sus­cité chez moi cette réponse sous forme de déplo­ration et de plainte sans recherche et désir de con­so­la­tion. Le poème qui fait écho au Quatuor pour la fin du Temps créé par Olivi­er Mes­si­aen pen­dant son temps de cap­tiv­ité au sta­lag de Gör­litz en Silésie (Pologne actuelle) a quant à lui été sus­cité par les con­di­tions de créa­tion de ce quatuor autant que par sa sub­stance musi­cale même : une créa­tion dans l’hiver et la nuit de la guerre, dans la souf­france du froid et de la faim, dans le plus grand dénue­ment, à un moment où l’Allemagne nazie parais­sait avoir défini­tive­ment asservi l’Europe entière, à un moment où tout sem­blait per­du. Et pour­tant, prenant fond sur tout cela, en faisant sinon le motif du moins la moti­va­tion de la créa­tion, se déploie un long poème musi­cal et se des­sine une délivrance dont les oiseaux sont les annon­ci­a­teurs et les éclaireurs.
Mais il m’arrive aus­si de recevoir d’un pein­tre l’émotion et la « con­vo­ca­tion » sous forme de ques­tion que j’évoquais à l’instant. Mon deux­ième livre inti­t­ulé Matière à joie (Ad Solem) se clôt ain­si sur un poème inspiré par l’œuvre pic­turale de Gior­gio Moran­di (1890–1964) dont les natures mortes ne cessent de me boule­vers­er, notam­ment par leur dis­po­si­tion « épaule con­tre épaule » en qua­si-por­trait de famille, par leurs con­tours trem­blés, pré­caires, par leurs couleurs passées, par leur fond lai­teux, indé­cis, pro­fond. M’émeut égale­ment la façon dont Moran­di a tra­vail­lé toute sa vie : dans le même ate­lier famil­ial de Bologne, à par­tir de pots, bouteilles, carafes, boîtes de con­serve ramassés ou col­lec­tés au hasard, à par­tir de toute une « pop­u­la­tion » d’objets mod­estes, d’humbles matéri­aux aux­quels il a con­féré une incom­pa­ra­ble stature et dig­nité, une beauté dis­crète et pour­tant puissante.
Je peux aus­si citer le poème de Seule chair inti­t­ulé « La dérobée » : il m’est arrivé tout entier et presque d’un seul coup de l’un des tableaux pro­fondé­ment mélan­col­iques du pein­tre danois Ham­mer­shoi (1864–1916) qui avait pris l’habitude de pein­dre son épouse de dos, présence/absence de celle qui est à la fois proche mais comme aspirée par les couleurs là aus­si pro­fondes et passées de l’appartement, de son intérieur, ain­si presque en voie de dis­pari­tion, son vis­age étant par­ti le pre­mier. Ce tableau était au fond la pro­jec­tion très exacte du poème qui, en moi, était appelé par la sit­u­a­tion que je ren­con­trais et attendait d’être écrit : ce poème m’attendait et m’appelait mais je ne perce­vais que des bribes de voix, des morceaux de phrase, qui reve­naient, lanci­nants mais isolés, mem­bres épars détachés de leur corps. La vision du tableau de Ham­mer­shoi a totale­ment ouvert en moi le pas­sage de ce poème en attente et elle me l’a livré et mon­tré tout entier, je n’avais plus qu’à écouter et retran­scrire ce qu’il dis­ait !  
I.L. :  

      « Erre le regard sur les bâtiss­es cal­cinées, erre et se blesse à l’angle des rues mortes, 
où l’on cherche sa vie cherche son bien quelque part où croit que vis­age et vérité se cachent.

Dès le matin sur les ruines éclairant devant soi la
ville
détru­ite à l’intérieur de soi. La ville où seul appelle et blesse l’angle des rues sans vis­age.

Appelle et blesse mais l’inverse des caress­es est plus sup­portable que leur absence.
Dès le matin un soleil sans par­don se pro­pose ta perte. »

(« La femme de Loth », in Car le jour touche à son terme, p. 13)

Les ver­sets de vos deux derniers livres con­ti­en­nent sou­vent des cel­lules lex­i­cales qui glis­sent de l’un à l’autre comme, dans cet extrait : « erre », « blesse », « dès le matin »… tis­sant un réseau ser­ré de repris­es, mots répétés, allitéra­tions et asso­nances. Com­ment envis­agez-vous l’écriture en ver­sets, leurs rythmes, leur musicalité ?
F.D. :  Cela relève en effet de la musique interne au poème et à son déploiement, son mou­ve­ment. Mais il est dif­fi­cile pour moi d’expliquer com­ment j’aboutis à ce réseau de repris­es et de mots tis­sés (terme tout à fait appro­prié à ma pra­tique d’une écri­t­ure comme/en tis­sage d’un vête­ment) car au fond, dès lors que le poème a lancé et fait enten­dre son pre­mier coup d’archet, je suis ensuite, dans le chem­ine­ment de mon écri­t­ure, dans le sol de la page que je foule, à son écoute et c’est lui qui me par­le de cette façon tis­sée, par repris­es, réso­nances, échos et (sans con­no­ta­tion péjo­ra­tive pour moi) ressasse­ments. Cette écri­t­ure de la lanci­nance et de la répéti­tion m’est dev­enue si intérieure qu’elle avance « toute seule » : elle est au fond ma façon de marcher (chaque per­son­ne marche d’une façon dif­férente !), ma façon d’avancer. Et quand on marche, on ne pense pas qu’on est en train de marcher, sinon on risque de tomber ! Non, on marche, c’est tout, et on marche à sa façon. C’est ce que je fais dans mes poèmes : je marche à ma façon.
Mais vous avez tout de même rai­son de point­er cette pra­tique des repris­es lex­i­cales et vocales/phoniques car elle vient bien de quelque part ! Je crois qu’elle est large­ment inspirée par la lec­ture de la Bible et en par­ti­c­uli­er par la rhé­torique sémi­tique qui irrigue les grands livres prophé­tiques et sapi­en­ti­aux, tels que celui d’Isaïe, des Psaumes ou de Job. Ces livres, leurs ver­sets, sont con­stru­its sur la base d’une struc­ture con­cen­trique dans laque­lle la parole se déploie tout en revenant sur elle-même de manière symétrique, en met­tant en par­al­lèle des phras­es et des ter­mes qui sont dif­férents mais qui se répon­dent et expri­ment la même réal­ité (on par­le alors de par­al­lélisme syn­onymique, par oppo­si­tion au par­al­lélisme antithé­tique) tout en l’amplifiant par cette répéti­tion et ce pro­longe­ment. Ain­si, dans le livre d’Isaïe (41, 24), il est dit des idol­es : vous êtes moins que rien, et votre œuvre, c’est moins que néant. Et dans le livre de Job (3, 3–7), qui a tant mar­qué Samuel Beck­ett : Périsse le jour qui me vit naître / et la nuit qui a dit : « Un garçon a été conçu. » / Ce jour-là, qu’il soit ténèbres…/ Cette nuit-là, qu’elle soit stérile.
Enfin, je dois dire aus­si que, depuis très longtemps, je suis un ama­teur de Blues, par­ti­c­ulière­ment des anciens, d’abord, bien sûr, Robert John­son, mais aus­si Son House, Light­nin’ Hop­kins, Smokey Hogg, John Lee Hook­er… Or, tout morceau de Blues est répéti­tion et ressasse­ment avec quelques vari­a­tions des mêmes « idées noires »…

I.L. :  

      « Un trait qui trem­ble sur l’eau, une ligne brisée, reste ou début d’écriture. Si 
sujet à l’effacement. Men­acé de dis­paraître dans le silence blanc de l’océan. »
      (« Sein », in Car le jour touche à son terme, p. 50)
      « Ain­si s’achève chaque jour d’été, le regard posé sur la table grise de la mer, 
debout sur la ter­rasse à con­tem­pler la grande toile du repos
et goûter, ardente et frag­ile, la paix des vol­cans qui passe l’entendement
      brûlant à l’intérieur mais présen­tant fig­ure douce et tiède, renonçant à son 
incendie pour se porter jusqu’à nous en brise déli­cate. Que l’on ne craigne pas sa 
caresse. »
(« Sali­na », in Car le jour touche à son terme, p. 60)
Sou­vent vos phras­es sont seg­men­tées par des points. Par­fois, au con­traire, elles s’allongent sur deux ou trois ver­sets, le point se fait atten­dre. Par rap­port à l’usage, quelques vir­gules man­quent. Com­ment envis­agez-vous la présence de la ponctuation ?
F.D. :  Là encore, la ponc­tu­a­tion doit être pour moi la plus fidèle pos­si­ble à la « retran­scrip­tion » du rythme et de la musique que le poème fait enten­dre en moi, à la façon dont il se fait enten­dre et veut se déploy­er. Il a son autonomie, qu’il faut respecter, son mou­ve­ment pro­pre : par­fois il veut accélér­er, dans un seul souf­fle, et demande alors qu’on ne le ralen­tisse pas par des vir­gules ; par­fois il ne peut se faire enten­dre que dans un long déploiement de plusieurs ver­sets, en reprenant sa res­pi­ra­tion entre deux ver­sets (c’est le cas dans l’extrait du poème « Sali­na » que vous citez) ; par­fois enfin il fait enten­dre sa foulée, sa scan­sion, ses sac­cades, car il pro­gresse à marche « nor­male », quitte à allonger le dernier pas (c’est le cas dans l’extrait du poème « Sein » que vous citez).
La ponc­tu­a­tion est donc pour moi, mais c’est assez banal, au ser­vice du rythme pro­pre du poème, de sa musique intérieure, à la façon dont il imprime sa marche en moi. Et je recon­nais que, ce point de vue, je m’accorde par­fois quelques licences, comme vous l’indiquez, en omet­tant en par­ti­c­uli­er des vir­gules, délibéré­ment, pour accélér­er le rythme et man­i­fester d’un seul souf­fle le drame, comme par exem­ple dans le poème « Ter­res brûlées » qui ouvre le recueil où je par­le de « même les enfants pris arrêtés dans leurs jeux ».
I.L. :  Votre poésie est-elle de préférence à lire ou à écouter ?
F.D. :  Je répondrai par un terme et un verbe tiers : elle est à dire. J’entends par là qu’elle n’est pas à pro­pre­ment par­ler orale, elle ne néces­site pas de per­for­mance orale et peut tout à fait s’accommoder d’une sim­ple lec­ture soli­taire, dans le secret d’une cham­bre ou d’un paysage, d’un envi­ron­nement que ne mutile pas l’horrible grésille­ment métallique des pro­thès­es audi­tives et des écrans atro­ces qui déversent sans trêve leur bruit et leur bêtise. Mais elle doit être dite, donc proférée à l’intérieur de soi, et pas seule­ment lue car c’est seule­ment en étant dite qu’elle peut faire enten­dre son rythme et sa musique qui par­ticipent tout autant que ses mots au déploiement de son mou­ve­ment et de son histoire.
I.L. :  Vous évo­quez au début de Car le jour touche à son terme (p. 9), votre « poé­tique de la peau livrée ». Seule chair com­mençait en automne, dans une ville dont le nom (Saint-Maur-des-Fos­sés) évoque les défunts, puis venaient mariage, nais­sance, sépa­ra­tion, lutte… Car le jour touche à son termecon­tin­ue dans un paysage dévasté, où l’on tente de se relever par des voy­ages, une quête de sens… Les poèmes peu­vent-ils se lire comme les frag­ments d’un jour­nal intime ou du réc­it d’une vie ? 
F.D. :  Oui, mes poèmes sont inspirés et même imposés par ma vie et par ses épreuves. Mais s’ils plon­gent effec­tive­ment dans l’intimité et descen­dent ain­si très bas dans le secret et l’obscurité de l’homme intérieur, c’est pour le faire sor­tir de ce tombeau et le hiss­er jusqu’à la lumière du jour, celle-ci se ren­con­trât-elle, se don­nât-elle à con­naître dans l’épaisseur de la nuit.
Je pars de très bas et de très som­bre pour aller vers la lumière, pour ten­ter d’aller vers la lumière, pour voir s’il y a, plus haut, plus loin, s’il y a quelque part de la lumière. Dans ces souter­rains et ces boy­aux obscurs, le poème est ma lampe.

I.L. : 

      « Claire tunique ajourée. Avant que s’abatte un coup comme
      tombé du soir – en plis qui ondoient puis ava­lent les mem­bres du cortège. 
Tombé du soir – en crêpe flot­tant indé­cis autour des man­teaux. Cou­vre-feu. Couvre-
face.
L’heure endrapée se pose sur les paupières et con­tre la bouche. »
(« Un vête­ment que l’on passe », in Seule chair, p. 17)
      « Le vent de la colère ne m’a pas emporté. Et, ce matin, vis­itées par la prime 
lumière, terre et chair se sur­pren­nent à fleurir. »
(« Ter­res brûlées », in Car le jour touche à son terme, p. 12)
Com­ment la nuit remue-t-elle pour vous dans, ou par, l’écriture ? Le « terme » du jour est-il une promesse d’apaisement, ou le début de l’attente de l’aube ?
F.D. :  Par con­traste avec un jour qui peut être dur, cru, implaca­ble et accusa­teur, un jour qui est impudique et sans par­don, la nuit (dont le « sub­strat phonique » est d’ailleurs lumineux alors que celui du jour est plutôt som­bre) est douce, con­solante et apaisante, mis­éri­cordieuse et respectueuse du secret. La nuit est en quelque sorte le baume passé sur les souf­frances et les douleurs du jour, elle est réc­on­cil­i­atrice. Et elle réc­on­cilie ain­si le jour avec lui-même, de sorte qu’elle est dou­ble­ment le terme du jour : elle en est la fin et l’autre nom, le vrai nom. Par sa lumière (Eloi Leclerc a écrit un très beau livre con­sacré au retable d’Issenheim qu’il a inti­t­ulé La nuit est ma lumière), la nuit fait le jour sur le jour, fait le jour sur mon jour.
Le terme du jour, c’est donc sa fin dans le dou­ble sens de ce qui clôt et de ce qui accom­plit l’être. Et cet accom­plisse­ment advient dans la nuit, celle-ci étant plutôt l’issue du jour que l’attente de l’aube.
I.L. :  La pre­mière par­tie de Car le jour touche à son terme, a pour titre « Arrière-pays », ce qui fait aus­sitôt penser à un livre majeur d’Yves Bon­nefoy. Votre « arrière-pays » est-il d’abord un temps, celui de l’enfance ?
F.D. :  Cette expres­sion aus­si a dans mon livre un dou­ble sens : l’arrière-pays, c’est bien sûr, dans sa part fon­da­trice et fer­tile, cette terre, ce paysage intérieur, cette his­toire, ce temps aux­quels on peut tou­jours s’adosser et revenir s’abreuver comme à un puits jamais asséché ; mais c’est aus­si, dans sa part som­bre, la somme des épreuves et des souf­frances endurées, les stig­mates inef­façables et irrémé­di­a­bles qu’elles ont lais­sés sur la peau, sur les ter­res qu’elles ont ain­si abîmées, et c’est surtout la ten­ta­tion d’en rester tou­jours à la déplo­ration et à la con­tem­pla­tion de ces mal­heurs, comme le fait la femme de Job. Le risque au fond de s’y com­plaire et d’élire domi­cile dans des « ter­res brûlées ».

I.L. :  

      « Allongé sur l’eau ton corps sou­ple et fin, frêle­ment sin­ueux. Et moi, à peine 
Îlien de France, réfugié con­tre toi. Mon his­toire de corps en dérive dans le monde 
flot­tant – dans ton his­toire de sauve­tages et de naufrages, de terre impos­si­ble dans 
l’océan. »
      (« Sein », in Car le jour touche à son terme, p. 49)
Les îles sont très présentes. Dans Car le jour touche à son terme, appa­rais­sent Sein et Oues­sant, îles extrêmes. Vous adres­sant à Sein, vous écrivez : « Peut-être repos­es-tu sur les plus hum­bles. Comme le monde sur les trente-six justes cachés » (p. 53). Vous évo­quez aus­si Sali­na, île aux deux vol­cans. Sont-elles source d’une habi­ta­tion poé­tique du monde ? Peu­vent-elles sauver des naufrages per­son­nels, de la ten­ta­tion du dés­espoir quand on ressent « [l]a fatigue et le refus de compter jusqu’à soix­ante-dix fois sept fois » (p. 39) ? 

F.D. :  Je suis depuis longtemps, depuis ma jeunesse, fasciné par les îles, par leur forme de retraite et de rad­i­cal­ité dans l’affrontement de l’adversité, par le fait d’être une terre détachée des con­ti­nents. Vous par­lez juste­ment d’habitation poé­tique du monde : pour moi en effet, vivre sur une île, dans un cer­tain isole­ment et une cer­taine pré­car­ité et fragilité, dans le détache­ment de ce qui est con­ti­nen­tal, mas­sif et plein de soi, vivre sur une île donc est la façon la plus évidem­ment « extérieure » d’habiter poé­tique­ment le monde. Il n’y a pas d’écriture, pas d’art, pas de créa­tion sans retraite, sans con­tem­pla­tion ini­tiale, sans déci­sion de s’écarter du monde et de son bruit, non pour le dén­i­gr­er, le mépris­er ou le fuir mais pour décou­vrir ses ressorts cachés, ce qui le fait tenir, pour l’aimer mieux et s’y trou­ver mieux.

L’île est une mise à dis­tance du con­ti­nent et une mise à dis­tance de soi, de sa suff­i­sance : mieux vaut se vivre comme une île, pré­caire, que comme un con­ti­nent trop con­fi­ant dans son assise.
Il y a aus­si dans les îles, en effet, une expéri­ence du naufrage con­juré ou sur­mon­té, en même temps que la volon­té et le courage de regarder en face, sans fas­ci­na­tion, ce qui peut faire mourir. Les îles peu­vent-elle sauver du naufrage per­son­nel ? Non, elles le man­i­fes­tent et le pro­lon­gent plutôt. Mais elles lui con­fèrent ain­si un sens et une dimen­sion uni­versels, lui don­nent une par­en­té et un pro­longe­ment géologiques et même cos­miques. Ce qui est bien une façon d’habiter poé­tique­ment le monde.

I.L. :  

      « Comme en prime jeunesse aller sur les chemins le corps et le vélo toujours 
prêts à se couch­er sur l’herbe des talus. Lire des poèmes, s’en vêtir le regard et peut-
être en écrire. Et repar­tir avec eux prenant corps dans tout.
      […]       Et presque immo­bile, en silence et sus­pens face au vent sans visage – 
con­tem­pler l’invisible. »
(« Oues­sant », in Car le jour touche à son terme, p. 70)
Les poèmes que l’île vous a fait écrire, nous les lisons ici. Mais quels poèmes vous a‑t-elle entraîné à lire ? Que décou­vre de l’invisible la poésie ?
F.D. :  Dans ce poème, quand je par­le de lire des poèmes sur le bord du chemin, je rap­pelle une expéri­ence, une habi­tude même, de jeunesse : sil­lon­nant à vélo les petites routes du Pas-de-Calais, notam­ment pour me ren­dre chez mes grands-par­ents, j’emportais tou­jours des livres de poésie, à cette époque-là surtout des livres de poésie chi­noise et japon­aise (Li Po, Han Shan, Tu Fu, Ryôkan, Bashô bien sûr…), et j’aimais m’arrêter régulière­ment pour lire, repar­tant ensuite avec en tête les derniers vers lus avant de m’arrêter à nou­veau pour repren­dre ma lec­ture là où je l’avais lais­sée mais aus­si, de cette façon, prolongée.
Ain­si tout s’ordonnait, se fécondait, s’aimait : la route, le livre, le paysage, le temps. Les poèmes que je lisais me requéraient tout entier. C’était déjà une façon, sans écrire, d’habiter poé­tique­ment le monde et je désir­ais pou­voir vivre ain­si toujours.
Aujourd’hui, et c’était déjà le cas à Oues­sant, je lis beau­coup moins qu’auparavant et, lorsque je lis, je ne retrou­ve plus dans mes lec­tures la même inten­sité, la même révéla­tion, le même car­ac­tère décisif, peut-être parce que je ne suis plus « en for­ma­tion », parce que mon écri­t­ure a trou­vé sa voie et ne la cherche plus dans d’autres écri­t­ures. Je ne saurais donc dire quels poèmes j’ai lus à Oues­sant, je n’en ai pas le sou­venir, mes grands sou­venirs de lec­ture sont beau­coup plus anciens.
Je pense enfin que ce que la poésie décou­vre de l’invisible, c’est que l’invisible existe et qu’il agit dans le vis­i­ble, pour peu qu’on le regarde inten­sé­ment, de même que le vent ne se voit que dans ce qu’il remue, penche et déplace. La vie est invis­i­ble et pour­tant elle agit, pour­tant elle est la plus grande force qui soit. La vie est une évi­dence invis­i­ble et la poésie décou­vre la vie : au sens éty­mologique du verbe, la poésie, le poème inven­tent la vie.
I.L. :  Simone Weil écrivait que « [s]i belle que puisse être l’intonation d’un cri de douleur, on ne peut souhaiter l’entendre encore ; il est plus humain de souhaiter guérir la douleur » (L’enracinement – Gal­li­mard, 1949). Le « cri de douleur » est bien présent dans vos livres. En quoi la poésie peut-elle être aus­si un remède ? S’agirait-il de tou­jours « rater mieux », comme n’a cessé de le ten­ter Beck­ett, dont je crois que vous aimez la lecture ?
F.D. :  Oui, j’ai beau­coup aimé lire Beck­ett, je l’ai tant lu, com­mençant par le théâtre puis abor­dant les romans et les textes plus courts, dont les Nou­velles et textes pour rien qui, à l’époque, m’ont beau­coup mar­qué et que j’ai vaine­ment et sans prof­it ten­té de relire récem­ment : elles ne me par­lent plus, ces nou­velles, et je ne retrou­ve plus celui à qui elles ont tant par­lé, même si j’ai gardé de Beck­ett le lan­gage cru, direct, par­fois cru­elle­ment amer et ironique, qui ne veut rien ignor­er et cacher de notre misère.
« Rater mieux », oui prob­a­ble­ment : la vie nous apprend que nous courons à notre perte, que nous allons nus vers la mort, que nos entre­pris­es sont des­tinées à périr et nos suff­i­sances, comme des bal­lons, à crev­er lam­en­ta­ble­ment. Voilà une réal­ité à la fois per­son­nelle et uni­verselle que la poésie ne saurait nég­liger ou embel­lir : le poème ne doit pas crain­dre de présen­ter les divers­es formes et man­i­fes­ta­tions de ce ratage.
Cela dit, nous sommes des êtres de rela­tion : mal­gré ce qui attend ain­si cha­cun, la vie, invis­i­ble­ment, ne cesse de cir­culer et de se prodiguer de l’un à l’autre, elle porte l’un vers l’autre et les porte tous deux vers elle-même. De cela aus­si, de cette cir­cu­la­tion invis­i­ble, de cette res­pi­ra­tion du monde et de cha­cun, du souf­fle qui ani­me tout ce qui est vivant et par­fois réveille ce que l’on croy­ait mort, la poésie doit « ren­dre compte ».
Comme tout art, comme toute créa­tion, la poésie porte en elle une fac­ulté, sinon de sub­li­ma­tion du moins d’élévation d’une « cause » per­son­nelle vers une cause uni­verselle et d’intériorisation égale­ment, dans la foulée du poème, de la marche du monde. La poésie est un don, elle n’est pas un remède mais un présent, un partage, un échange : elle fait de ma mis­ère la mis­ère du monde mais elle fait aus­si de ma joie la joie du monde.

Présentation de l’auteur

Frédéric Dieu

Frédéric Dieu est poète et cri­tique lit­téraire. Juriste de for­ma­tion, il est  mem­bre du Con­seil d’Etat. 

© Crédits pho­tos Édi­tions de Corlevour.

Bibliographie 

Frédéric Dieu a pub­lié deux recueils de poèmes chez Ad Solem : Matière à joie (2017) et Pro­ces­sions (2012), puis, chez Cor­levour, Seule chaire (2021) ; aux édi­tions de Cor­levour, Seule chair, Prix inter­na­tion­al de poésie fran­coph­o­ne Yvan-Goll 2022.

Poèmes choi­sis

Autres lec­tures

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Isabelle Lévesque

Isabelle Lévesque a pub­lié en 2011 Or et le jour (antholo­gie Triages, Tara­buste), Ultime Amer (Rafael de Sur­tis), Terre ! (éd. de l’Atlantique), Trop l’hiver (Encres vives). Elle a fait paraître en 2012 : Ossa­t­ure du silence (Les Deux-Siciles), en 2013 : Un peu de ciel ou de matin (Les Deux-Siciles), Va-tout (Éd. des Van­neaux) et Ravin des nuits que tout bous­cule (Éd. Hen­ry). En 2013 égale­ment un livre d’artiste en français et en ital­ien a été édité : Neve, pho­togra­phies de Raf­faele Bon­uo­mo, tra­duc­tion de Mar­co Rota (Edi­zioni Quaderni di Orfeo). En 2015 : Tes bras seront (poèmes traduits en ital­ien par Mar­co Rota – Edi­zioni Il ragaz­zo innocuo, coll. Scrip­sit Sculp­sit) Sont parus à L’herbe qui trem­ble : Nous le temps l’oubli (2015), Voltige ! prix inter­na­tion­al de Poésie fran­coph­o­ne Yvan-Goll 2018 (2017), et La grande année, avec Pierre Dhain­aut (2018), Chemin des cen­tau­rées (2019), En découdre (2021) et Je souf­fle, et rien. (2022). En 2022, les édi­tions Mains-Soleil ont pub­lié Elles, de Fab­rice Rebey­rolle et Isabelle Lévesque. Isabelle Lévesque écrit des arti­cles pour plusieurs revues : Quin­zaines / La Nou­velle Quin­zaine Lit­téraire, Europe, Ter­res de Femmes, Recours au Poème, Terre à ciel, Diérèse, Poez­ibao … Sur inter­net : https://lherbequitremble.fr/auteurs/isabelle-levesque.html https://fr.wikipedia.org/wiki/Isabelle_L%C3%A9vesque https://www.nouvelle-quinzaine-litteraire.fr/articles-par-critique/isabelle-levesque

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