Le poète Emorine fait paraitre De toute éternité aux éditions Le Nouvel Athanor, des poèmes dédiés à l’être aimé. C’est dire si l’être aimé, à l’Athanor, doit relever d’un sens chevaleresque. L’amour courtois renvoyait à la femme comme une mise à l’épreuve de la perfection du chevalier. La femme, c’était bien sur la désirée, mais à travers elle l’âme ouvreuse du chemin obscur et loyal de l’homme à cheval, le conduisant à la réalisation de soi. Etre aimé, Athanor, le livre paraît dans le lieu juste.
De toute éternité s’ouvre par ce poème :
De tout temps,
Je savais qu’un jour
Je parviendrais près de toi
Et
Que mon amour n’aurait pas de fin.
Que je m’ensablerais au fond de tes rivages
Avec ma tête dormante au creux de tes bras.
De tout temps
Je ressusciterais l’empreinte de tes pas
Enfouis en moi.
Si près de la mort que je serais
Mes yeux n’auraient d’autre fin que toi.
De tout temps
Je saurais arracher à l’ombre
Ce cri d’amour qui n’est que silence
A l’égard du monde.
Si près des mots que je sois
aucun ne ressemble à ceux
Qui me conduisent vers toi
La poésie d’Emorine relève de ce que le poème peut porter d’alchimique. Le poète, dans sa forêt sombre, la torche du langage à la main, cherche le chemin vers sa dame. Il sait que ce langage est illusion, qu’il ne faut pas tomber en amour devant les mots, sans quoi on reste sur le seuil de la réalisation de l’œuvre d’une vie d’homme :
Tu peux entrer sans frapper
Sans même regarder autour de toi
La porte a disparu
Avec la tentation de vivre
Sans quoi on est poète, c’est à dire une image sociale, et aujourd’hui dévaluée. Mais il sait aussi que cet ermite cherchant un homme à la lueur de son front peut dépasser la langue grâce à la femme :
J’ai aimé mourir dans tes bras
Même si je ne l’ai jamais révélé
A la lumière d’un jour
Parjure
Nous sommes, dans cette poétique d’un autre âge, c’est à dire d’un âge où l’avenir du monde prend sa source aux anciennes conquêtes de l’homme contre les impermanences nihilistes du temps présent, avec la matière de Bretagne alliée à la conscience des hommes de foi. Lorsqu’Emorine dit : Je suis venu à ta rencontre/Lorsque tu n’étais pas là, et, J’avance parfois les yeux fermés/Pour mieux me diriger/Vers toi, nous avons là un écho de ce que révélait Patrice de La tour du Pin à son ami Anne de Biéville : “Savais-tu que “Tu ne me chercherais pas si tu ne m’avais déjà trouvé” de Pascal se trouve textuellement dans le Traité d’Amour de Dieu de St Bernard : je cite (ch x) : “Si vous êtes bon, Seigneur, à l’âme qui vous cherche, qu’êtes-vous donc pour celle qui vous trouve — mais il y a ceci d’admirable que personne ne vous puisse chercher sans vous avoir d’abord trouvé”.
La passion du poète pour l’être aimé tient du murmure extatique de Jean de la Croix. Jean de la Croix était-il poète ? Il avait dépassé ce rôle. Bien sur, nous pouvons lire ce livre comme un chant d’amour envers une femme, et c’est alors un chant universel qui s’adresse à chacun d’entre nous. C’est le degré premier. Mais il y a autre chose, qui s’appuie sur le désespoir pour mieux chanter sa joie :
Mon amour
Il fallait le dire enfin
Le proclamer peut-être
Murmurer la prière des jours enfuis
Trop tôt.
Je ne sais plus m’abreuver à la source des mots
Lorsque tu te détournes de moi
Je crispe les mains
Sur des mots
Qui ne signifient rien
Sans toi
On ne peut pas être plus clair, ni s’exprimer plus simplement pour dire une relation d’obscur à la lumière.
Comme un leitmotiv discret, Emorine chuchote que “les mots à venir/s’effacent en te voyant”. Lorsque les mots meurent ainsi à l’apparition de l’être aimé, lorsque le poète en perd la parole, alors nous sommes dans un lieu cherchant à travers l’homme à porter une autre connaissance à l’esprit du monde.
On perd la parole quand on perd le mental au profit du spirituel, c’est à dire d’une compréhension d’abord indicible des évènements, hors de la ligne orthonormée dans laquelle nous vivons, cheptel, désormais.
Tu perds la parole quand une autre connaissance frappe à ta porte, t’habite déjà afin que tu puisses t’exprimer selon son existence.
Tu perds la parole pour apprendre à parler l’impensable.
Et c’est là l’expérience d’Emorine, qu’il dépasse par des mots simples et universels, conjurant le totalitarisme social en règne depuis la nuit du monde. N’est-ce pas au poète, maintenant et ici, dans le cours de ce temps du reflux, remontant vers ses sources, de cesser, composant le Poème, de se croire poète ?
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