Denise Desautels, Sans toi, je n’aurais pas regardé si haut

Dans son dernier recueil qu'elle a voulu en prose poétique, Denise Desautels accompagne ses Tableaux du Parc Lafontaine situé dans Montréal de photographies en noir et blanc tout en dialoguant avec nombre d'auteurs et d'artistes dont les noms sont recensés à la fin.

Sensations visuelles et auditives pour le lecteur comblé qui adhère immédiatement à cette œuvre de mémoire et de transmission. L'auteure, à l'aise avec le style épistolaire, y a l'occasion de s'adresser à son fils dans le but de lui transmettre autre chose que le souvenir des morts dont elle lui a fait peser le deuil. Et c'est ainsi qu'elle le remercie de lui avoir permis de ne plus "ressasser les ruines" et de "regarder plus haut". Dans ce lieu dont la poète dépend plus que de ses proches comme le dit, en exergue, une citation de Pascal Quignard, la rencontre d'une chouette rayée et dix ans plus tard d'une buse ont " soudé " la mère " vastement vivante ce matin-là " et le fils. Ces deux rapaces diurne et nocturne symbolisent un imaginaire qui se traduit par des oxymores en clair-obscur.

 

Sans toi, je n'aurais pas regardé si haut, Denise Desautels, éditions du Noroît, 2013, 86 pages, 24 euros

Sans toi, je n'aurais pas regardé si haut, Denise Desautels, éditions du Noroît, 2013, 86 pages, 24 euros

En effet, d'un côté, "le parc est un lit de ténèbres" et ce noir qui "avance" peut finir par nous "encercler". Pour la petite fille évoquée c'est la nuit qui règne  avec les deuils et ses  robes noires, les hurlements des ambulances, les "ténébreux troncs d'automne" et leurs branches noires.

Mais, d'un autre côté, cette "déferlante" doit s'arrêter  si la narratrice apprend à "revisiter la vie" pour "la redonner vive " à son fils comme le parc qui s'est transformé avec, par exemple, ses drapeaux de Buren inventeurs de "chorégraphies". Aussi celle-ci va-t-elle aller vers la lumière à la recherche d'autres souvenirs et, plus loin encore, dans la seconde partie où elle exerce sa mémoire, à la manière de Joe Brainard et Georges Perec, par de courts paragraphes dont le souffle et le rythme rappellent ceux des versets.

Ponctués par des propos sur le parc, la mort mais aussi l'amour, la nature, la vie y sont racontés. Tout ce qui construit un être, avec les différentes strates du passé. Le lieu, " comme espèce résistante" est toujours le fil conducteur d'un texte qui continue à dialoguer avec les mots, les vers et les chansons des auteurs.

Même si Denise Desautels a eu l'occasion de dire qu'on ne sait pas ce qu'on transmet vraiment, elle sait qu'elle a, ici, transmis autre chose que la mort. Elle a compris également qu’elle est passée de "nécrophile à maternelle" grâce à l'écriture qui l'a fait renaître.

Présentation de l’auteur

Denise Desautels

Née à Montréal, elle a publié plus de quarante recueils de poèmes, récits et livres d’artiste, au Québec et à l’étranger, qui lui ont valu de nombreuses distinctions, notamment le prix du Gouverneur général du Canada, le prix Athanase-David, la plus haute distinction accordée en littérature par le gouvernement du Québec,  et le Prix européen de Littérature Francophone Jean Arp. En 2014, elle recevait, pour la deuxième fois, le Grand prix Québecor du Festival international de la poésie de Trois-Rivières pour Sans toi, je n’aurais pas regardé si haut _Tableaux d’un parc, alors qu’en 2015 le prix Hervé-Foulon du livre oublié lui a été remis pour son récit Ce fauve, le Bonheur.

Plu­sieurs de ses textes sont parus dans des an­thologies, au Québec et à l’étranger, et ont été traduits dans diver­ses lan­gues. Son best-seller, Tombeau de Lou, publié aux Éditions du Noroît en 2000 est paru en catalan, en 2011, à Barcelone (Tomba de Lou, trad. Antoni Clapés, Cafè Central / Eumo Editorial) et en anglais, en 2013, à Toronto (Things that Fall, trad. Alisa Belanger, Guernica Editions). Liée depuis longtemps au monde des arts visuels, elle a travaillé avec de nombreux artistes, et plusieurs de ses livres à tirage limité, réalisés en collaboration, se retrouvent dans des musées et des collections importantes. Elle est membre de l’Académie des lettres du Québec et de l’Ordre du Canada.

Denise Desautels

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