Deux heures avec Edgar Hilsenrath

C’est au cours d’une tournée en 2015, que je découvre l’œuvre foisonnante, crue(lle) et pourtant pleine d’espoir d’Edgar Hilsenrath. Le Nazi et le barbier constitue ma première lecture. Je ressens un vertige dès les premiers chapitres. Audace, Inventivité, Excès… 

 

A la fin du roman, je me précipite chez le libraire et trouve Fuck America. Je me consume en le lisant et décide, non seulement d’acquérir le reste de son œuvre en français comme en allemand et de m’y jeter à corps perdu, mais prends également la décision de demander les droits d’adapter Fuck America pour la scène. Quelques mois plus tard, après avoir travaillé avec trois de mes comédiens à l’adaptation, je mets en scène avec mon équipe le texte, nous sommes en juillet 2017 dans la chaleur avignonnaise. Depuis le moment où j’ai refermé le premier de ses romans, j’ai toujours rêvé de rencontrer cet homme. Cette occasion me sera donnée le 8 novembre 2018, grâce à Eva Requena et Frédéric Martin. Nous nous rencontrons au siège de sa maison d’édition française, Le Tripode, rue de Charlemagne. Le ciel est bas et gris. Nous passons ensemble deux heures que je n’oublierai jamais dont voici une tentative de restitution, extraite du recueil Deux heures avec Edgar, écrit les jours qui ont suivi notre rencontre. Je ne savais évidemment pas qu’il disparaitrait quelques semaines plus tard, ni bien sûr en envoyant début décembre un extrait à l’équipe de Recours au Poème. Je ne serai jamais assez redevable au destin de m’avoir permis de le rencontrer in extremis.

 

 

A l’évocation du monde d’aujourd’hui

une feinte de non recevoir

un visage qui se détourne

ses yeux se perdent de nouveau

cherchant un abri cette fois

une cave une poubelle

Etrange sarcasme du destin

 

 

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Les paupières s’affaissent par instants

mais les yeux plantent leurs griffes dans les miens

tandis que les mains s’agitent pendant les quelques mots

on dirait qu’il gravit une paroi

ignorant le vide

à chaque réponse

 

 

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Jadis en Bucovine dit-il

il connut la paix

après les brimades des enfants aryens

la Roumanie alors somnolait

avant le grand cauchemar

Le visage d’Edgar s’empubère

le temps d’un battement de cils

 

 

∗∗∗∗

 

 

Sous le verni du visage se sédimente

la multitude des autres

Edgar est palimpseste

A tant avoir parlé de soi

on ne se dissimule que mieux

 

 

∗∗∗∗

 

 

Du balcon des jours

il continue ses doigts d’honneur

sale gosse de la littérature

N’a jamais cherché à plaire

et poursuivra même après

avec les vers et les limaces

 

 

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la folle exubérance

des vies écrites au fil de ses récits

s’entend dans les tréfonds de son mutisme

quand je l’observe à la dérobée

je perçois un concert

monter d’un chagrin sans larmes

sourd et mutin

sans instrument